Au Sénégal, Idrissa Seck se déclare candidat et fait le show
Au terme d’une conférence de presse interminable ponctuée d’anecdotes savoureuses, le chef de Rewmi a officialisé sa candidature à l’élection présidentielle de 2024.
Dans l’histoire des annonces de candidature à la présidentielle sénégalaise, nul doute que celle-ci fera date. Et pourtant, le suspense était bien mince quant à l’ordre du jour – officiellement demeuré mystérieux – des révélations qu’Idrissa Seck s’apprêtait à livrer aux Sénégalais lors d’une conférence de presse annoncée depuis plus de trois semaines mais repoussée in extremis pour cause de fête nationale, le 4 avril.
Symbolisme oblige, c’est dans son bastion historique de Thiès qu’Idrissa Seck, à la fois président du parti Rewmi et du Conseil économique, social et environnemental (Cese), avait convoqué la presse, ce 14 avril, pour une annonce à propos de laquelle chacun était en droit de se perdre en conjectures.
Se camperait-il en dauphin adoubé par Macky Sall, le président sortant qu’il avait rejoint en 2020, dont la candidature à un troisième mandat fait débat et sera soumise à un feu vert du Conseil constitutionnel ? Jouerait-il son va-tout en annonçant une candidature en solo ? Auquel cas, ferait-il le choix de démissionner du Cese, où la fonction qu’il occupe avait fait office de rétribution pour son ralliement au chef de l’État, moins de deux ans après l’avoir défié dans les urnes lors de la présidentielle de 2019 ?
Discours-marathon
Pour en avoir le cœur net, il aura fallu s’armer de patience. Car ce ne fut qu’au terme d’un discours-marathon de deux heures et demie que le président de Rewmi répondit à sa façon – en parlant de lui à la troisième personne et passant du français au wolof au milieu de la phrase tant attendue – à la question qui venait enfin de lui être posée : « Est-ce qu’Idrissa Seck sera candidat à l’élection présidentielle de 2024 ? ». « Imaginez-vous une élection présidentielle au Sénégal sans Idrissa Seck, vivant et bien portant ? Oui, je serai candidat », clarifia-t-il.
Après trois tentatives infructueuses (en 2007, en 2012 puis en 2019), lors desquelles il n’est jamais parvenu à atteindre le second tour, Idrissa Seck fera donc cavalier seul le 25 février 2024 en tentant, à 64 ans, de décrocher enfin le Graal tant convoité.
Mais avant d’officialiser cette candidature qu’il avait déjà largement sous-entendue au cours des dernières semaines, il a gratifié son auditoire d’un long one-man-show où s’entremêlaient anecdotes politiques (souvent anciennes), piques choisies (notamment contre son ancien mentor, Abdoulaye Wade), hommages inattendus (à son épouse, mais aussi à la Première dame, Marième Faye Sall) et confidences de circonstances (il fut ainsi question d’un rendez-vous secret avec Ousmane Sonko, fin mars, au domicile de ce dernier).
Homme politique précoce
Sans la moindre note écrite, égrenant ses souvenirs tel un tirailleur sénégalais racontant ses deux guerres mondiales autour du thé à la menthe, face à un auditoire captivé par son récit, cet homme politique précoce et brillant (il a été le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade dès 1988, à seulement 28 ans), aux ambitions jusqu’ici contrariées, a tour à tour montré les deux principales facettes que les Sénégalais lui ont toujours connues.
Le destin d’un dauphin, c’est de finir échoué sur le rivage
D’un côté, l’éloquence oratoire, l’érudition religieuse et historique, et une bonne dose d’humour. De l’autre, une tendance marquée à ressusciter le passé, comme s’il cherchait à remonter le temps jusqu’au milieu des années 2000, lorsque, directeur de cabinet puis Premier ministre d’Abdoulaye Wade, il se voyait déjà succéder au patriarche vieillissant.
