Quand Kossi Efoui raconte sa mère et le Togo
Dans son nouveau roman, « Une Magie ordinaire », le romancier et dramaturge togolais livre une autobiographie dépourvue de tout narcissisme, qui est surtout un hommage à ses parents, en particulier à sa mère.
Sécurité, démocratie, économie… Le Togo à l’épreuve
Médiateur dans les crises qui secouent le Sahel, engagé dans la lutte contre la menace jihadiste et relativement résilient face aux chocs économiques externes, Lomé est devenu une référence régionale. Mais, trois ans après la réélection de Faure Essozimna Gnassingbé, les législatives prévues dans les quelques mois vont constituer un véritable test démocratique.
Les livres de Kossi Efoui sont des chants. Des chants d’amour, de liberté, d’émancipation. Peut-être plus que tout autre, Une Magie ordinaire, son sixième roman, entre lui aussi dans cette catégorie. Roman, difficile de dire si le mot convient pour décrire un texte qui relève de l’essai, de l’autobiographie, du poème, de l’acte de dévotion, mais c’est justement la force de ce mot, celle d’accueillir le monde sans l’enfermer. « Le brouillage des lignes de démarcation, c’est ce que j’appelle poésie », affirme l’auteur.
Torture et viol
« L’instant déclencheur de ce livre, c’est la mort de ma mère, il y quinze ans », raconte l’écrivain originaire du golfe de Guinée, dans un café, face à la gare de Nantes où il vit actuellement. « J’ai voulu écrire une sorte d’autoportrait en poète, et ma mère s’est constituée comme une figure centrale de l’histoire », avec cette injonction du début, réelle, jusqu’au récit final, réel lui aussi. Derrière la douceur de son titre, Une magie ordinaire cache un récit sur la violence qui commence par la torture et se termine par un viol.
Rarement Kossi Efoui, habile magicien des mots, n’aura raconté avec autant de clarté sa propre histoire
Au départ, il y a donc cette terrible injonction maternelle, « des mots déchirés par la peur et rapiécés par le courage ». À son enfant « aux os fragiles », à l’étudiant qui vient d’être torturé par la police en raison de ses écrits, la mère ordonne : « Va vivre. Va vivre ailleurs et ne reviens plus. Je préfère que tu sois vivant loin de moi, même à jamais loin de moi, plutôt que mort ici, dans ce pays, dans mes bras. »
Rarement Kossi Efoui, habile magicien des mots, n’aura raconté avec autant de clarté sa propre histoire – et plus précisément l’histoire qui relie, par son intermédiaire, ses parents et ses six enfants. « J’ai sans doute plus fait confiance à la simplicité et accueilli le déroulé du récit, explique l’auteur. Avant, j’avais coutume de dire que l’écriture se passait sur le fil et que le récit, c’était le filet qui permettait de faire l’acrobate. Aujourd’hui, j’ai accepté que le récit soit le fil. »
L’écriture comme port d’attache
Sans jamais suivre un déroulé chronologique strict, Une magie ordinaire offre un portrait d’écrivain qui n’a rien de narcissique : il s’agit plutôt d’un hommage à ceux qui ont fait l’écrivain, qui le font au jour le jour, l’habitent et portent sa créativité.
Ainsi Maxime, son fils de 30 ans, place un jour l’auteur face à lui-même : « J’aimerais savoir s’il y a une part de cette histoire que tu peux partager avec moi, une part qui est aussi mon histoire, et pas seulement ton secret. » Pour y répondre, il fallait « un souci de justesse par rapport aux faits », qui « prime sur l’écriture du roman ».
Nous sommes les enfants de l’indépendance, nous étions considérés comme des enfants porte-bonheur
Voilà donc l’auteur de Solo d’un revenant (2008) et de Cantique de l’acacia (2017) embarqué dans les histoires qui font son histoire, celles de son pays, celles de ses parents, celles de l’écriture comme port d’attache. Il n’y a pas de frontières, l’intime et le politique se rejoignant sans cesse.
