Pierre Moscovici : « Mon objectif : doubler les flux commerciaux entre la France et l’Afrique »
A la veille de la grande conférence économique que ses services organisent à Paris, Pierre Moscovici a accordé à Jeune Afrique un long entretien. Le ministre français de l’Économie et des Finances veut redynamiser les échanges entre la France et l’Afrique, sur la base de partenariats mutuellement bénéfiques.
Les temps sont difficiles pour Pierre Moscovici. Publiquement – et « injustement », selon lui – mis en cause en début d’année dans le cadre de l’affaire Cahuzac (du nom de son ancien ministre du Budget, accusé de fraude fiscale), confronté à une situation sociale critique, le ministre français de l’Économie et des Finances semble aujourd’hui déstabilisé par Jean-Marc Ayrault, le chef du gouvernement, sur la question de la réforme fiscale. Du coup, pour cet ancien proche de Dominique Strauss-Kahn, le front africain semblerait presque un havre de paix…
À 56 ans, celui qui confie que « la politique s’accommode mal de l’inactivité » veut que la France reprenne l’initiative dans une Afrique en pleine croissance. Certes, lui-même concède « mal la connaître », mais ses équipes l’assurent : jamais un ministre français de l’Économie ne s’est autant intéressé à cette partie du monde. À la veille du grand événement organisé par son ministère et le Medef International pour redynamiser les relations économiques entre la France et le continent, il a reçu Jeune Afrique dans son bureau de Bercy.
Propos recueillis par Julien Clémençot et Frédéric Maury
Jeune Afrique : François Hollande organise son premier sommet Afrique-France. Qu’en attendez-vous ?
Pierre Moscovici : C’est un événement politique majeur, qui fera date et qui arrive à un moment où les relations entre l’Afrique et la France ont atteint une qualité exceptionnelle. La France a montré son engagement envers le continent, et François Hollande a fait preuve d’un courage particulier en intervenant au Mali pour défendre le principe de la liberté des peuples. L’un des enjeux majeurs de ce sommet sera de prolonger cette dimension sécuritaire. La France et l’Afrique ont un destin commun.
Nous devons reprendre l’initiative, car nos parts de marché se sont effritées.
Une fois n’est pas coutume, des dirigeants anglophones seront conviés. L’Élysée veut-il éviter de s’enfermer dans un dialogue avec le pré carré francophone ?
Ce n’est pas un sommet comme il a pu en exister, avec un aspect nostalgique et passéiste. Il est ouvert à toute l’Afrique, et son ordre du jour, qui va des questions climatiques aux questions économiques, est bien fourni. Nous devons parler avec l’ensemble du continent. La France n’a pas de positions exclusives figées pour l’éternité. Nous avons des concurrents. Il faut être dynamiques et offensifs.
Le volet économique occupera une place importante…
Il y a une prise de conscience de l’énorme potentiel économique de l’Afrique. C’est un continent certes hétérogène, mais il converge avec les Brics [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud], et un nombre croissant de pays africains sont désormais émergents, avec une classe moyenne en expansion. Le travail de Bercy consiste à favoriser le développement d’un véritable partenariat mutuellement bénéfique, avec une répartition de la chaîne de valeur ajoutée sur nos territoires respectifs dans le cadre de ce qu’on appelle la colocalisation. Il nous faut être très ambitieux, c’est pourquoi je propose que nous fixions l’objectif d’un doublement des flux commerciaux entre le continent et la France, pour atteindre 120 milliards d’euros d’ici à cinq ans.
La France ne prend-elle pas un peu tard le train de la croissance africaine ?
Je n’ai pas l’intention de m’apesantir sur le bilan ou de remettre en cause le passé. Il faut se tourner vers l’avenir et abandonner une logique de stock pour adopter une logique de flux. J’ai donc demandé à cinq personnalités liées à l’Afrique – le diplomate Hubert Védrine, le financier Lionel Zinsou, l’économiste Hakim el-Karoui, l’ancien patron de l’AFD [Agence française de développement] Jean-Michel Severino et l’assureur Tidjane Thiam – de me remettre le 4 décembre un rapport qui s’appuie sur un principe fort : la croissance de l’Afrique et celle de la France sont indissociablement liées ; l’agenda économique des responsables africains, c’est le nôtre. De mes discussions avec les auteurs du rapport, il ressort que nous disposons d’atouts indéniables : les Africains représenteront 85 % des francophones dans le monde en 2050 ; l’Afrique est une terre de croissance pour la France, ce qui pourrait représenter, pour elle, un enjeu de plus de 200 000 emplois. Mais nous devons repartir de l’avant, car nos parts de marché en Afrique subsaharienne se sont effritées ces dix dernières années.
