Tensions tuniso-américaines autour de l’aide militaire

Depuis 2017, Washington soutient financièrement un programme pour sécuriser la frontière avec la Libye. Mais face à ce qu’ils qualifient de dérive du régime tunisien, les Américains annoncent une réduction du budget alloué à l’opération.

Militaires tunisiens à la frontière avec la Libye, à Tatouine, le 12 juillet 2020. © YASSINE GAIDI/Anadolu Agency via AFP

Publié le 14 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

« Nous ne sommes pas capables de protéger nos frontières par nos propres moyens et je découvre que les États-Unis participent à leur sécurisation. » La spécialiste en communication Amel Adouani n’a pas apprécié de découvrir dans un média français que Washington était récalcitrante à entamer la troisième et dernière phase de la sécurisation de la frontière tuniso-libyenne, un programme mené par l’armée tunisienne avec le soutien financier des Américains et des Allemands.

Cette coopération initiée depuis 2017 est actuellement mise à mal. En cause, le coup de froid dans les relations tuniso-américaines. En août 2021, les États-Unis ont signifié qu’ils désapprouvaient le processus politique engagé en Tunisie depuis le 25 juillet 2021 par le président Kaïs Saïed, qu’ils considèrent comme un recul démocratique. Les sphères diplomatiques américaines campent sur leur position : le sénateur Chris Murphy, chargé des relations extérieures au Sénat, appelait encore le 12 avril les alliés européens à défendre la démocratie, après avoir déploré devant ses collègues sénateurs que « les États-Unis financent des pays qui s’en éloignent ».

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Coupe claire

Ce discours et cette fermeté ne sont pas feints : dans la pratique, Washington a réduit drastiquement l’aide accordée à la Tunisie. En 2017, le Congrès américain s’était opposé à l’administration Trump qui souhaitait ramener le budget de 142 millions de dollars en 2016, à 54,6 millions en 2018. La coupe claire n’avait alors pas eu lieu mais aujourd’hui, face à la politique du chef de l’État tunisien, l’administration Biden a décidé de trancher et prévoit de réduire son soutien de 106 millions de dollars en 2023, à 68,3 millions, en 2024.

« L’administration Biden a proposé de réduire de près de moitié l’aide militaire américaine à la Tunisie alors que les dirigeants du pays nord-africain continuent sur la voie de l’autoritarisme », indiquait le 1er avril le site Al-Monitor, basé à Washington. L’appui militaire est le premier secteur à subir l’effet de ces coupes budgétaires, avec une enveloppe globale passant de 112,1 millions de dollars en 2022 à 53,8 millions en 2024. En matière de sécurisation et de renforcement des contrôles aux frontières, 85 millions de dollars avaient été attribués en 2022, et il n’est plus question que de 45 millions de dollars pour 2024. Pour mesurer l’effet de ces décisions sur la Tunisie, il faut rappeler qu’en 2016, l’aide américaine comptait pour 10 % de son budget militaire.

Frontière sensible

Dans les faits, plusieurs projets se trouvent gelés, en particulier celui qui concerne la sécurisation du dernier tronçon de la frontière tuniso-libyenne, élément stratégique essentiel à la Tunisie. Avec la rémanence du conflit libyen depuis 2011 et les attaques terroristes de 2015, la Tunisie a plusieurs fois fermé ses frontières avec son voisin de l’est pour assurer sa propre stabilité. Quant à la frontière sud, connue pour être poreuse et constituer un lieu de passage de tous les trafics, la Tunisie avait décidé, dans un premier temps, d’ériger un mur, ou plutôt un système d’obstacles empêchant l’accès à son territoire sur 200 des 500 kilomètres qui séparent la Tunisie et la Libye, depuis la côte et le point frontière de Ras Jedir jusqu’à la limite saharienne de Borj El Kadhra.

Ce dispositif devait être doublé par un système de surveillance électronique de détection financé conjointement par les États-Unis et l’Allemagne, qui avaient décaissé 35 millions de dollars. Sur 180 kilomètres, la première partie du système électronique, allant de Ben Gardane à Dhehiba s’est achevée en 2017. Le deuxième tronçon de 100 kilomètres entre Dhiba à Bir Zar a été bouclé en 2021. Restent 200 kilomètres entre Bir Zar et Borj El Kadhra, la section la plus sensible puisqu’elle borde une zone militaire fermée. C’est le financement de cette dernière phase que suspendent les États-Unis.

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Tropisme anti-occidental

La position américaine est d’autant plus frappante qu’en 2020, le Pentagone avait signé un accord de dix ans avec les autorités tunisiennes, prévoyant un appui pour la formation et l’équipement dans le domaine de la lutte antiterroriste mais aussi pour le renforcement sécuritaire à la frontière avec la Libye. Mark Esper, alors à la tête du ministère de la Défense, avait déclaré que l’objectif était de faire face « aux extrémistes violents qui représentent une menace » mais aussi « à nos concurrents stratégiques : la Chine et la Russie ». La décision de geler une partie de l’aide semble donc paradoxale à l’heure où, en Tunisie, certains mouvements politiques comme celui du « 25 juillet », inspiré par Kaïs Saïed, affichent un tropisme anti-occidental et souhaitent intégrer la Tunisie aux Brics.

Du côté des autorités libyennes qui n’avaient pas apprécié le projet du « mur », on semble esquisser une réaction. Sans raisons apparentes et sans que la commission conjointe tuniso-libyenne en charge du contrôle des mouvements frontaliers entre les deux pays n’ait entamé ses travaux, le ministère de l’Intérieur du gouvernement d’union nationale libyen a déployé, le 26 mars, des patrouilles de son unité sahraouie tout au long de la frontière avec la Tunisie depuis la région el-Assa à El Ahimer.

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