Valsero : « Être fils de président ne suffit pas pour le devenir »

Qu’il commente la succession de Paul Biya, les ambitions que l’on prête à son fils Franck, l’affaire Zogo ou l’arrivée des Russes sur le continent, l’artiste camerounais ne craint pas de mettre les pieds dans le plat.

VALSERO© MONTAGE JA : MARTIN BUREAU/AFP VALSERO © MONTAGE JA : MARTIN BUREAU/AFP

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 22 avril 2023 Lecture : 5 minutes.

L’ACTU VUE PAR – On l’a connu rappeur engagé puis activiste politique. Aujourd’hui, c’est en tant que vloggeur que Valsero défraye la chronique. Chaque jour, il se met en scène en psychiatre de la société et diffuse sur sa page Facebook des vidéos enregistrées dans sa clinique virtuelle. Des images visionnées quotidiennement par des dizaines de milliers de personnes et qui régalent ses très nombreux abonnés sur les réseaux sociaux.

Installé en Italie, loin de son Yaoundé natal, Valsero croise ces jours-ci le fer avec les autorités camerounaises. Fin mars, il annonçait en effet que la police de son pays avait refusé de renouveler son passeport, qui arrive à expiration début juin. Une affaire politique, selon « le général », qui n’a jamais hésité à défier publiquement Paul Biya.

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Jeune Afrique : Votre passeport arrive à expiration et n’a toujours pas été renouvelé. Vous estimez qu’il s’agit d’une décision politique. Pourquoi ? 

Valsero : Parce que l’ambassadeur du Cameroun en Italie l’a dit à mon avocat. Si mon passeport n’a pas été fabriqué, c’est en raison d’une décision de sa hiérarchie, a-t-il expliqué. On lui a demandé pourquoi, il a répondu que ce devait être « à cause des problèmes politiques ».

C’est une réponse très claire, qui ne laisse pas de place à la nuance. À cause d’une divergence d’opinion, des gens peuvent se servir de la machine de l’État pour rendre des citoyens apatrides, comme je suis en train de le devenir. On ne peut que regretter que la démocratie ait autant régressé au Cameroun et que certains citoyens soient contraints à l’exil.

Derrière ce refus de renouvellement de passeport, il y a aussi ce besoin de me disqualifier, de m’isoler, et de rendre ma parole moins puissante. Ils se disent qu’en m’enlevant mon passeport et donc ma nationalité, ils vont parvenir à diluer mon impact.

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Vous faites partie de ceux qui réclament que la vérité soit établie sur l’assassinat de Martinez Zogo. Pourquoi cela vous tient-il tant à cœur ?

Parce qu’il s’agit de justice, de droits humains et de sécurité publique. Regardez la qualité des acteurs qui sont impliqués ou qui sont soupçonnés de l’être. On parle de personnes qui sont au plus haut sommet de notre pays. Nous sommes dans une situation où un citoyen a utilisé les moyens de l’État, en l’occurence ses services de sécurité et de renseignement, pour assassiner froidement un autre citoyen à l’intérieur même du territoire. L’affaire Zogo, c’est bien plus qu’une histoire d’assassinat, et c’est pour cela qu’elle a choqué les Camerounais.

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Il y a tout de même eu quelques avancées, avec des interpellations et même des inculpations…

Quelles avancées ? On a l’impression que la machine judiciaire est bloquée, grippée. On a interpellé le patron des renseignements et quelques autres, et l’on s’est dit que cela suffirait. La vérité, c’est qu’ils essaient de gagner du temps et que nous sommes manipulés. Il faut que nous restions tous mobilisés, parce qu’un pays qui n’a pas de justice sombre dans le chaos.

Pensez-vous que l’affaire Zogo puisse se lire à l’aune de la guerre des clans qui se déroule à Yaoundé dans la perspective de la succession de Paul Biya ?

Qu’un même homme passe quarante ans au pouvoir et que la suite se décide loin du peuple est infiniment triste. Ce devrait être aux Camerounais de décider. Le seul fait que cette guerre des clans existe est la preuve d’une faillite de l’État. La guerre des clans, ça n’existe qu’au sein d’une mafia.

Tout cela n’augure rien de bon pour le Cameroun. Ce seront des moments difficiles, des gens vont souffrir, des gens vont mourir, c’est tout ce que cela nous apportera. Je me moque, moi, de l’arbitrer, de dire qui a raison ou qui a tort. La seule question qui mérite d’être posée, c’est : le peuple sera-t-il impliqué dans l’alternance ou se contentera-t-il d’être spectateur de sa propre histoire ?

Quel rôle l’opposition peut-elle jouer ?

Pendant quarante ans, on a détricoté l’opposition au Cameroun, il n’en reste plus rien. En outre, ce ne sont pas les formations politiques qui peuvent apporter le changement, c’est le peuple. Les partis ne sont là que pour accompagner ce dernier.

Regardez ce qui s’est passé avec le Sénat : lors de l’élection, le parti au pouvoir [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC] a remporté 100 % des 70 sièges en jeu. Paul Biya a nommé ceux qui allaient occuper les 30 autres, dont certains appartiennent à ce que lui appelle l’opposition. Convenez que l’on ne peut pas parler de véritable opposition dans un contexte comme celui-là !

Vous vous êtes plusieurs fois dit opposé à une éventuelle candidature de Franck Biya, le fils du chef de l’État. Pourquoi ?

Pour être candidat à une présidentielle, il faut avoir un projet pour le pays. Il faut aussi que le peuple puisse examiner ce que vous avez accompli : quel est votre background ? Quelles sont vos capacités ? Nous, tout ce que nous savons de Franck Biya, c’est que ses entreprises forestières ont connu l’échec et que lui-même vit aux frais de l’État. Être fils de président ne suffit pas pour devenir président. S’il n’était pas le fils de Paul Biya, son nom ne figurerait même pas parmi ceux des potentiels candidats.

Sur le continent, France et Russie se livrent une véritable guerre d’influence. Qu’en pensez-vous ?

Le suprémacisme occidental est à bout de souffle et qu’il a été remis en question bien avant que les Russes n’arrivent. L’opposition qui existe aujourd’hui entre Paris et Moscou sur le continent est en grande partie du fait des Africains qui, dans leur quête d’une meilleure prise en compte de leurs intérêts, ont cherché de nouveaux partenaires. Ce qui est tout à fait normal. Est-ce que l’on préfère les Russes ou les Français ? Ce n’est pas la question. Mais les Russes sont là parce que les Français ont échoué.

Le déploiement des mercenaires du groupe Wagner ne vous inquiète pas non plus ?

Les États africains qui ont fait appel à eux ne se plaignent pas. Ce n’est pas à la France d’aller se plaindre à la place du Mali, par exemple. Les Maliens sont libres et il ne faut pas les infantiliser. N’oublions pas non plus que les perceptions varient en fonction des intérêts et des angles. La France les appelle des mercenaires, les Maliens voient en eux des partenaires dans la défense de leur pays.

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