Raid aérien israélien contre l’OLP à Hammam Chott

En proposant d’accueillir le siège de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la Tunisie savait qu’elle allait déplaire à Israël. Mais pas au point d’imaginer que cela lui vaudrait une attaque aérienne en règle.

Yasser Arafat devant les ruines du siège de l’OLP, à Hammam Chott, après le raid de Tsahal. © Montage JA; Arnaud BORREL/GAMMA-RAPHO

Publié le 9 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

QUAND LA TUNISIE EST ATTAQUÉE (3/4) – « Le 1er octobre 1985, j’étais au bord de la mer à Hammam Lif. Tout était paisible, quand j’ai vu des avions surgis de nulle part cracher le feu sur la bourgade voisine, Hammam Chott. C’était irréel », se souvient encore Majid. Il vient d’assister à un acte inimaginable, le bombardement par des F15 israéliens du quartier général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), installé à Hammam Chott. Trois ans plus tôt, l’OLP, sous la pression de l’invasion israélienne, avait quitté le Liban pour trouver refuge en Tunisie et installé ses locaux en bord de mer, dans cette cité de la banlieue sud de Tunis.

Vers 11 heures, cinq explosions signent le succès de l’opération « Jambe de bois ». En une poignée de secondes, dix avions de chasse israéliens détruisent, en deux vagues, les trois villas occupées par l’OLP, ainsi que des maisons avoisinantes.

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Le bilan est lourd : 50 Palestiniens et 18 Tunisiens sont tués, et on dénombre une centaine de blessés. Les images diffusées par la télévision tunisienne sont apocalyptiques. Le quartier général de l’organisation palestinienne a été réduit en deux minutes en des monceaux de gravats. Les dégâts sont estimés à 6 millions de dollars.

Cette opération d’une extrême violence est un cas inédit en Tunisie. Pour les responsables israéliens, il s’agit de riposter à des attaques terroristes palestiniennes menées durant l’été 1985, en particulier l’assassinat, revendiqué par la Force 17 de l’OLP, de trois civils israéliens sur un yacht ancré dans le port de Larnaca, à Chypre. Yitzhak Rabin, ministre de la Défense à l’époque, voulait montrer à l’OLP qu’elle n’était « à l’abri nulle part » et que « l’armée israélienne saurait toujours trouver et punir les responsables ».

Arafat, cible de l’attaque

Depuis le raid sur Entebbe (Ouganda) en juillet 1976, qui avait permis la libération d’otages israéliens et français retenus dans un ancien aéroport par des pirates de l’air palestiniens et allemands, Tsahal n’avait plus mené d’opération commando aussi loin de ses bases. Le raid a bénéficié d’une logistique très précise, avec l’appui d’une base américaine en Sicile, deux Boeing 707 ayant permis aux dix avions de chasse de se ravitailler avant d’opérer une arrivée sur Tunis par des voies détournées pour ne pas attirer l’attention.

La cible du raid a pourtant échappé au bombardement. Arrivé la veille en provenance du Maroc, le président de l’OLP, Yasser Arafat, aurait dû se trouver au quartier général. Mais le leader palestinien, qui avait prévu d’assister aux funérailles de l’ancien ministre tunisien de la Défense, Abdallah Farhat, n’a finalement pas dormi sur place.

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Un changement de programme inopiné qui a échappé à la vigilance des services du Mossad, qui comptaient sur le fait que, selon leurs informations, Yasser Arafat était supposé, ce matin-là, participer à une réunion à Hammam Chott avec les cadres de l’OLP. Bien des années plus tard, certains proches du chef de l’organisation persistent à affirmer qu’il avait été prévenu. « Ce n’était pas son heure », conclut Majid.

Condamnation de l’ONU

Le raid éclair provoque en tout cas une tempête diplomatique et une brouille qui va durer des années. Pour la Tunisie, il n’était pas admissible de se taire sur une telle violation de son territoire. Bourguiba se sent trahi par les États-Unis, qui légitiment ces représailles. Lui qui pensait être un ami et un allié des Américains découvre que la Maison-Blanche – qui avait fait pression pour que Tunis accueille les exilés palestiniens en 1982 – connaissait le plan israélien.

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Les démentis de Washington ne suffisent pas, Bourguiba et l’opinion tunisienne ne décolèrent pas : la souveraineté de la Tunisie a été violée et le pays envisage, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Mestiri, de rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis.

Dès le 2 octobre, le ministre des Affaires étrangères, Béji Caïd Essebsi (qui deviendra président de la République de 2014 à 2019), en accord avec Bourguiba, porte l’affaire devant les Nations unies et la Tunisie porte plainte contre Israël. Le lendemain, le Conseil de sécurité de l’ONU vote par 14 voix et 1 abstention – celle des États-Unis, qui ont révisé leur position et n’ont donc pas usé de leur véto – la résolution 573.

Un texte qui, même s’il ne mentionne pas les Palestiniens, fera date, car pour la première fois, les Nations unies condamnent Israël, qui a revendiqué l’attaque, et s’insurgent contre l’offensive armée perpétrée contre le territoire tunisien. La résolution reconnaît également un droit à des réparations compte tenu du nombre de victimes et des dégâts subis.

Aucun dédommagement

Sur le moment, l’affaire se conclut donc par un succès tunisien sur le terrain diplomatique, mais dans les faits, le texte de la résolution restera lettre morte. Aucun dédommagement ne sera versé à la Tunisie. Pour beaucoup, l’abstention des États-Unis est une victoire, mais Israël n’a été en réalité que « sermonné ». La Tunisie ne pouvait guère obtenir plus : une rupture avec Washington aurait certes permis à Bourguiba de gagner en popularité, mais elle aurait isolé le pays politiquement.

Quant aux autorités israéliennes, elles n’auront manifestement pas été très impressionnées par la résolution de l’ONU : moins de trois ans plus tard, dans la nuit du 16 avril 1988, les commandos de la Sayeret Matkal (unité d’élite de l’état-major) feront une nouvelle fois la démonstration de leur précision logistique et opérationnelle en exécutant le numéro deux de l’OLP, Abou Jihad, dans sa villa de Sidi Bou Saïd.

Retrouvez les premier et deuxième épisodes de notre série :

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