Sexualité, liberté de conscience… « Le Maroc doit évoluer »

Tenante d’une relecture féministe et moderniste du Coran, l’essayiste et médecin marocaine Asma Lamrabet estime que le moment est venu de faire évoluer certaines règles sociétales encore en vigueur au royaume.

Asma Lamrabet. © DR

Publié le 2 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

Essayiste féministe et médecin, Asma Lambaret, 62 ans, a publié en compagnie de sept autres personnalités (juristes et médecins) un texte de 85 pages appelant le gouvernement marocain à faire évoluer le corpus législatif. Au programme : dépénalisation des relations sexuelles hors mariage et de l’avortement, obligation pour le père de reconnaître l’enfant né d’une relation extra-conjugale, primauté des sanctions financières sur l’incarcération pour le délit de blasphème, abolition de la peine de mort…

Autant de propositions qui vont à rebours de la culture juridique et sociétale marocaine. À l’image de l’appel à modifier l’article 3 de la Constitution afin d’introduire la liberté de conscience, qui permettrait à un musulman de changer de religion, l’une des propositions-phares du texte. Pour Jeune Afrique, Asma Lamrabet développe et explicite les intentions des rédacteurs de ce document, publié en pleins préparatifs de la réforme du code pénal. Certaines de leurs propositions seront-elles retenues ? Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a en tout cas admis dans la presse avoir « reçu des idées de certains organismes » qui pourraient être « intégrées ».

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Jeune Afrique : Comment est née l’idée de rédiger ce texte collectif appelant à une libéralisation de la société marocaine ?

Asma Lamrabet : C’est le constat d’un décalage devenu de plus en plus évident entre les normes juridiques et les profondes transformations sociétales. C’est ce qui a été à l’origine du collectif et qui nous a incités à mettre en œuvre une réflexion citoyenne sur les libertés fondamentales et leur consolidation, au sein d’une société marocaine en pleine transition et émergence socioéconomiques.

Par exemple, certains textes de loi du code de la famille de 2004, inégalitaires et discriminatoires envers les femmes, sont devenus obsolètes par rapport à la Constitution de 2011, qui consacre la pleine égalité entre femmes et hommes dans son article 19. Le discours du roi Mohammed VI du 30 juillet 2022 a conforté ce constat et a été un véritable catalyseur de ce travail de réflexion collectif.

Ce texte est adressé au gouvernement marocain. Selon vous, quelles sont les chances de voir vos propositions prises en compte ?

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Le gouvernement actuel, composé de trois grands partis, dispose d’une majorité politique confortable qui lui permet de conduire de vraies réformes, aussi bien celle du code pénal que celle du code de la famille. Le gouvernement se doit d’être à la hauteur de ce moment historique et des attentes sociales, d’autant que ces réformes sont fortement encouragées au plus haut sommet de l’État.

Nous pensons que nos propositions ont une chance d’être écoutées, voire prises en compte, puisqu’elles vont dans le sens de la consolidation du choix démocratique opéré par le Maroc. Notre objectif est de promouvoir les libertés fondamentales – notamment la protection de la famille – comme un principe universel indissociable du processus démocratique et ce dans le respect des constantes fédératrices du pays.

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Le texte propose également de modifier l’article 3 de la Constitution pour introduire la liberté de conscience ou la possibilité pour un musulman marocain de changer de religion. Ne craignez-vous pas une réaction épidermique de la part d’une partie de l’opinion publique ?

Les réactions négatives et les résistances ne sont pas à craindre puisqu’elles relèvent de la liberté d’expression et sont inévitables devant tout changement socio-juridique. Le problème qui se pose, c’est que la liberté de conscience a longtemps été considérée comme contraire aux principes de l’islam. C’est là une lecture politisée du Coran qui a historiquement instrumentalisé ce principe de la liberté de conviction, pourtant inhérent à cette religion.

Or, aujourd’hui, une relecture des textes démontre que la liberté de religion est un principe dont l’interdiction ne peut être que contraire à la véracité et à la probité de la foi comme conviction personnelle. Au Maroc, le débat sur cette question, quoique non médiatisé, a eu lieu. Il a été porté par des théologiens dans un document officiel du Haut Conseil des oulémas qui proposent une déconstruction de l’interprétation classique et traditionaliste dominante sur le sujet.

Vous avez écrit de nombreux ouvrages sur l’islam et la femme. Comment conciliez-vous les principes de l’islam et le droit de la femme à disposer librement de son corps ?

« Disposer librement de son corps » est un concept récent, produit d’une lutte légitime des femmes contre l’appropriation et la soumission de leurs corps à l’autorité masculine, qu’elle soit religieuse ou politique. Je perçois la question de la liberté de disposer de son corps, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, comme une liberté spirituelle, le corps étant sacré en islam.

L’intention spirituelle première est d’offrir une « attitude », voire une « éthique », tant par rapport au corps qu’à l’esprit. Le but principal est d’inciter hommes et femmes à se libérer de toutes les aliénations matérialistes et des codes de la séduction, propres à chaque époque, et qui ne sont finalement que les projections concrètes des idéologies dominantes à travers l’histoire de la civilisation humaine.

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