Au Burkina, le capitaine Ibrahim Traoré engagé dans un processus d’isolement

Crise ouverte avec Paris, expulsions de journalistes français… Alors qu’il est censé prendre à bras le corps l’urgence sécuritaire, le régime de Ouagadougou s’engage dans de stériles combats, selon Adrien Poussou, ex-ministre centrafricain.

Le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir le 2 octobre 2022 au Burkina Faso. © Présidence du Faso

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 13 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

Depuis 2015, le Burkina Faso est pris dans une spirale de violences attribuées aux jihadistes liés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique (EI), lesquels multiplient les attaques meurtrières ayant déjà fait des milliers de morts – civils et militaires – et plus de deux millions de déplacés internes, selon les chiffres communiqués par les organisations non-gouvernementales.

Arrivé au pouvoir le 2 octobre 2022 par un coup d’État – le deuxième en près de neuf mois –, le capitaine Ibrahim Traoré reprochait à son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, de s’être détourné des promesses faites au peuple burkinabè et d’avoir été incapable d’obtenir des résultats concrets dans le domaine de la sécurité. Il avait surtout insisté sur sa « détermination » à combattre les jihadistes, qui contrôlent environ 40 % du pays. Malheureusement, cette promesse tarde à se concrétiser ; le chef de la junte, que beaucoup avaient acclamé au moment du putsch, peine à stopper les attaques récurrentes des jihadistes, à juguler l’instabilité chronique dans laquelle son pays semble s’installer et à rassurer les populations civiles meurtries.

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La tentation Wagner

Plus consternant encore, il donne l’impression d’avoir oublié la raison principale de son coup de force : le retour de la sécurité dans son pays. Manifestement, le chef du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR, organe dirigeant de la junte) s’est laissé entraîner dans une crise ouverte avec les partenaires traditionnels du pays, à commencer par la France. Il semble également tenté de se lier aux mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner, plutôt que de privilégier l’armée régulière. Inutile de rappeler la proximité entre le Premier ministre de la transition, Apollinaire Kyélem de Tambèla, et les autorités de Bamako, incontestablement proches des Russes.

À l’instar des colonels maliens, le capitaine Ibrahim Traoré, faute de résultats probants dans la lutte contre les jihadistes, s’est retranché derrière un pseudo-nationalisme qui vise également à masquer un manque de légitimité. On assiste à la reproduction, presque à l’identique, des méthodes éprouvées à Bamako, consistant à se désigner des ennemis imaginaires et à voir le complot et le mal partout. Conséquence : les autorités de Ouagadougou multiplient les fronts, alors qu’il serait plus simple et plus constructif pour elles de consacrer toute leur énergie à cette seule priorité qui vaut tous les sacrifices : la lutte effective contre les menaces terroristes.

Ibrahim Traoré s’est détourné de la mission dévolue à la transition – la restauration de la sécurité, donc -, et se comporte en chef d’État ayant reçu l’onction du suffrage universel qui lui confère la légitimité nécessaire pour, par exemple, dénoncer les accords militaires ou engager le pays dans des alliances stratégiques. Personne ne lui a confié ce mandat et ce n’est d’ailleurs nullement la vocation de la transition, qui est un quasi-régime.

La valse des chefs d’état-major

Alors, se posent plusieurs questions : doit-on interpréter la valse des chefs d’état-major, dont la dernière date du 31 mars, comme une réorganisation de l’armée en vue de la reconquête et de la sécurisation de l’ensemble du territoire burkinabé, ou comme la simple illustration de la volonté d’un homme, désormais davantage préoccupé par sa propre sécurité que par celle de ses compatriotes, de mettre les militaires au pas ? Beaucoup auraient préféré la première alternative.

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Aussi, était-ce indispensable d’ordonner l’expulsion des correspondantes de deux grands quotidiens français, « Le Monde » et « Libération », cinq jours seulement après la suspension de France 24 et quatre mois après l’interruption du signal FM de Radio France Internationale (RFI) ? Pour les démocrates et les défenseurs de la liberté d’expression, la réponse ne peut être que négative.

Car, quelles que soient les raisons ou les justifications, chaque fois qu’un régime durcit le ton face à la presse, c’est le signe que ses tenants sont gagnés par la panique et qu’en leur sein règne une certaine confusion. Voilà pourquoi on aurait tort de ne voir dans les expulsions de ces journalistes « que » la dégradation de la liberté de la presse au Burkina Faso, ou encore un épisode de plus dans le pourrissement des relations entre la junte militaire et la France. En réalité, ces bannissements marquent une volonté de dissimulation et comportent des subtilités qui nous échappent, et qui sont, sans doute, à rechercher du côté de la lutte pour la gestion ou la conservation du pouvoir de l’État.

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Tournant autoritaire

Mais, tout comme la mauvaise publicité faite au « pays des hommes intègres » et l’atmosphère de tension artificiellement entretenue par la junte, ces incidents avec la presse jettent un voile de suspicion sur les actions des autorités de Ouagadougou. En réalité, le durcissement du régime de la transition agit comme un accélérateur dans l’isolement du capitaine Ibrahim Traoré et contribue forcément à le fragiliser.

Pour la simple et bonne raison que dans un État dit de droit, toutes les libertés, d’opinion et de la presse en tête, sont protégées non seulement par l’État, mais aussi de l’État. Ce qui signifie que les citoyens ne peuvent être exposés à l’arbitraire de la police, de l’administration ou des représentants du gouvernement, et que ceux-ci ont d’ailleurs à leur disposition un arsenal juridique pour contrer les agissements des pouvoirs publics ou les lois qui violeraient leurs droits élémentaires.

Il est donc évident que le tournant autoritaire dans lequel s’est engagé le capitaine Ibrahim Traoré est contreproductif pour son pays. Or, en raison des errements de la junte militaire au pouvoir et face au délitement de l’État burkinabè, incapable d’étendre son autorité sur l’ensemble de son territoire souverain – ce qui relevait de l’impossible il y a encore quelques années en arrière – certains en sont aujourd’hui à regretter Blaise Compaoré. Un comble !

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