Afrique : les nouveaux territoires que la France veut explorer

Chahutées par la concurrence mondiale, les firmes hexagonales tentent de résister en s’ouvrant au reste de l’Afrique. Après avoir longtemps considéré les pays francophones, quelles sont leurs nouvelles cibles ?

Veolia Transdev exploite le tramway de Rabat-Salé, au Maroc. © Hassan Ouazzani/JA

Veolia Transdev exploite le tramway de Rabat-Salé, au Maroc. © Hassan Ouazzani/JA

Publié le 17 décembre 2013 Lecture : 7 minutes.

En cette fin 2013, les bonnes nouvelles pour les entreprises françaises sont souvent arrivées d’Afrique. À commencer par ce « contrat du siècle » signé par Alstom en Afrique du Sud, dans le sillage de la visite de François Hollande, avec l’opérateur ferroviaire public Prasa : 3,8 milliards d’euros pour la fourniture, entre 2015 et 2025, de 600 trains de banlieue (soit 3 600 voitures). Au même moment, GDF Suez annonçait la construction d’une centrale thermique pour 1,5 milliard d’euros.

Balance-com-France-Afrique infoEn septembre, c’était le Mozambique qui, en passant commande de 24 chalutiers et de six patrouilleurs pour quelque 200 millions d’euros, assurait aux chantiers navals de Cherbourg deux années de travail. Quelques mois plus tôt, le groupe Eiffage annonçait réaliser les terre-pleins du port de Lomé pour 26 millions d’euros, et Thales, spécialiste de l’électronique de défense, signait trois contrats évalués à plusieurs centaines de millions d’euros en Afrique du Sud et en Égypte.

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Cette avalanche de gros contrats est-elle le signe d’un nouvel essor des échanges entre la France et le continent ? S’agissant des exportations françaises, la progression est indiscutable. Entre 2004 et 2012, alors qu’elles augmentaient de 28 % au total, celles en direction de l’Afrique bondissaient de 55 %, ce qui en fait la deuxième zone la plus dynamique après l’Asie (+ 109 %).

Mais cette progression reste marginale, puisque, avec 44,3 milliards d’euros exportés vers le continent, cette région ne représente toujours que 11 % des ventes des entreprises françaises à l’international. C’est peu. Et la liste des huit principaux pays destinataires – qui comptent pour environ trois quarts des exports à destination du continent – ne bouge pas : on retrouve l’Algérie (au 14e rang mondial), largement en tête devant le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Leurs excellences à la manoeuvre

À trop vouloir promouvoir les aspects politiques et culturels – plutôt que jouer les VRP du patronat -, la diplomatie française aurait-elle pénalisé ses exportateurs ?

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Laurent FabiusC’est l’avis de Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, qui a promu la « diplomatie économique » dès son arrivée au Quai d’Orsay en 2012.

Objectif : mettre le réseau hexagonal au service des entreprises pour les aider à décrocher des contrats à l’étranger. Parmi les six pays jugés prioritaires et qui ont suscité la nomination de représentants spéciaux, l’Algérie, avec l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

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Mais partout, ce sont les ambassadeurs eux-mêmes qui sont priés de mettre la main à la pâte. « La France a l’un des plus beaux réseaux d’ambassadeurs en Afrique, se félicite Philippe Gautier, directeur général adjoint de Medef International. Seulement, nous avons longtemps été très naïfs dans notre diplomatie. Nous le sommes moins. Les objectifs des ambassades sont beaucoup plus économiques qu’avant, même si nous n’irons jamais jusqu’à y nommer des chefs d’entreprise, comme le font parfois les Chinois ou les Américains. »

Les patrons semblent satisfaits de ces nouvelles orientations. « Les ambassadeurs délèguent moins ces dossiers à leurs conseillers économiques », se réjouit Jean-Marc Brault de Bournonville, président de la commission Afrique et océan Indien du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF). Alexandre Vilgrain, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), nuance : « Le discours est très bien, mais on peut se demander s’il n’y a pas parfois un manque de concertation avec le ministère de l’Économie. »

Sébastien Dumonlin

Effort

Ces chiffres sont malheureusement trompeurs sur un continent qui connaît de forts taux de croissance. En réalité, la France y perd des parts de marché. En Algérie, le nombre de ses PME présentes a chuté de 40 % entre 2005 et 2011, à en croire le ministère français du Commerce extérieur.

Globalement, selon une étude de mai 2012 de la Direction générale des douanes intitulée « Les positions françaises en Afrique menacées », la France a vu ses parts de marché sur le continent s’effondrer de 16,2 % à 8,9 % entre 2000 et 2010, essentiellement au bénéfice de la Chine (qui passe sur la même période de 3,4 % à 12,5 %) et, dans une moindre mesure, des autres grands émergents (Inde, Russie, Brésil).

« Les Français avaient des quasi-monopoles, ce n’était pas tenable. Compte tenu des taux de croissance de cette zone, il est tout à fait normal que nos parts de marché diminuent. L’essentiel est que le chiffre d’affaires progresse », tempère Alexandre Vilgrain, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) et PDG du groupe agro-industriel Somdiaa.