Il ignorait encore que celui-ci, en privé, glissait à certains de ses interlocuteurs cette maxime de son cru, laquelle préfigurait le sort qui l’attendait : « Le destin d’un dauphin, c’est de finir échoué sur le rivage. »
La prestation de l’impétrant est pourtant loin d’avoir convaincu les commentateurs sénégalais. Tandis que les uns qualifient « Idy » de « has been » ou de « mammouth de la politique », d’autres s’agacent du vernis rhétorique dont il a badigeonné son intervention alors que son parcours en politique, depuis près de dix ans, lui vaut régulièrement d’être taxé de « girouette ».
Éloges
À Thiès, où il accompagnait Macky Sall à l’occasion d’un Conseil des ministres décentralisé, au début de février, n’avait-il pas vanté avec emphase les mérites du chef de l’État ? « Qu’Il [le Seigneur] continue d’apaiser votre cœur et de fortifier votre esprit pour que les choix futurs que vous aurez à faire puissent vous valoir un parachèvement de votre parcours déjà exceptionnel, d’une telle beauté qu’Il n’aura pas d’autre choix que de vous garantir, après une longue et heureuse vie auprès des vôtres, une mention honorable sur les langues de la postérité. »
Mais ce 14 avril, il prenait cette fois la défense d’Ousmane Sonko, affirmant que ce dernier devrait pouvoir concourir en 2024 quelle que soit l’issue des deux procédures judiciaires qui le visent – l’une pour viols et l’autre pour diffamation.
Au cours des jours précédents, un mélodrame avait brièvement agité Rewmi après qu’un des deux ministres issus des rangs de ce parti, Yankhoba Diatara (Sports), avait déclaré sur un plateau télévisé que Macky Sall pourrait à bon droit briguer un troisième mandat. Yankhoba Diatara a finalement fait son mea culpa, et vient d’être nommé directeur du cabinet politique d’Idrissa Seck – lequel a par ailleurs refusé sa proposition de démissionner du gouvernement.
Ses ministres vont-ils quitter le gouvernement ?
Après avoir clairement affiché ses ambitions présidentielles, rejeté le scénario d’une troisième candidature de Macky Sall, et apporté un soutien explicite à Ousmane Sonko, l’ancien Premier ministre ira-t-il jusqu’à en tirer les conséquences en quittant de lui-même la présidence du Cese, en demandant à ses deux lieutenants d’abandonner leur portefeuille ministériel et en faisant ouvertement campagne contre un troisième mandat de Macky Sall ? Il a préféré éluder ces questions.
Chez les têtes d’affiche de l’opposition, les « casseroles » judiciaires ne manquent pas
Si son positionnement à géométrie variable amoindrit les chances d’Idrissa Seck d’atteindre le second tour au soir du 25 février 2024, il conserve toutefois un atout, sous réserve qu’il réunisse en temps voulu les parrainages requis par la loi : chez les têtes d’affiche de l’opposition, les « casseroles » judiciaires ne manquent pas et pourraient venir contrarier les desseins de Karim Wade, Khalifa Sall ou d’Ousmane Sonko.
Ambition entravée
En 2019, Idrissa Seck en avait tiré profit. Considéré comme le mieux placé des quatre challengers rescapés pour espérer mettre Macky Sall en ballotage, il avait totalisé 20,51 % des suffrages lors du premier tour. Un score insuffisant toutefois pour empêcher la réélection du président sortant.
Trop versatile pour espérer capter l’électorat d’un Ousmane Sonko ou d’un Khalifa Sall, trop proche de Macky Sall au cours des dernières années pour devenir le recours de l’électorat du Parti démocratique sénégalais (PDS) en cas d’invalidation de son candidat, trop éloigné désormais du camp présidentiel pour espérer y confectionner son nid, Idrissa Seck saura-t-il compenser par l’éloquence et l’humour ce qui fut, de longue date, la principale entrave à son ambition : l’inconstance de sa trajectoire politique ?
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