Joël Blin : « La compétition entre alimentaire et énergétique est un faux débat »

L’exploitation de certaines plantes alimentaires à des fins énergétiques fait polémique. Aussi, la culture du jatropha – une plante non alimentaire – pour la production de biocarburants, suscite beaucoup d’intérêt. Rencontre avec Joël Blin, chercheur en conversion énergétique de la biomasse.

Joël Blin, chercheur au Cirad et à l’institut 2iE basé à Ouagadougou. © Manivelle Production/Fondation 2iE

Joël Blin, chercheur au Cirad et à l’institut 2iE basé à Ouagadougou. © Manivelle Production/Fondation 2iE

Publié le 29 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

La question des biocarburants et bioénergies en Afrique est un sujet sensible. D’abord considérée comme une source d’espoir face à l’insécurité énergétique qui touche beaucoup de pays du continent, l’exploitation de l’huile extraite de certaines plantes alimentaires à des fins énergétiques s’est révélée être un danger pour l’agriculture vivrière. Certains se sont donc tournés vers le jatropha, une plante non alimentaire dont la culture pouvait être réservée à la production d’énergie.

Interrogé par Jeune Afrique, Joël Blin, chercheur en conversion énergétique de la biomasse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ainsi qu’au sein de l’Institut International d’ingéniérie de l’Eau et de l’Environnement (2iE), a souhaité répondre aux préjugés sur les bioénergies et exprimer ses doutes quant à l’utilisation du jatropha.

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Jeune Afrique : Où en est-on sur la question des biocarburants aujourd’hui en Afrique ?

On incrimine les biocarburants sur des problématiques qu’on pourrait retrouver sur d’autres cultures comme le coton ou le cacao.

Joël Blin : On est passé par plusieurs phases bien distinctes. En 2004-2005, les biocarburants étaient considérés comme la solution à tous les problèmes de l’Afrique, notamment pour l’accès à l’énergie. Puis, en 2007-2008, on a considéré qu’ils représentaient un grand danger pour les cultures vivrières du fait de la compétition qu’ils pouvaient entraîner avec l’agriculture alimentaire. Cette controverse des biocarburants a eu plusieurs effets dont l’abandon des importations par les pays du Nord. Cela a constitué une grande opportunité pour les pays d’Afrique de l’Ouest qui, déjà lancés dans la production, se sont dit qu’ils allaient l’utiliser localement pour produire de la force motrice et de l’électricité en zones décentralisées et ainsi transformer les matières premières, créer de la valeur ajoutée et mieux conserver les produits agroalimentaires.

La crainte d’une compétition entre une agriculture dédiée aux biocarburants et une agriculture alimentaire est-elle fondée ?

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Pour moi (mais aussi pour la plupart des experts présents à la conférence), c’est un faux débat. On incrimine les biocarburants sur des problématiques qu’on pourrait retrouver sur d’autres cultures comme le coton ou le cacao. Par ailleurs, des pays comme le Burkina Faso ont de grandes quantités de terres cultivables qui ne sont pas cultivées (entre 30 et 40 %), et celles qui sont cultivées le sont de façon très extensive avec des rendements très mauvais. Pourquoi ? À cause du manque d’accès à l’énergie qui empêche la mécanisation, l’irrigation et la transformation des produits agricoles. En admettant que l’on dédie une partie de l’exploitation agricole pour produire des cultures à des fins énergétiques et que cette culture permet de multiplier les rendements sur le reste de l’exploitation par deux ou trois, on a tout gagné ! Voilà pourquoi je préfère parler de « synergie » plutôt que de compétition entre l’alimentaire et l’énergétique. En revanche, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas réglementer l’introduction de cultures énergétiques dans les systèmes de cultures vivrières.

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Le jatropha n’étant pas une plante alimentaire, elle permet de faire du biocarburant sans empiéter sur l’alimentaire. Pourquoi ne pas se focaliser sur cette plante ?

Le jatropha comporte, en effet, certains avantages. Malheureusement, lorsqu’on passe d’une culture extensive à une culture intensive de la plante, on obtient de faibles rendements. Pour avoir de plus gros rendements, il faut mobiliser plus de terres et donc rentrer dans une autre compétition sur l’usage des sols. Ça remet totalement en cause le choix de cette plante qui oblige à utiliser des quantités d’hectares pour avoir des quantités suffisantes de carburant et engendre des revenus très faibles. On pourrait très bien utiliser d’autres plantes qui, vendues sur le marché de l’alimentaire, seraient bien plus rentables.

Lesquelles, par exemple ?

Des plantes comme le tournesol – il y a beaucoup d’essais de plantations de tournesols au Burkina Faso ou dans le bassin du Niger qui donnent des rendements très intéressants -, le coton, le soja… En fait, tous les oléagineux peuvent être utilisés mais les gens se focalisent sur le jatropha à cause de la controverse sur la sécurité alimentaire qui empêche les bailleurs de financer des travaux sur d’autres plantes. Pourtant, cette culture maintient les producteurs dans la pauvreté du fait du faible prix d’achat des graines puisque le seul débouché est l’huile pour un usage énergétique. Les tourteaux (résidus obtenus après le pressage des graines) ne peuvent même pas être valorisés pour l’alimentation de bétail car ils sont toxiques.

Aujourd’hui nombreux sont ceux qui veulent « détoxifier » le tourteau pour cet usage mais cela va à l’encontre de l’argument premier qui est d’utiliser une plante non alimentaire, et remet donc en cause le choix du jatropha.

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