En Algérie, Tebboune et le mirage des trois hôtels de luxe d’Ali Haddad
Dans sa récente interview accordée à la chaîne Al-Jazeera, le chef de l’État affirmait que l’Espagne était prête à restituer à l’Algérie trois hôtels appartenant à l’ancien homme d’affaires condamné pour corruption et blanchiment. La réalité est plus complexe.
Le président Abdelmadjid Tebboune a-t-il été induit en erreur par ses conseillers ou par des rapports de la chancellerie concernant l’opération de restitution des biens et des avoirs acquis par d’anciens oligarques à l’étranger, notamment en Espagne ? Dans une récente interview accordé à Al-Jazeera Podcasts, le président affirme que Madrid a accepté de restituer au trésor algérien trois hôtels cinq étoiles acquis dans ce pays par un ancien homme d’affaires, dont il refuse de citer le nom.
Cet acquéreur que le chef de l’État refuse de nommer n’est autre qu’Ali Haddad, ancien PDG du groupe ETRHB et ex-président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), incarcéré à la prison de Tazoult, dans l’est du pays. Quant aux trois hôtels, que Tebboune ne mentionne pas non plus, il s’agit de l’Hotel El Palace Barcelona, de l’Hotel Miramar Barcelona et du Gran Hotel La Florida, tous situés à Barcelone.
L’Espagne serait-elle donc prête à les restituer ? Sur le papier, l’opération constituerait un beau succès pour les autorités algériennes, lancées depuis des années dans une vaste opération de récupération des biens accumulés par les anciens puissants de l’ère Bouteflika. Dans les faits pourtant, la situation est beaucoup plus que complexe que ne la présente le chef de l’État. D’abord les résultats des commissions rogatoires internationales sont plutôt en deçà des attentes des autorités algériennes.
Plus de 220 commissions rogatoires et demandes d’entraides judiciaires ont été adressées à plusieurs pays (Espagne, France, Italie, Émirats, Royaume-Uni, Luxembourg, États-Unis, Suisse, Liban…) pour tenter d’identifier les biens acquis par d’anciens oligarques et d’anciens ministres qui ont fait l’objet de condamnations par la justice algérienne. Mais jusqu’à l’an dernier, la commission envoyée par le parquet d’Alger en Espagne pour réclamer des informations sur les avoirs d’Ali Haddad est revenue bredouille, avance un des avocats de ce dernier qui n’a pas souhaité être identifié. Les résultats plutôt maigres de ces commissions rogatoires contrastent avec l’optimisme affiché par Abdelmadjid Tebboune sur le plateau d’Al-Jazeera.
Un hôtel, et non trois
Surtout, et contrairement à ce que celui-ci avance, Ali Haddad n’a pas acquis trois hôtels à Barcelone mais un seul : l’hôtel El Palace Barcelona, ex-Ritz. Avec ses 120 chambres et suites, une majestueuse terrasse, un cabaret et un restaurant haut de gamme, El Palace a accueilli notamment Joséphine Baker, Frank Sinatra, Dalí, Ronnie Wood ou encore Joan Miró. Aujourd’hui, il constitue toujours l’un des endroits les plus chics de Barcelone.
C’est en 2011 qu’Ali Haddad a acheté l’établissement auprès de la société Inmobiliaria Sarasate, via Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L dont il est l’administrateur unique. Le prix exact de cette transaction n’a jamais été rendu public. Selon la presse espagnole, il aurait coûté 80 millions d’euros. D’autres sources médiatiques avancent le chiffre de 68 millions d’euros. Le principal intéressé évoque un montant largement inférieur à ces sommes.
Par ailleurs, Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L a été enregistrée le 16 décembre 2011 au registre de commerce de Barcelone sous le code B65675571. Six jours plus tard, Radia Bouziane, ressortissante algérienne naturalisée espagnole en 2019, est nommée fondée de pouvoir de Aginyo Inversiones. Progressivement, le nom de Haddad va sortir des radars.
