En Tunisie, Nabil Ammar donne un nouveau ton à la diplomatie
Nommé à la place d’Othman Jerandi à la suite de l’affaire Bouraoui, le chef de la diplomatie tunisienne est un fidèle du président. Et ne rechigne pas à se montrer offensif quand il le juge nécessaire.
Nommé le 7 février 2023, Nabil Ammar est, de tous les membres du gouvernement tunisien, celui qui a le plus de visibilité. Après le limogeage de son prédécesseur, Othman Jerandi, il a pris en main, dès sa désignation, les Affaires étrangères et ses dossiers prioritaires, dont les urgences économiques. Mais ces deux premiers mois à la tête de la diplomatie tunisienne lui ont valu d’affronter plusieurs crises, qui ont permis au grand public mais aussi aux acteurs internationaux de le connaître. À chaque fois, il a repris fidèlement les propos du président Kaïs Saïed, dont il adopte les positions et qu’il défend bec et ongles.
Âgé de 58 ans, Nabil Ammar fait partie de cette catégorie de diplomates qui ne rechignent pas, quand ils estiment que le besoin s’en fait sentir, à créer la polémique. Comme lorsqu’il a refusé de présenter des excuses après les propos du président concernant les migrants subsahariens en situation irrégulière. Le ministre était alors monté en première ligne pour défendre la souveraineté de la Tunisie et nier la teneur raciste de l’intervention présidentielle. « Son ton est trop offensif, il s’agit de dignité humaine », déplore un défenseur des droits humains.
Face à l’Italie
Ce dossier lié aux migrations l’a conduit à négocier avec l’Italie, notamment le prêt du Fonds monétaire international (FMI). La péninsule, ou plutôt sa présidente du Conseil, Giorgia Meloni, lui a mis un marché en main : Rome s’engage à soutenir la Tunisie pour le décaissement du prêt de 1,9 milliard de dollars que l’institution de Bretton Woods hésite à engager si, en contrepartie, Tunis fait office de poste-frontière avancé pour refouler les flux de clandestins tentant de rejoindre l’Europe par l’Italie.
Nabil Ammar a arraché à Rome la promesse d’offrir des emplois à 4 000 ouvriers tunisiens.
Une négociation qui semble reproduire celle lancée par l’Europe avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors l’arrivée massive de réfugiés syriens en 2013. On sait que les arguments d’Ankara avaient pesé lourd à l’époque, et que l’UE y avait donné une suite favorable. Aujourd’hui, on ne sait pas exactement jusqu’où peut aller l’Italie et les moyens dont elle dispose dans ce dossier particulièrement sensible pour l’extrême droite au pouvoir.
Pour l’heure, Nabil Ammar a arraché à Rome la promesse d’offrir un emploi à 4 000 ouvriers tunisiens : c’est mieux que rien, mais certains attendent plus, car la possibilité de trouver un emploi en Europe existe déjà depuis longtemps, sous des appellations différentes selon les pays. « C’est quand même appréciable, ce chiffre équivaut au nombre d’experts partis par le biais de l’Agence tunisienne de coopération technique (ATCT) un peu partout dans le monde en 2022 », commente un directeur des Affaires sociales.
Vigilance régalienne
Depuis sa nomination, Nabil Ammar reçoit les ambassadeurs en poste à Tunis, donne des entretiens aux médias – contrairement à ses collègues du gouvernement – et inscrit la Tunisie dans le grand mouvement de réconciliation des pays arabes avec la Syrie, ce qui se concrétise par la réouverture de la chancellerie tunisienne à Damas, et de celle de la Syrie à Tunis. Une affaire menée tambour battant puisqu’en moins de quinze jours, la procédure de reprise de l’activité de l’ambassade a été ratifiée par les autorités syriennes. Il reste toutefois beaucoup à faire pour remettre la diplomatie tunisienne sur les rails : à ce jour, des postes importants sont vacants dans pas moins de 40 ambassades.
Rien de tout cela ne pourra se faire sans l’accord du président Kaïs Saïed, toujours très vigilant s’agissant des ministères régaliens. C’est d’ailleurs un autre diplomate, Naoufel Hdia, actuel chef du protocole de Carthage, qui a suggéré au président le nom de Nabil Ammar, qu’il a côtoyé lorsqu’il était ambassadeur à Londres. Dans le milieu diplomatique, Nabil Ammar est d’ailleurs surtout connu depuis qu’il a eu à gérer la crise entre Tunis et Londres suite à l’attentat terroriste de Sousse en 2015, qui avait fait 30 victimes britanniques.
Avant Londres, le nouveau chef de la diplomatie avait suivi un parcours classique et acquis de l’expérience en alternant des fonctions aux Affaires étrangères, à Tunis, avec des missions à Rome ou Oslo. Avant de prendre la direction générale pour l’Union européenne (UE) du ministère des Affaires étrangères en Tunisie, où il a piloté les affaires politiques, économiques et de coopération avec l’UE, avant de devenir ambassadeur de Tunisie en Belgique et auprès de l’UE.
Trois frères influents
Pendant son mandat à Bruxelles, de 2020 à 2023, le représentant de la Tunisie a été à la peine : la période n’a vu ni développement en matière des relations bilatérales, ni avancée significative concernant la restitution des biens mal acquis des Ben Ali. Difficile, toutefois, d’imputer la faiblesse de ces résultats à Nabil Ammar, la raison étant plutôt à chercher du côté d’une ligne de politique étrangère manquant parfois de clarté. Sur un plan plus personnel, la fin de son mandat à Bruxelles a été entachée par la plainte d’une assistante pour harcèlement. Une affaire sans réel impact, qui ne l’a pas empêché d’être nommé ministre.
La ligne de la politique étrangère tunisienne manque parfois de clarté.
Discret, Nabil Ammar est aussi à sa façon un homme de réseaux. On dit ainsi qu’il bénéficie du soutien des personnes qui comptent au Sahel, dont sa famille est originaire. Une famille elle-même puissante puisque, chez les Ammar, Nabil est le deuxième à occuper un poste au gouvernement : son cadet Habib a été ministre du Tourisme de 2020 à 2021, lorsque le gouvernement Mechichi est tombé. Khalil, le benjamin de la fratrie, n’est pas non plus en reste : après un parcours à la tête d’organismes bancaires et financiers, il préside aujourd’hui aux destinées du groupe Amen Santé. Le succès des fils Ammar est peut-être aussi en partie dû aux bons conseils dispensés par Hédi Baccouche, ancien Premier ministre de Ben Ali et homme politique influent, connu pour être un proche de la famille.
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