En Algérie, des journalistes toujours plus sous pression
Votée par l’Assemblée, la nouvelle loi réglementant les médias est en examen au Sénat et devrait être rapidement adoptée. Elle prévoit un encadrement renforcé du travail des journalistes, dans un contexte déjà très mauvais pour la liberté de la presse.
Sans surprise, le nouveau projet de loi relatif à l’information a été adopté à une écrasante majorité par les députés de l’Assemblée populaire nationale, le 28 mars 2023. Le texte devra passer prochainement devant le Sénat avant d’être publié au Journal officiel pour entrer en vigueur.
Le projet de loi s’articule autour de quatre axes : les statuts du journaliste, les conditions et modalités d’octroi de la carte de presse, les modalités d’accréditation du journaliste relevant d’un média de droit étranger et l’instauration d’un haut conseil d’éthique professionnelle.
C’est cet organisme qui aura la responsabilité de l’élaboration d’une charte permettant l’adoption d’une pratique journalistique responsable et la contribution à la promotion de l’autorégulation. Le nouveau texte de loi instaure également le régime déclaratif en matière de création des publications périodiques « journaux et revues » en remplacement de l’agrément.
En vertu des dispositions de ce projet de loi, il est donc créé un Conseil supérieur d’éthique et de déontologie de la profession de journaliste composé de douze membres, dont six sont désignés par le président de la République.
De nouvelles autorités de contrôle
Il est fait état également de la création d’une Autorité de régulation de la presse écrite et de la presse électronique qui est une « autorité indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière, chargée de la régulation des activités de la presse écrite et de la presse électronique ».
Le projet énonce également que le statut de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel a été modifié afin de lui attribuer, outre les missions qui lui sont dévolues, la responsabilité de « réguler et de contrôler aussi bien les services de communication audiovisuelle traditionnels que les services de communication audiovisuelle en ligne ».
Dans le détail, il est fait obligation aux organes de presse de déclarer « l’exclusivité du capital social, l’origine des fonds investis et des fonds nécessaires à leur fonctionnement ». Une amende de 1 million à 2 millions de dinars est prévue à l’encontre de tout média qui reçoit, directement ou indirectement, une aide matérielle de quelque nature qu’elle soit, sans être lié organiquement à l’organisme donateur, ou qui reçoit des financements et des aides d’un organisme étranger. En ce sens, la juridiction compétente peut même ordonner la confiscation de biens objet de l’infraction (Art. 44 et 45).
Sur un autre volet, les cas d’outrage commis par un média envers les chefs d’État étrangers et les membres des missions diplomatiques et consulaires accrédités en Algérie exposent leur auteur à une amende de 100 000 à 500 000 dinars (Art. 48). Une amende de 500 000 à 1 million de dinars est prévue contre toute personne exerçant son activité en Algérie pour le compte d’un média de droit étranger sans accréditation (Art. 53).
Un statut particulier pour les journalistes
Pour ce qui est de l’organisation de la profession de journaliste, il est fait état de la nécessité de doter le journaliste d’un statut particulier qui définisse les conditions d’exercice de la profession, et les droits et devoirs afférents.
Selon l’article 17, est journaliste « toute personne qui exerce une activité journalistique et qui fait de cette activité sa profession régulière et sa principale source de revenus ». À la condition de détenir un diplôme de l’enseignement supérieur en rapport direct avec la profession de journaliste ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans une autre filière, justifiant d’une formation en journalisme et de cinq années d’expérience professionnelle au moins dans le domaine journalistique.
L’article 18 stipule que cette qualité de journaliste professionnel donne à son titulaire le droit de bénéficier des mesures prises en faveur de la presse. « Les conditions et modalités d’octroi de la carte sont fixées par voie règlementaire. » L’article 22 énonce que le journaliste exerçant en Algérie pour le compte d’un média de droit étranger doit détenir une accréditation préalablement.
D’autres articles énumèrent les devoirs du journaliste dans l’exercice de sa profession (Art. 20 et 21), garantissent son droit d’accès aux sources d’information (Art. 33), définissent sa relation de travail avec l’organisme employeur (Art. 24, 25, 26 et 28), ou lui accordent une protection juridique contre toute forme de violence, d’injure ou d’outrage (Art 25).
Le texte de loi rappelle aussi au journaliste qu’il doit s’interdire notamment de faire « l’apologie du racisme, du terrorisme, de l’intolérance et de la violence », mais également celle « du colonialisme », ou « de porter atteinte à la mémoire nationale et aux symboles de la guerre de libération nationale ».
La tentation de contrôler
Professeur des universités et directeur du laboratoire de recherche Médias, usages sociaux et communication à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger, Belkacem Mostefaoui souligne que l’adoption de cette loi intervient après un ballet de moutures entre le ministère de la Communication et le conseil des ministres depuis 2020.
« Le pouvoir, décidément, a du mal à réguler les entreprises médiatiques et la production du journalisme, la tentation étant de contrôler. À preuve, cette loi organique se contente de renvoyer à la promulgation de lois sur l’audiovisuel et les entreprises de presse. À preuve aussi le casse-tête des “autorités indépendantes” car toutes conçues comme un appendice du ministère de la Communication », explique-t-il à Jeune Afrique.
« À mon sens, poursuit-il, quand on fait une première lecture de ce texte de loi, il est utile de connaître le contexte dans lequel il a été conçu et adopté. Deux éléments sont à retenir. Le premier est que depuis la méthodique répression du mouvement populaire du Hirak, le champ des médias algériens a été asséché par la promulgation de décrets réprimant la production du journalisme et la publication d’informations et opinions dissonantes par rapport à la communication institutionnelle orchestrée en force par le pouvoir.
Parallèlement, une politique de domestication des rares journaux subsistants a été orchestrée via la centrale gouvernementale de publicité, l’Anep. Cette publicité soutient les journaux « comme une corde le pendu ». Et ce n’est pas une Assemblée nationale assujettie à l’exécutif qui pourra palier le déficit de démocratie, et ici de conception de textes législatifs défendant la liberté d’information et le droit à l’information des citoyens », conclut Belkacem Mostefaoui.
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