Le lamba, quand les créateurs revendiquent leur identité malgache

Alors que deux expositions lui sont consacrées, cette étoffe longtemps boudée par la jeunesse réinvestit le vestiaire contemporain sous l’impulsion d’une nouvelle génération de designers de mode.

Le Lamba, tissu traditionnel malgache. © Johann Nirina Niaina

eva sauphie

Publié le 9 juillet 2023 Lecture : 6 minutes.

« Je suis fière d’être une femme malgache à la tête d’une marque de vêtements malgaches conçus à Madagascar », scande Tania Andriamanga. Cette entrepreneuse de 28 ans a créé Andria, un jeune label de vêtements revisitant le lamba dit « arindrano », tissu traditionnel de l’île rouge. Jupes tissées à rayures colorées, frangées et fendues, crop tops incrustés de boutons en palissandre – essences de bois poussant à Madagascar – chemises en lin brodées à la main… Voici les quelques pièces de sa première collection baptisée Taniko, qui signifie « ma terre ».

Ce nom n’a pas été choisi par hasard, puisque derrière la marque se cache la volonté, pour la créatrice née à Madagascar et ayant grandi à La Réunion avant de poursuivre ses études de commerce en France, de valoriser un patrimoine qu’elle a mis, un temps, entre parenthèses. « En m’éloignant de mon pays, j’ai ressenti de la nostalgie à mesure que je grandissais, confie-t-elle. J’ai alors voulu avoir une influence positive en mettant en avant ma culture à travers une démarche écologique », détaille celle qui revalorise le lamba en utilisant des fins de stocks provenant de la principale usine textile du pays. Et qui travaille avec des tisserands installés dans le sud de l’île et trois ateliers implantés à Tananarive : l’un dédié à la confection et à la broderie, et les deux autres aux techniques de modelage plus complexes pour les combinaisons et tops.

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« J’ai toujours vu ma mère, une chanteuse populaire à Mada, porter le lamba dans les années 1990 en le transformant pour en faire des habits de scène, glisse Tania. C’était très avant-gardiste à l’époque. » Et surtout, assez inédit. Aujourd’hui, rares sont celles et ceux à revêtir cette étoffe traditionnellement blanche portée en châle, aussi bien par les hommes que par les femmes.

Revalorisation d’un patrimoine oublié

Longtemps associé à la noblesse, cette pièce textile que l’on attache autour du cou et sous l’aisselle lors de cérémonies comme les mariages et les funérailles, gagne ensuite les milieux plus modestes et ruraux, et s’offre de la couleur. Aujourd’hui menacés par l’industrialisation et la malfaçon chinoise, les lamba traditionnels sont reconnaissables grâce à leur confection ancestrale. Classiquement, il s’agit d’un panneau rectangulaire aux dimensions normées tissé à la soie sauvage (landybe) ou à la soie domestique (landykely). D’autres ressources naturelles sont utilisées comme le raphia, surtout sur les côtes est et nord-est de l’île. Tania, elle, a opté pour le coton bio issu de l’agriculture locale – la culture de cette espèce non-endémique à Madagascar est récente – pour éviter toute fibre textile d’origine animale.

À Mada, quand on parle de modernité dans la mode, on lorgne vers l’Europe et l’Occident. La colonisation y est pour beaucoup

C’est animé par la même nostalgie et le même désir de revalorisation d’un patrimoine perdu que Tsiriniaina Hajatiana Irimboangy, un jeune designer-chercheur de 25 ans, décide de dédier son sujet de recherche au tissu traditionnel malgache. Ce graphiste de formation né à Madagascar a dû quitter son île natale pour Paris afin d’y étudier le design et les arts appliqués, faute d’une école spécialisée implantée sur place. Soucieux de préserver la culture malgache et happé depuis l’enfance par le textile, c’est naturellement qu’il porte sa réflexion sur l’histoire du lamba.

« Les jeunes de ma génération n’ont pas cet attachement inhérent à leur culture, car ils ont grandi avec. Dans mon cas, mon passage en France m’a permis de prendre du recul. Et cette prise de conscience était teintée de nostalgie », constate l’auteur du mémoire Le lamba, du vêtement traditionnel symbolique au vêtement manufacturé industriel (bourse Yavarousshen, 2022). « Cette étoffe est boudée par les jeunes car elle est considérée comme désuète, vieillotte. À Mada, quand on parle de modernité dans la mode, on lorgne vers l’Europe et l’Occident. La colonisation y est pour beaucoup, estime-t-il. Par ailleurs, le lamba est un tissu associé à la naissance – le nourrisson est drapé dans un lamba blanc –, mais aussi à la mort car le défunt est enseveli dans ce même tissu alors appelé lambamena dans le linceul », détaille l’artiste.