Interrogé lors de son procès en juin 2020, Ali Haddad explique avoir acheté El Palace Barcelona pour 54 millions d’euros grâce à trois prêts de banques espagnoles, ainsi qu’une avance de 5 millions d’euros d’un généreux ami qui lui avait ouvert les portes de banques ibériques. À l’époque, le magistrat n’a pas jugé opportun de le questionner sur les noms de ces banques ni sur l’identité de cet ami ou sur les modalités et les conditions des prêts. Pas plus que sur leurs échéances de remboursements.
Quid alors du montage financier ? Selon des informations du quotidien El Watan, le montage pour l’acquisition d’El Palace se repartit ainsi : une ligne de crédit de 44 millions d’euros allouée par une banque espagnole et 10 millions d’euros avancés, à hauteur de 5 millions d’euros chacune, par l’entreprise de BTP turque Mapa et l’entreprise portugaise Teixeira Duarte avec lesquelles ETRHB de la famille Haddad était associé dans de nombreux projets en Algérie pour plusieurs centaines de millions d’euros.
Mais Ali Haddad est-il toujours le propriétaire de l’hôtel El Palace ? Depuis son acquisition en 2011, son nom et le nom de sa société Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L n’apparaissent plus sur les registres de commerce de Barcelone. En juillet 2014, la gestion de l’hôtel est confiée à l’entreprise Skidbladnir SL dont Radia Bouziane est l’unique propriétaire. Exit le nom d’Ali Haddad. Deux ans plus tard, l’établissement passe aux mains de la société Royal Blue Bird SL dont Radia Bouziane est propriétaire unique, et qui le possède toujours à ce jour. Là encore, le nom de l’homme d’affaires n’apparaît nulle part dans les documents officiels que la société a été tenue de faire enregistrer lors de la modification de statuts ou de gérants.
Un propriétaire libano-britannique
Il faudrait donc des années de procédures judiciaires pour, d’abord, démêler la complexité et l’enchevêtrement des montages financiers et juridiques des statuts de cet hôtel, et ensuite prouver que l’ancien oligarque en est toujours l’unique propriétaire, ou l’un des principaux actionnaires. Il faudrait aussi livrer des batailles longues et âpres contre cette banque qui lui aurait prêté 44 millions et contre ces deux entreprises, Mapa et Teixeira Duarte, qui souhaiteraient logiquement récupérer les fonds qu’elles auraient prêtées pour cet achat.
Quant aux deux autres hôtels, l’Hotel Miramar Barcelona et le Gran Hotel La Florida, dont parle Abdelmadjid Tebboune dans son interview, Ali Haddad n’en a jamais fait l’acquisition. En 2016, il s’était effectivement intéressé à ces deux établissements de luxe dans le but d’élargir son patrimoine dans l’hôtellerie en Espagne. Toutefois, ces deux transactions n’ont pas abouti en raison notamment du gros volume de dettes des deux hôtels, environ 50 millions d’euros.
Aujourd’hui, ces deux établissements appartiennent au milliardaire libano-britannique Boutros Joseph El-Khoury, qui les a acquis en 2010 via son fonds d’investissements Continental Property Investment (CPI) auprès du fonds américain Area Property.
Depuis plusieurs années, El-Khoury tente de les revendre sans succès. En octobre 2022, il a mandaté Savills, un grand cabinet de conseil en immobilier d’entreprise, pour tenter de les remettre sur le marché pour un montant total de 60 millions d’euros, mais aucun repreneur ne s’est manifesté. Et aucun des documents déposés au registre du commerce de Barcelone depuis 2010, au nom du Gran Hotel La Florida SA ou de l’Hotel Miramar Barcelona SA, ne fait apparaître le nom d’Ali Haddad.
On voit mal, dès lors, pourquoi et comment l’Espagne accepterait-elle de restituer à l’Algérie deux hôtels qui n’ont a priori aucun lien avec l’oligarque emprisonné.
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