Avez-vous le sentiment que le discours sur l’Afrique évolue ? On a parfois l’impression que faire des affaires sur le continent est perçu de façon négative…
Il faut changer ce regard. C’est tout le sens de l’événement que nous organisons le 4 décembre avec Medef International à Bercy. Il y aura plus de 500 entreprises françaises et africaines, ainsi que des chefs d’État.
Que pensez-vous de la politique des visas, notamment à l’égard des décideurs et des futures élites ?
Il faut favoriser la promotion des jeunes talents entrepreneuriaux, à la fois français et africains, et accroître les échanges dans ce domaine. Nous ferons des propositions en ce sens lors du sommet. Concernant les visas, il faut dissocier la question des flux migratoires de celle touchant aux mouvements des élites africaines. Ces dernières doivent voir dans la France une terre accueillante. De nombreux progrès ont été accomplis dans ce domaine, qui est du ressort de mes collègues Laurent Fabius [Affaires étrangères] et Manuel Valls [Intérieur]. En mars, les directives données aux consulats pour délivrer des visas aux hommes d’affaires ont été largement améliorées.
Dispositif exceptionnel de Jeune Afrique :
A l’occasion de la conférence économique organisée le 4 décembre en marge du Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, Jeune Afrique déploie une partie de sa rédaction économique à Bercy, où se tient l’événement.
Rendez-vous sur la page spéciale créée à cette occasion.
La France dispose-t-elle de moyens financiers suffisants, notamment face à ses nouveaux concurrents ?
Les flux financiers sont fondamentaux. Il y a les flux publics qu’il faut maintenir, mais pour stimuler les flux privés, il faut aussi réduire l’évaluation du coût du risque pays en Afrique, qui alourdit le coût des investissements.
La perte d’influence de la France en Afrique n’est-elle pas également due à la multiplication et à la mauvaise coordination des organes de coopération ?
La diplomatie économique est forcément une coproduction entre plusieurs ministères. Les ambassades et les services économiques doivent travailler ensemble. Il n’y a plus de ministre de l’Afrique, et les différents ministères concernés s’occupent de plus en plus eux-mêmes, directement, du continent. Nous avons stabilisé les effectifs des services économiques, et Ubifrance [l’agence française pour le développement international des entreprises] a ouvert plusieurs bureaux en Afrique.
Trouvez-vous normal que des entreprises chinoises, dont le pays pratique l’aide liée, réalisent des projets financés par l’aide publique française ?
Le déliement de l’aide permet également à nos entreprises de bénéficier de l’aide accordée par d’autres pays… Notre approche diffère de celle de la Chine en ce qu’elle est plus désintéressée et que nous prenons davantage en compte des objectifs de développement. Ce qui ne veut pas dire que nos entreprises ne bénéficient pas de l’aide française.
Est-il possible de rénover nos relations, de les rendre respectueuses de la bonne gouvernance, sur un continent stratégique pour l’approvisionnement de la France en ressources naturelles ?
Il faut tendre vers la transparence et la bonne gouvernance. Lors des dernières assemblées générales de la Banque mondiale, j’ai signé une facilité financière dans le domaine des industries extractives afin d’éviter la captation de cette rente, et de lutter contre l’opacité et la corruption.
Selon l’ONG Oxfam, le Niger n’a touché que 459 millions d’euros sur les 3,5 milliards tirés par Areva de l’extraction de l’uranium de ce pays. Pourquoi la transparence et l’équité ne s’appliquent-elles pas dans ce cas précis ?
Fort heureusement, les chiffres dont je dispose sont beaucoup plus favorables que cela pour le Niger. De manière générale, nous jouons notre rôle d’actionnaire en plaidant en faveur de la transparence.
La France a une ambition africaine. Qu’en est-il de l’Europe ?
L’Europe et les Européens sont présents en Afrique. Il y a une politique sécuritaire commune, mais pas de politique économique. Nous sommes des partenaires mais aussi des concurrents en Afrique. J’appelle mes collègues européens et africains à conclure enfin les négociations des accords de partenariats économiques.
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