En Syrie, Asma al-Assad, première dame et prédatrice en chef

Née à Londres, où elle a vécu une première carrière de banquière avant d’épouser Bachar al-Assad, la première dame syrienne est aujourd’hui à la tête d’un système de captation des richesses tentaculaire.

Bachar et Asma al-Assad dans la ville de Jableh, dévastée par le tremblement de terre du 6 février 2023. © Valery Sharifulin/TASS/Sipa

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Publié le 22 avril 2023 Lecture : 5 minutes.

Lorsque les grandes organisations humanitaires et les agences de l’ONU chargées de l’aide aux victimes sont arrivées en Syrie, au lendemain du dramatique tremblement de terre du 6 février, elles ont rapidement compris que leurs opérations dans le pays allaient devoir être réalisées en coopération avec le Croissant-Rouge arabe syrien (SARC) ou, à défaut, avec une puissante ONG locale, le Syria Trust for Development.

Face à l’ampleur du désastres – plus de 50 000 morts et de 100 000 blessés en Turquie et en Syrie –, les humanitaires se sont pliés aux règles, sans se faire d’illusions. Le Croissant-Rouge local est totalement sous le contrôle des autorités syriennes, qui gèrent à leur guise et selon leurs propres priorités la répartition de l’aide internationale.

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Quant au Syria Trust for Development, il est dirigé depuis 2007 par Asma al-Assad, la première dame elle-même, épaulée par Fares Kallas, un ancien conseiller de l’épouse du président. L’ONG a une réputation pour le moins sulfureuse et, officiellement, les Nations unies limitent au maximum leurs collaborations avec elle.

Le Syria Trust, une machine à détourner les aides

Difficile toutefois de la contourner complètement. Créé au départ pour venir en aide au monder rural, le Syria Trust monopolise de fait toute l’activité associative dans le pays, et bien au-delà. Parmi ses subdivisions et filiales, on compte une université, une structure de micro-finance, une autre dédiée au patrimoine culturel…

Plusieurs rapports internationaux présentent l’ONG de Mme Assad comme une machine à détourner les aides et à contourner les sanctions, voire comme le bras armé du régime, mais pour quiconque veut venir en aide à la population syrienne, elle est incontournable. Et avec elle, la première dame.

Asma al-Assad, 47 ans, est pourtant loin d’avoir l’exubérance d’une Leïla Ben Ali, avec qui elle partage un goût prononcé pour les tailleurs blancs. Née à Londres, où ses parents résident toujours, elle y a travaillé dans la banque, chez JP Morgan, et a laissé le souvenir d’une jeune femme ambitieuse et intelligente, mais relativement discrète, plus à l’aise en anglais qu’en arabe. C’est dans la capitale britannique qu’elle rencontre, en 1996, le fils du président syrien Hafez al-Assad, venu parfaire sa formation d’ophtalmologue au St Mary’s Hospital.

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Conseil économique officieux

Le mariage est célébré en 2001, un an après l’accession au pouvoir de Bachar, qui a succédé à son père, décédé le 10 juin 2000. Pour Asma, qui possède la double nationalité et conserve son passeport britannique, l’heure est venue de se couler dans le moule de première dame.

Un changement d’optique radical effectué sous l’autorité de la veuve de Hafez al-Assad, Anissa, qui la dirige avec sévérité et lui fait comprendre que sa responsabilité première est de donner des enfants à son mari afin d’assurer la survie de la dynastie. Mission accomplie : en trois ans le jeune couple donne naissance à Hafez, Zein et Karim.

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Cette partie du contrat étant remplie, l’ancienne spécialiste des fusions et acquisitions à la City peut enfin faire la démonstration de ses compétences dans le domaine de la finance. Le Syria Trust, dont elle prend la tête en 2007, a le profil parfait pour cela : voir une première dame s’investir dans l’humanitaire, quoi de plus normal ?

En vérité, la structure donne à Asma al-Assad un accès direct aux principaux pans de l’économie syrienne. Parallèlement, elle prend la direction d’un conseil économique aussi officieux que tout-puissant, directement attaché à la présidence. Et nomme de nombreux proches à des postes importants, aussi bien dans l’ONG qu’au sein du conseil « secret » : frères, cousins, anciens conseillers ou proches collaborateurs.

Lorsque la guerre civile éclate, en 2011, la première dame se fait discrète et quitte le devant de la scène. Mais les opérations caritatives menées par le Syria Trust auprès des populations accroissent sa popularité et, loin des caméras, elle continue à assurer son emprise.

Alors que l’économie du pays s’effondre, que Damas s’endette auprès de ses alliés russe et iranien, les structures discrètement contrôlées par Asma al-Assad mettent la main sur des entreprises actives dans l’immobilier, la banque, les télécoms. On estime aussi qu’une bonne part des bénéfices générés par l’hôtel Four Seasons de Damas terminent sur ses comptes en banque, même si officiellement son nom n’apparaît nulle part.

En 2019, le régime syrien met sur pied une opération que certains acteurs économiques n’hésitent pas à qualifier de « mafieuse », et qui ressemble trait pour trait à celle menée fin 2017 par le prince saoudien Mohammed Ben Salman à l’encontre de l’élite de son pays. Des dizaines de patrons et entrepreneurs syriens sont assignés à résidence à l’hôtel Sheraton de Damas. On leur reproche, pêle-mêle, d’avoir fraudé le fisc, contourné les règles d’importation ou d’échange de devises. Les avoirs de certains d’entre eux sont gelés, tandis que les autorités font appel à leur patriotisme en les priant de déposer de fortes sommes en dollars à la Banque centrale afin d’aider à stabiliser la lire, dont le cours s’effondre. Les hommes d’affaires ne peuvent quitter l’hôtel qu’après le versement par leur famille d’une amende, dont le montant est généralement exorbitant.

Enrichissement personnel

Selon plusieurs experts, l’argent ainsi collecté n’atterrit pas dans les coffres du Trésor public syrien mais sur des comptes liés au palais présidentiel. L’opération, dit-on, a été entièrement conçue par le conseil économique dirigé par Asma. Le président Bachar al-Assad y est-il directement associé ? Personne ne peut l’assurer, mais les proches du couple présidentiel assurent que le chef de l’État fait toute confiance à son épouse, ancienne banquière, dans le domaine financier. Quoi qu’il en soit, le système de détournement mis en place profite en premier lieu au couple, dont le patrimoine et les comptes en banque ne cessent de gonfler.

Ce pillage est connu, mais la Syrie est dans un tel état que les partenaires internationaux s’en accommodent, préférant résoudre des crises plus urgentes. En 2021, le Royaume-Uni a tenté de retirer sa nationalité britannique à Asma, accusée de complicité dans des affaires de violations des droits de l’homme et soumise à des sanctions internationales. Toujours discrète, la première dame de Damas n’a pas réagi officiellement, ses apparitions publiques continuant d’ailleurs à se faire au compte-gouttes. Mais selon les médias de Londres, elle est toujours en possession de son passeport britannique.

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