RDC : chez Étienne Tshisekedi, dans l’antre du Sphinx
Depuis qu’il a « prêté serment », le 23 décembre, Etienne Tshisekedi se tait. Dans le quartier de Limete, où il vit retranché, le vieil opposant reçoit, consulte, mais ne s’exprime pas. Question de stratégie pour celui qui s’est proclamé président à l’issue de l’élection du 28 novembre. Rencontre.
Avenue des Pétunias, quartier de Limete, à Kinshasa, RDC. C’est là qu’habite Étienne Tshisekedi, leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Là aussi que le vieil opposant (79 ans) s’est proclamé « président élu », le 9 décembre, et qu’il a « prêté serment », le 23. Quelques maisons avec jardins, des arbres sur le bord des routes et une succession de dos d’âne et de nids-de-poule. À quelques mètres de là, un pick-up de la légion nationale d’intervention, une unité de la police, monte la garde. Des policiers armés sont assis sous un arbre… Il faut présenter une pièce d’identité pour aller plus loin.
La résidence d’Étienne Tshisekedi n’a rien d’un palais. Des murs blancs surmontés de barbelés, un grand portail noir et une trentaine de militants venus soutenir leur champion… C’est « une zone où aucun soldat, aucun policier n’a le droit de s’aventurer », explique un habitué des lieux. À l’entrée, un grand poster annonce « S.E. Étienne Tshisekedi wa Mulumba Président ». Dans la cour, des collaborateurs s’affairent. Deux 4×4, un Land Cruiser Prado et un Nissan. Il faut contourner la villa pour trouver Tshisekedi. Vêtu d’une chemisette beige et d’un pantalon marron clair, sandales aux pieds, il s’entretient avec des visiteurs. Sa femme, Marthe, est à côté de lui. Sur une table basse trône un petit transistor. Aucune garde pour assurer la sécurité ou protéger le leader de l’UDPS. On lui donne du monsieur le président, mais sans solennité… L’ambiance est décontractée.
Depuis qu’il a contesté les résultats officiels de l’élection du 28 novembre (qui lui donnaient 32,3 % des suffrages, contre 48,9 % pour le président sortant, Joseph Kabila), le Sphinx de Limete est devenu avare de sa parole. Il n’accorde plus d’interviews à la presse et évoque « des raisons stratégiques ». Tout juste accepte-t-il de dire ce qu’il lit en ce moment (un ouvrage sur l’Université Lovanium, dans laquelle il a été étudiant) et de raconter qu’il écoute chaque jour Radio France Internationale (« et Radio Okapi », selon un membre de sa famille). Inutile d’insister pour aborder d’autres thèmes. Pourquoi ce mutisme ? « Il ne parlera pas avant que la communauté internationale, dont les représentants continuent d’arriver à Kinshasa, ne se prononce sur les dernières élections », explique Joseph Olenghankoy, dirigeant des Forces novatrices pour l’union et la solidarité (Fonus, opposition), qui le fréquente.
Exercice du pouvoir
Tshisekedi a déjà reçu la visite des ambassadeurs des États-Unis et de Grande-Bretagne en poste à Kinshasa. Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, Jacob Zuma, le président sud-africain, Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), et Johnny Carson, sous-secrétaire d’État américain chargé des Affaires africaines, l’ont tous appelé – la plupart pour lui demander de ne pas faire descendre les Congolais dans la rue. Jacob Zuma, lui, a insisté sur les actions violentes menées en Afrique du Sud par des Congolais se réclamant du chef de l’UDPS.
Au quotidien, Tshisekedi a un emploi du temps précis. Le matin, il travaille dans son bureau et lit les rapports et les dossiers que lui ont préparés ses collaborateurs. « Cela porte sur le recouvrement de l’exercice du pouvoir, confie son conseiller politique, Valentin Mubake. Autrement dit, la maîtrise de l’armée, de la police et des forces de sécurité. Il est également question de notre programme de gouvernement et du fonctionnement des institutions issues des élections, et de l’insécurité que le pouvoir est en train de créer à travers le pays. » En fin de journée, Tshisekedi reçoit. Autour de lui : Valentin Mubake, mais aussi Albert Moleka, son directeur de cabinet, Jacquemin Shabani, le secrétaire général de l’UDPS, l’ancien occupant de ce même poste, Alexis Mutanda, Samy Badibanga, son conseiller spécial, et, bien sûr, son fils, Félix Tshisekedi. Autres personnes influentes, sa femme et Marcel Mbayo, un ami de longue date.
Ambiguës
À Limete, la logique de l’affrontement n’est pas à l’ordre du jour. Il n’est pas non plus question de former un gouvernement ou de nommer des ambassadeurs. « La priorité reste le rétablissement de la vérité des urnes, martèle Albert Moleka. Étienne Tshisekedi ne demande pas qu’on le soutienne, lui ou son parti, mais que l’on soutienne le peuple congolais qui a clairement exprimé sa volonté de changement. »
Du côté des autres formations politiques de l’opposition, surtout celles qui ont soutenu Tshisekedi dès le départ, le ton reste ferme. Pour Diomi Ndongala, président de Démocratie chrétienne (DC), « Tshisekedi s’est fixé un timing. Il attend, prend tout le monde à témoin, avant d’envisager des solutions personnelles ». Au risque, peut-être, de se faire oublier. À moins qu’il attende les résultats des élections législatives, organisées le même jour que la présidentielle, et un rééquilibrage politique ? « Non, réplique-t-on dans son entourage. Les résultats des législatives seront encore pires, et on peut déjà dire qu’ils ne compteront pas. » Désormais sous la surveillance de la police à Limete, Tshisekedi n’a pas de contacts avec Vital Kamerhe, bien que celui-ci l’ait reconnu comme vainqueur du scrutin. Encore moins avec Kengo wa Dondo, le président du Sénat, qui était également candidat le 28 novembre, et dont les prises de position lui ont semblé plus qu’ambiguës. À Kinshasa, certains reprochent à Kengo d’avoir félicité Joseph Kabila pour sa réélection et le soupçonnent de négocier un rapprochement avec le chef de l’État. Mais les proches de Tshisekedi sont convaincus d’une chose : il récupérera sa « victoire ».
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Par Tshitenge Lubabu M.K., envoyé spécial à Kinshasa
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