Guinée-Bissau : Indjai et Gomes Junior, deux hommes (forts) pour le prix d’un
En Guinée-Bissau, le putsch manqué du 26 décembre et la mort du président Malam Bacai Sanha, le 9 janvier, ouvrent un boulevard au Premier ministre, Carlos Gomes Junior, et à son allié, le chef d’état-major Antonio Indjai.
Il est fréquent qu’un putsch ait lieu dans les heures qui suivent la mort du chef de l’État. L’inverse est plus rare. C’est ce qui est arrivé en Guinée-Bissau. Hospitalisé en France depuis plusieurs semaines, le président Malam Bacai Sanhá, pilier du puissant Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), s’est éteint à l’âge de 64 ans à Paris, le 9 janvier, quinze jours après une tentative de coup d’État sur laquelle ses services étaient restés étonnamment discrets.
Les deux événements sont-ils liés ? Vincent Foucher, analyste chargé de la Guinée-Bissau au sein de l’ONG International Crisis Group (ICG), ne le pense pas. « Sanhá était hors jeu depuis plusieurs semaines », note-t-il. Sa maladie l’avait affaibli et ses absences répétées avaient ouvert un boulevard à son Premier ministre, Carlos Gomes Junior, avec qui ses rapports étaient houleux. « Sanhá s’est toujours présenté comme l’homme du dialogue, expliquait un observateur avant même que le décès du président ne soit connu, alors que Gomes a une ligne plus radicale. Le putsch manqué du 26 décembre a renforcé ce dernier. »
Aujourd’hui, Gomes et le chef d’état-major, le général António Indjai, ont fait le vide autour d’eux. Trois semaines après l’attaque avortée du siège de l’état-major de l’armée bissau-guinéenne par un groupe de soldats, le contre-amiral José Américo Bubo Na Tchuto, le très influent chef de la marine accusé d’en être le cerveau (et principal rival d’Indjai), est toujours détenu à Mansoa. À l’écart de la capitale, située 60 km plus au sud. À l’écart aussi des 25 autres militaires arrêtés à la suite de ce coup de force et qui sont incarcérés, eux, à Bissau. Soumis au silence, Na Tchuto ne peut répéter ce qu’il avait eu le temps de glisser à la presse peu avant son arrestation – à savoir qu’il n’avait rien à voir avec tout cela.
Narco-État
Le Premier ministre a profité de la chasse aux mutins pour écarter ses rivaux au sein du parti majoritaire. Accusés d’avoir participé à la tentative de putsch, deux députés connus pour leur opposition à Gomes se sont, selon les autorités, « enfuis dans la nature ». Les informations autour de cette attaque étant rares, et les luttes d’influence au sein de l’armée particulièrement mouvantes, les observateurs se perdent en conjectures.
S’agissait-il d’une tentative de coup d’État visant à assassiner le chef d’état-major et le Premier ministre, ainsi que l’a affirmé le gouvernement ? Ou assiste-t-on, dans ce pays qualifié par les États-Unis de « premier narco-État » d’Afrique, à un règlement de comptes sur fond de trafic de cocaïne ? « Difficile à dire, admet Vincent Foucher. La seule certitude que nous avons, c’est que l’axe constitué par le chef d’état-major et le Premier ministre l’a emporté. » Selon l’analyste, « nous avons assisté à un 1er avril à l’envers ». Le 1er avril 2010, Indjai, alors chef d’état-major adjoint, avait fait mettre aux arrêts le chef d’état-major de l’époque, le général José Zamora Induta, ainsi que le Premier ministre, qui était déjà Carlos Gomes Junior. « Cette fois, au lieu de se faire bousculer, les autorités politiques et militaires ont triomphé. »
Qui après Sanha ?
Après avoir fait le ménage au sein du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), majoritaire dans le pays, Carlos Gomes Junior visera-t-il la succession de Sanhá, élu en 2009 ? « C’est possible, estime un observateur. Compte tenu de la Constitution, plus parlementaire que présidentielle, il pourrait considérer comme plus sûr de conserver son poste de Premier ministre. » Il pourrait alors pousser la candidature d’un homme à lui, comme le président de l’Assemblée nationale, Raimundo Pereira. Depuis la mort de Sanhá, c’est lui qui, conformément à la Constitution, et malgré l’avis de l’opposition, qui ne lui fait pas confiance, assure l’intérim jusqu’à la présidentielle. Une tâche qu’il avait déjà accomplie en 2009, après l’assassinat de João Bernardo Vieira. R.C.
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette prise d’armes, parmi lesquelles l’opposition présumée des mutins à la réforme de l’armée. Initiée par la communauté internationale, mise en oeuvre par le gouvernement et soutenue par l’Angola, très influent à Bissau (c’est la seule force militaire étrangère ayant un pied dans le pays), celle-ci doit aboutir à une véritable purge, les effectifs devant passer de 12 000 hommes à environ 3 000. Objectif : réduire le poids d’une institution qui, depuis l’indépendance, en 1974, reste le véritable socle du pouvoir politique et le pilier du trafic de cocaïne.
Mais, dans l’armée, cette perspective ne fait pas l’unanimité. Na Tchuto, un officier apprécié dans les rangs et qui fut accusé une première fois de tentative de coup d’État en 2008 avant d’être blanchi et réintégré, est présenté comme un farouche opposant à la réforme. Gomes et Indjai ont au contraire la réputation d’y être favorables – tout comme l’y était le président Sanhá.
Liste noire
Ces derniers temps, des lois sur la réforme de l’armée ont été adoptées. Le gouvernement a versé une première contribution de 500 000 dollars au fonds devant financer la démobilisation. Dans son dernier rapport, qui date du mois d’octobre 2011, le représentant des Nations unies à Bissau parlait de « signes encourageants ». Na Tchuto a-t-il voulu freiner le processus ? « Malgré ces quelques avancées, il n’y a encore rien de concret », relativise un observateur de la vie politique bissau-guinéenne, qui ne croit pas à cette hypothèse.
La pomme de discorde entre Na Tchuto et Indjai ne serait pas la réforme mais le trafic de drogue.
À Bissau, un autre scénario est avancé : la pomme de discorde entre Na Tchuto et Indjai ne serait pas la réforme mais le trafic de drogue. Depuis plusieurs années, Na Tchuto est soupçonné d’être l’une des chevilles ouvrières du trafic de cocaïne. En avril 2010, les États-Unis l’ont placé sur la liste noire des trafiquants. Mais, ces derniers temps, les rumeurs sur une possible implication d’Indjai dans ce trafic se font de plus en plus insistantes. Les deux hommes étaient-ils en concurrence ? Quelques jours après le coup de force, le Parti de la rénovation sociale (PRS), principale formation de l’opposition, affirmait que « la vraie cause des événements du 26 décembre réside dans l’atterrissage d’un avion plein de cocaïne aux abords de Mansoa avec la complicité du gouvernement ».
Quoi qu’il en soit, pour beaucoup d’analystes, le raffermissement de l’alliance entre le chef d’état-major et le Premier ministre n’est pas un mauvais signe, au moment où le pays entre dans une nouvelle période de turbulences électorales. « Longtemps, les Bissau-Guinéens ont comparé leur pays au chaos somalien, explique Vincent Foucher. Aujourd’hui, on se dirige vers un régime ferme, à l’image de la Guinée équatoriale. » Est-ce un progrès ? Certains le pensent.
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