Retour sur le parcours de Nizar Issaoui, ce footballeur tunisien qui s’est immolé par le feu

Cet ancien joueur professionnel âgé de 35 ans est mort le 13 avril. Il avait expliqué son geste par sa volonté de dénoncer « l’État policier».

Nizar Issaoui. © Facebook

Alexis Billebault

Publié le 19 avril 2023 Lecture : 3 minutes.

La vidéo, postée sur Facebook par la victime, est encore visible, et elle est aussi impressionnante qu’insupportable. Le 13 avril dernier, dans une rue de Haffouz, une petite localité proche de Kairouan, un homme très énervé met le feu à ses vêtements. Les personnes qui l’entourent, d’abord sidérées, se mettent à hurler, avant que des témoins interviennent pour éteindre les flammes. L’homme en question n’est pas un inconnu : il s’appelle Nizar Issaoui, est âgé de 35 ans et fut, au milieu des années 2010, un des bons attaquants du championnat tunisien.

Brûlé au troisième degré, ce colosse d’1 mètre 92 est d’abord hospitalisé à Kairouan, puis transféré à l’hôpital des grands brûlés de Ben Arous, près de Tunis, où il décèdera un peu plus tard. Selon les informations de Jeune Afrique, son entourage trouve sa mort suspecte et envisagerait de demander une autopsie alors que les funérailles ont eu lieu le 14 avril dans un contexte tendu. À l’annonce de son décès, des heurts entre des manifestants et la police ont eu lieu à Haffouz.

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Le prix des bananes

Ce geste qui a choqué le pays aurait pour origine un désaccord entre des habitants de Haffouz, dont Issaoui, et un marchand de fruits et légumes. « Voilà ce qui se raconte : ce vendeur aurait voulu vendre 10 dinars (3 euros) un kilo de bananes, alors que le gouvernement a fixé le prix à 5 dinars (1,5 euros). Issaoui se serait alors plaint et aurait eu un échange verbal musclé avec le vendeur avant d’aller à la police pour porter plainte contre lui », explique Zied Jendoubi, journaliste à Carthage +. Issaoui aurait appris plus tard que la police les recherchait, lui et son frère, pour « association de malfaiteurs ».

Avant de s’immoler, Issaoui avait déclaré qu’il n’avait « plus d’énergie face à cet État policier qui m’accuse de terrorisme pour une affaire de bananes » et que « la sentence allait être exécutée le jour même ».

Forte personnalité

Père de quatre enfants en bas âge, Nizar Issaoui ne s’était jamais fait connaître pour de quelconques revendications sociales, et n’avait jamais exprimé publiquement ses opinions politiques. Il avait signé son premier contrat professionnel tardivement, à l’âge de 24 ans en 2011, au Gromablia Sports alors en Ligue 2, et avait contribué à l’accession du club en Ligue 1. Il avait poursuivi sa carrière à Tozeur, à l’US Monastir, Gabès, Gafsa en Arabie saoudite, avant de revenir à Tozeur.

« Nizar Issaoui était un homme avec une forte personnalité, un compétiteur. Je me souviens qu’il était apprécié par ses coéquipiers, car il était toujours prêt à aller défendre les intérêts de l’effectif auprès des dirigeants », se rappelle Lofti Kadri qui fût son entraîneur à Grombalia et Tozeur. « Par contre, il ne faisait pas publiquement état de ses opinions politiques. Nizar était un homme intelligent, il avait son bac et avait étudié les lettres à l’université. Il était extrêmement discret. »

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Condamnation en 2012

En 2013, alors qu’il évoluait à Tozeur, plusieurs grands clubs dont le Club Africain, l’Étoile du Sahel de Sousse et le CA Bizerte s’étaient intéressés à celui qui faisait partie des buteurs en vogue de la L1 tunisienne. Il fut même question de lui en sélection nationale en 2014, alors qu’il portait les couleurs de l’US Monastir. Mais Issaoui ne fut jamais convoqué par le Belge Georges Leekens, alors sélectionneur des Aigles de Carthage. Mais pas, selon certaines sources, pour des raisons sportives.

En effet, en juillet 2012, Issaoui et Nasser Chabani, un autre joueur de Grombalia Sports, furent condamnés par le Tribunal de première instance de Médenine à un an et demi de prison. Les deux hommes étaient accusés d’avoir frappé et insulté des policiers, et d’avoir troublé l’ordre public lors d’incidents survenus en marge d’un match de Ligue 2 perdu à Ben Guerdane (0-4). Issaoui avait passé quelques mois en prison.

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Cette condamnation judiciaire lui aurait coûté une convocation en sélection. « En privé, Issaoui affirmait qu’il avait été victime du clan de Wadi El Jary, le président de la fédération, car Ben Guerdane est le fief d’El Jary [il y fut joueur, président du club et maire de la ville], qui n’aurait pas voulu qu’un joueur ayant un casier judiciaire porte les couleurs de la Tunisie », intervient une source ayant requis l’anonymat. « Je crois que le fait de ne pas avoir été appelé en sélection lui a fait du mal. Il a mal vécu cela, et sa carrière en a sans doute pâti », reprend Lotfi Kadri. Depuis son retour d’Arabie saoudite et un nouveau passage à Tozeur en 2016, Issaoui avait évolué dans des clubs de troisième ou quatrième division, et jouait avant le drame du 13 avril pour l’ES El Jem.

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