Face à la concurrence, « les entreprises françaises ont dû faire un effort tarifaire, notamment dans le BTP », assure-t-on au Club d’entreprises Bordeaux Afrique (CBSOA). Et si certains secteurs d’exportation de moyenne technologie, comme le matériel électrique ou informatique, souffrent, d’autres tirent leur épingle du jeu – énergie, télécoms, agro-industrie -, voire se découvrent des débouchés africains – comme la sécurité numérique avec Gemalto ou la ville durable avec Lafarge, Schneider Electric, Aegys…

Forte de ces domaines d’expertise, la France a désormais pour ambition de sortir de sa zone d’influence traditionnelle et de capter une part de la croissance des grands pays anglophones et lusophones que sont l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria, la Tanzanie ou le Kenya.

Le plus récent des cinq bureaux africains de l’Agence française pour le développement international des entreprises (Ubifrance) a d’ailleurs ouvert à Nairobi en septembre. « Ces nouveaux marchés peuvent même attirer des PME expérimentées », s’enthousiasme le CBSOA, qui a déjà accompagné une quarantaine d’entreprises au Ghana, au Nigeria, en Afrique du Sud, en Éthiopie et en Angola et qui ajoutera l’an prochain quatre ou cinq pays à cette liste.

De l’avis de tous les acteurs impliqués dans les relations commerciales entre la France et l’Afrique, les firmes hexagonales font preuve d’un regain d’intérêt pour le continent. L’avenir de l’entreprise française en Afrique est donc probablement plus radieux que la situation actuelle, pour le moins mitigée. Il n’est pas anodin de voir certaines grandes entreprises comme JCDecaux ou Dassault Systèmes affirmer des ambitions africaines.

Maillage

« Il y a dix ans, il était difficile de recruter pour l’Afrique. Aujourd’hui, on trouve des gens très compétents que cela intéresse », assure Alexandre Vilgrain, qui estime que le maillage aérien du continent, grâce à des compagnies comme Royal Air Maroc, Air France ou Emirates, facilite les échanges. « Il devient également beaucoup plus facile de se financer, grâce à des acteurs panafricains comme Ecobank ou Attijariwafa Bank, qui pratiquent des taux intéressants », relève pour sa part Guillem Batlle, chargé de mission Afrique subsaharienne et océan Indien à Medef International. L’organisme patronal accompagne aujourd’hui 5 000 entreprises françaises en Afrique. Un nombre encore faible ? Peut-être, mais c’est cinq fois plus qu’il y a dix ans !

Champions toutes catégories (ou presque)

Quels sont les secteurs où la France réussit le mieux ? Et quelles sont les entreprises qui comptent – ou qui montent ?

Énergie

Areva, EDF, Total, GDF Suez… Les grands noms français sont tous très actifs en Afrique, accompagnés de plus petites structures comme Vergnet qui, cette année en Éthiopie, a fourni les 84 éoliennes de la ferme d’Ashegoda – la plus grande d’Afrique.

Transports

Si Air France lutte pour conserver ses parts de marché dans un secteur aérien de plus en plus concurrentiel, l’expertise française dans le transport ferroviaire bénéficie à plein à Alstom (tramway de Sétif, en Algérie), à Bolloré (ligne Conakry-Kagbélen, en Guinée), à la RATP (métro d’Alger et tramway de Casablanca) et à la SNCF (qui doit construire au Maroc le premier tronçon de ligne à grande vitesse africaine).

Ports

CMA CGM, troisième armateur mondial, Necotrans et Bolloré comptent parmi les acteurs incontournables du secteur, même s’ils sont plus familiers des contentieux (sur les ports d’Abidjan et de Conakry) que de la coopération…

Eau assainissement

Veolia, Degremont (filiale de GDF Suez) et des PME comme le rouennais Concert’eau ou le nordiste Aloès sont les porte-drapeaux du savoir-faire français en matière de construction et de gestion des services liés à l’assainissement et à l’eau potable.

Agroalimentaire

Les poids lourds sont nombreux, du brasseur Castel à l’huilier Sofiprotéol (propriétaire de Lesieur) en passant par le sucrier Somdiaa, le producteur de coton Geocoton ou le laitier Danone, qui vient de racheter la moitié de Fan Milk, premier fabricant et distributeur de produits laitiers glacés et de jus de fruits en Afrique de l’Ouest.

Télécoms

Sur un marché africain qui est aujourd’hui le plus dynamique au monde, Orange dispose d’une réelle assise. Présent dans 18 pays du continent, il compte se lancer très bientôt en Afrique du Sud. Eutelsat et Canal+ sont très bien placés eux aussi.

Numérique

Pendant que Morpho (filiale du groupe Safran) équipe la Mauritanie en documents d’identité électroniques, le franco-néerlandais Gemalto réalise les registres d’état civil biométriques du Gabon et du Burkina Faso, entre autres, mais aussi les passeports marocains et bientôt les cartes d’identité sud-africaines.

Santé

Outre le leader mondial Sanofi, présent dans dix pays africains et qui a annoncé investir 70 millions d’euros dans une usine en Algérie, la France compte de nombreuses sociétés bien établies dans la distribution de produits médicaux, comme Eurapharma (groupe CFAO, passé sous contrôle japonais), la PME toulousaine Tridem Pharma (qui réalise 100 % de son activité dans 21 pays africains) ou la bordelaise MédEx.

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