Étudiants africains à l’international : combien coûte le droit d’échouer ?

Le marché mondial des étudiants internationaux représentera 433 milliards de dollars en 2030. Quelle est la face cachée de cette économie pour les Africains ? Comment peuvent-ils redéfinir les règles du jeu et se garantir un passeport pour la réussite académique de leurs jeunes ?

Près de 430 000 étudiants subsahariens sont partis en mobilité diplômante à l’international en 2020, soit 21 % de plus que cinq ans auparavant. © Paul Bradbury/Caia Image/Science Photo Library via AFP

Khady Hervieu © DR

Publié le 23 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

Un visa sans passeport pour seul bagage ! Au Sénégal, 30 500 jeunes se bousculent chaque année aux portes de Campus France pour aller étudier dans l’Hexagone. De ce goulot d’étranglement, seuls 3 800 d’entre eux sortiront avec un visa en poche. Mais ces détenteurs du graal ignorent qu’un étudiant étranger sur deux n’obtient pas son diplôme de licence. Statistique tout aussi implacable au Canada : en 2021, le gouvernement fédéral a rejeté 72 % des candidatures provenant de pays africains francophones. Et, comme Paris, Ottawa exige beaucoup des Africains pour les admettre, très peu pour leur succès. Avec la particularité qu’il faut payer jusqu’à dix fois plus cher pour le même droit d’échouer !

 Manque cruel de soft skills

Véritable manne financière, les 430 000 étudiants subsahariens en mobilité dans le monde sont en droit de se demander s’ils détiennent le bon passeport pour leur réussite académique. Et dans la mesure où le pays d’accueil n’a aucune obligation de résultat, les familles des classes moyennes et supérieures africaines doivent en urgence se soumettre à une véritable introspection.

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Qu’est-ce qui dans leur éducation produit l’échec de leurs enfants à l’international ? Manifestement, les compétences qui ont permis aux parents eux-mêmes de réussir dans la vie, ils ne les ont pas léguées à leurs enfants avant le grand saut. On parle ici de compétences telles que l’autonomie, la motivation, l’aptitude à naviguer en environnement multiculturel, la gestion du temps et de l’argent, le sens de l’organisation et du réseautage, etc.

De retour au pays sans diplôme, ce jeune devient le symbole des espoirs déçus, le mauvais cheval sur lequel on a misé toutes les économies

Quand l’étudiant international d’origine africaine rate ses études supérieures, ce n’est pas par manque de connaissances, parce qu’il ne maîtrise pas le droit, l’administration des affaires ou l’ingénierie. Il rate ses études par manque cruel de soft skills. Il ne possède pas les clés du métier d’étudiant, rarement les codes de décryptage du pays d’accueil et, il est surtout égaré dans un dédale de démarches administratives.

Au fond, quel est le véritable coût de l’échec ? Il y a une spécificité de l’étudiant africain en mobilité qu’il ne faut pas négliger sous peine de passer à côté de la problématique centrale : son échec académique menace les familles d’une véritable dislocation. Pour ses parents, il devient le symbole des espoirs déçus, le mauvais cheval sur lequel on a misé toutes les économies familiales. De retour au pays sans diplôme, c’est une mort sociale assurée pour ce jeune devenu zombie, car perdu entre deux mondes. Et le poids de la honte est tel que, plutôt que de rentrer, il préfère souvent remplir les rangs des sans-papiers. Bref, des destinées brisées, des familles ruinées et des clandestins en augmentation.

La spirale du rejet

Aussi devient-il impérieux de stopper cette spirale infernale du « rejet ». Autrement dit, les étudiants africains ne doivent plus accepter de « se mettre en solde » ou de se vendre au rabais du fait de leur impréparation. Pour répondre à cet impensé du système éducatif, c’est à l’Afrique d’élaborer les meilleures solutions pour ses ressortissants. En commençant par démocratiser l’enseignement des soft skills dès le secondaire. En valorisant par exemple, dans les curricula, une des compétences les plus caractéristiques du continent, à savoir la notion d’intensité du parcours, cette capacité à faire face et à surmonter des situations de grande adversité.

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Les établissements d’enseignement supérieur privés africain les plus reconnus ont la responsabilité de mettre en place les premières propédeutiques dédiées aux compétences transversales pour se préparer au supérieur à l’étranger. Pousser la logique jusqu’à la certification, en partenariat avec les grandes universités et les ambassades des pays d’accueil, pour devenir une étape importante, sinon les nouveaux sas de présélection des « bons dossiers et des meilleurs profils ». Au-delà de manger leur part du gâteau, ils pourront ainsi agir en qualité de délégation de service public. Et mieux, s’emparer de la mission stratégique de garantir aux familles qui, de leur progéniture, mérite un tel investissement.

Dans cette aventure loin de chez soi, nombreux sont aussi les Africains qui brillent académiquement. Pour autant, un séjour à l’étranger ne peut se réduire à une admission ou à un diplôme. Un séjour à l’étranger est d’abord une histoire d’expérience, un ressenti profond. Dans un contexte de montée de l’influence du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (les Brics), les étudiants internationaux du continent doivent être pris au sérieux par les occidentaux. Car le devenir de la relation entre l’Afrique et des pays comme la France ou le Canada, se jouera sur le traitement réservé à ces ambassadeurs particuliers. Si ce n’est pas eux qui valident leur diplôme, c’est bien eux qui mettront la note finale.

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