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Une matière chargée d’histoire

Le plasticien malgache Joël Andrianomearisoa, 45 ans, est sans doute l’un des premiers artistes de renommée internationale à avoir puisé dans son patrimoine culturel pour revisiter le lamba au moyen d’installations textiles monumentales nappées d’un noir profond, présentées lors de manifestations comme la Biennale de Venise (2019). Inaugurée ce 8 juillet dans le centre d’art Hakanto Contemporary qu’il a ouvert à Tana, l’exposition Lamba Forever Mandrakizay rend précisément hommage au lamba (Jusqu’en octobre 2023) – en écho à l’exposition Lamba du musée de la photographie de Tana.

« Joël fait un travail remarquable, mais il appartient à une autre génération qui ne fait pas de sa culture un étendard. Celle-ci apparaît de manière discrète et naturelle dans ses œuvres », note le jeune graphiste.

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Tsiriniaina fait partie de cette nouvelle génération qui, bien que minoritaire, entend revendiquer son identité malgache. Depuis deux éditions maintenant, la Tana Design Week bat son plein dans la capitale économique et politique de l’île. Et de nombreux designers se reconnectent à leur héritage culturel. C’est le cas de Jordan Rabe, créateur de la marque Rabe and Squad qui revisite le lamba version street wear. Ou encore de la fashion designer Emilie Andriamahefa, fondatrice d’Ester 414, qui revendique l’esthétique « gasy gasy » – que l’on pourrait traduire par blédard, avec une ligne de vêtements entre épure, minimalisme et matières nobles et naturelles. Elle a par exemple conçu une jupe frangée qui réutilise le lamba, « une matière fragile, pleine d’histoire que l’on n’a pas voulu dénaturer, en créant une pièce très simple et dans l’ère du temps, détaille-t-elle, qui a nécessité une dizaine d’heure de tissage à la main », poursuit celle qui va plus loin dans la réinterprétation du patrimoine local en imaginant une veste matelassée inspirée du fanorona, jeu traditionnel malgache.

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« C’est étrange de se réapproprier sa propre identité, constate Tsiriniaina, mais c’est aussi logique puisqu’elle nous a été confisquée pendant la colonisation. » Le jeune graphiste a ainsi organisé une exposition à La Recyclerie, à Paris, autour du lamba que l’on nomme « lambahoany » pour s’emparer de son histoire à travers l’analyse des motifs et des symboles présents sur les textiles qu’il a recueillis, en photos, grâce aux fonds iconographiques de la Bibliothèque nationale de Madagascar. « L’histoire de ce lamba à tissu imprimé et aux couleurs saturées est comparable à celle du wax. Il a lui aussi été importé par les Hollandais quand ils ont découvert l’Asie, avant de le ramener en Afrique puis à Mada, retrace-t-il. Ce lamba est reconnaissable grâce à son image de paysage malgache centrale très cliché, associée à une maxime », observe le designer qui a ainsi détourné et réinterprété les images en puisant dans ses propres photos de famille « pour décoloniser les esprits ».

S’il est difficile de retracer l’historique du lamba classique à Madagascar – la littérature sur le sujet étant quasi inexistante – son arrivée semble coïncider avec les différentes vagues migratoires et la venue des populations austronésiennes d’Asie du sud-est (entre le VIIe et le XIIIe siècle). « Une chose est sûre, on peut dater son déclin, relève Tsiriniaina. La mondialisation a sonné le glas du lamba, jusqu’alors confectionné sur mesure, notamment avec l’arrivée en masse des friperies dans les années 1990, pointe-il, période de la libéralisation économique de Mada. Depuis, 80 % des Malgaches s’habillent avec des vêtements de seconde main, dans le sud – où les populations portent des tee-shirts et des jeans manufacturés accordés avec un tissu qui rappelle le lamba – comme dans les milieux urbains où aucun jeune ne porte l’étoffe traditionnelle. »

Pour faire cohabiter tradition et mondialisation, Tsiriniaina et sa partenaire Chloé Bourhis, étudiante en design de mode et textile, ont ainsi collaboré avec des artisans de la cotonnière d’Antsirabe, dans les hautes terres, qui tissent d’ordinaire des tapis, pour réinvestir la technique du lamba avec des tee-shirts de seconde main. « Un projet plus de l’ordre du manifeste que de l’utilitaire », relève celui pour qui la réinterprétation contemporaine du lamba est possible, à condition d’en respecter l’essence.

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