« Le fil autobiographique permet d’expliquer tout l’arrière-plan politique, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, analyse Kossi Efoui. Je suis né en 1962. Nous sommes les enfants de l’indépendance, nous étions considérés comme des enfants porte-bonheur. Juste avant notre naissance, nos parents vivaient dans un système colonial ; juste avant eux, leurs parents étaient vendus par paquets de 400. Et pourtant, quand nous sommes entrés dans notre jeunesse, nous avons pu penser que, peut-être, on nous avait menti. On peut raconter la désillusion : elle n’est ni vague ni romantique, elle est réelle. »
Cette réalité de la désillusion, Kossi Efoui l’a ressentie dans sa chair, jeté en exil loin d’une famille aimante quand régnait sur le pays celui qu’il nomme « le Père Fouettard de la nation ». « Le plus difficile n’est pas d’avoir quitté le Togo, dit-il. Dans la mémoire de ma lignée, il y en a toujours un qui s’en va pour faire souche ailleurs. Enfant, je rêvais déjà de partir vers des horizons rêvés. Non, le plus difficile, c’est la violence, le sentiment d’être jeté hors de chez soi – un peu comme d’être rejeté par une famille inhospitalière. »
Les solidarités ont disparu au profit des consciences nationales avec drapeau, équipe de foot et armée d’opérette
Si les mots sont parfois durs à l’égard de ce pays qui l’a vu naître, Kossi Efoui ne pose pas en opposant politique. Il retourne parfois au Togo, sa pièce Isis-Antigone ou la tragédie des corps dispersés y a été jouée et il préfère toujours replacer son histoire dans un contexte plus vaste.
« Nommer mensonge ce qui est mensonge »
« Dire que je suis né dans le golfe de Guinée, c’est nommer mensonge ce qui est mensonge, s’opposer aux fictions administratives. Le golfe de Guinée n’a pas de drapeau, mais il existe dans le réel des populations depuis longtemps et c’est pour moi un territoire plus solide que les tracés coloniaux. Sylvanus Olympio est né dans l’actuel Ghana et il est devenu président de l’actuel Togo. Ce n’est plus possible, les fictions politiques que sont nos frontières ont pris de la consistance. Les solidarités ont disparu au profit des consciences nationales avec drapeau, équipe de foot et armée d’opérette. Jeune activiste, je croyais en un panafricanisme qui ferait sauter les frontières ! »
Quand l’écriture m’advient, c’est de la même façon que ces chants qui venaient à ma mère…
Nommer mensonge ce qui est mensonge, voilà la destinée de l’écrivain. Et cette destinée, c’est la mère qui l’a écrite, de deux manières. « On t’a arrêté parce que tu as écrit ? » « Ce sont les mots avec lesquels ma mère m’a accueilli à la sortie de cellule. Elle ne m’a pas demandé ce que j’avais écrit. Elle savait déjà que j’écrirais toute ma vie. Puisque c’est elle qui m’avait un jour révélé comme dans une vision ce que j’étais appelé à écrire : « Tu écriras sur le mensonge. » » Et puis la mère lui a donné le chant comme elle lui a donné le sein : « À l’heure où le silence était grand, ma mère soudain se mettait à chanter », dit-il. Avant d’ajouter, un peu plus loin : « Quand l’écriture m’est advenue vers mes 12 ans, et aujourd’hui encore quand l’écriture m’advient, c’est de la même façon que ces chants qui venaient à ma mère, et pour les mêmes raisons : pour ne pas trop penser aux choses dures. »
Et pourtant il les écrit, les choses dures, avec poésie et sans fard, mélangeant, unissant le destin d’une famille à la destinée d’un pays. Ouvert avec le départ contraint pour la France, le récit s’achève sur le viol de sa mère par des militaires… Et sur la réponse chantée d’un chœur de femmes, à l’heure de ses funérailles. « C’est nous, mères des vivants, qui vous faisons vivants / Nous vous faisons mâles et femelles / Nous vous faisons frères et sœurs / De même origine nous vous faisons / Toi qui profanes l’origine / Homme de peu de mémoire / Ton origine te renie / Toi qui offenses l’origine / Malheur sous tes pas en tout coin de la terre où tu fuiras le malheur. »
Une magie ordinaire, de Kossi Efoui • Éditions du Seuil • 160 pages, 17,50 euros
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