En Algérie, Mahieddine Tahkout et un ex-député impliqués dans un troc douteux

Une laiterie et des stations-service contre des appartements en France. Un ex-député face à un oligarque déchu soutenu par d’anciens ministres de Bouteflika. C’est une étrange affaire aux forts relents de corruption qu’examine la Cour d’appel d’Alger depuis le 19 avril.

L’homme d’affaires Mahieddine Tahkout.

Publié le 20 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

Lorsqu’il était député, à l’époque de la présidence Bouteflika, Tahar Missoum était connu pour ses interventions fracassantes et ses attaques frontales contre les membres du gouvernement. Il vient à nouveau de faire parler de lui, mais cette fois en dehors de l’enceinte de l’Assemblée populaire nationale (APN). Ce 19 avril, l’ancien élu comparaissait devant la Cour d’appel d’Alger pour s’expliquer sur le troc qu’il devait conclure avec l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, lui-même condamné à de lourdes peines de prison dans diverses affaires de corruption.

Les faits remontent à 2016. L’ex-député a expliqué à la barre qu’à l’époque, Mahieddine Tahkout l’avait contacté par le biais d’un journaliste pour lui proposer d’échanger sa laiterie de Ksar el-Boukhari, dans la localité de Médéa, et ses deux stations-service (dont l’une à l’arrêt faute d’agrément) contre trois biens immobiliers situés à Nîmes, en France. La laiterie en question avait déjà été fermée depuis plusieurs mois par les autorités, officiellement pour insalubrité. Mais Missoum – surnommé « le spécifique » en raison de l’emploi répétitif qu’il fait de cet adjectif au cours de ses interventions en plénière – soupçonne l’ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, et celui de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb, d’être derrière cette décision.

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« On m’a envoyé le fisc »

Confronté à cette fermeture imposée, Tahar Missoum est alors dans l’impasse, et Tahkout flaire une affaire rentable. Le texte de l’accord signé entre les deux parties a été retrouvé lors des perquisitions ordonnées par la justice au siège de l’entreprise de transport de marchandises et de voyageurs que dirige l’homme d’affaires, à Réghaïa. Même si l’étrange échange n’a été officialisé par aucun acte notarié, les magistrats estiment avoir en leur possession des éléments suffisamment probants pour accuser l’ex-député de blanchiment d’argent. Un chef d’inculpation pour lequel il a écopé, en première instance, de deux ans de prison sans mandat de dépôt.

« J’étais parmi les premiers, en tant que député entre 2012 et 2017, à dénoncer la corruption et à affronter les ministres au sein du Parlement, a plaidé l’accusé lors de l’audience du 19 avril, tout en ajustant régulièrement le col de sa chemise, sous son costume gris foncé. Je n’ai vu Tahkout qu’une seule fois, et j’ai été contraint de le faire parce que j’ai subi une pression terrible. On m’a envoyé le fisc qui me réclamait 380 millions de dinars et on a fermé mon usine qui employait 450 travailleurs. Personne ne voulait la racheter par peur de représailles. Je ne pouvais même pas vendre une vache. À ce moment-là, j’ai pensé que Tahkout pouvait être la solution parce qu’il faisait partie de la Issaba (la bande) au pouvoir. »

Quant au texte de l’accord sur lequel s’appuie la justice, l’accusé lui dénie toute légalité. « Il s’agit d’un brouillon qui n’a aucune valeur juridique. Il n’y avait ni notaire ni témoins, ce qui signifie que la transaction n’était pas officielle », insiste-t-il.

Louh, Bouchouareb et les « puissants »

Pour sa défense, l’ancien député met donc en avant l’acharnement de l’ancien pouvoir contre lui et ses intérêts. Pour quelle raison ? La cause, assure-t-il, est à chercher du côté des nombreuses attaques qu’il avait lancées, dans l’hémicycle, contre le ministre de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb, le qualifiant de « traître » et l’accusant d’avoir « la double nationalité », ce qui aurait théoriquement dû le rendre inéligible au poste de ministre. « Les enfants des harkis nous gouvernent », avait ainsi lâché Tahar Missoum en plénière, en juin 2016, avant que le président de l’APN ne lui coupe le micro. Plus tard, il avait récidivé en s’attaquant cette fois à l’ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, évoquant l’acquisition par son administration d’un lot de bracelets électroniques qui s’était révélé défectueux.

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L’enquête judiciaire sur ce sujet, ouverte trois ans plus tard, conduira à l’arrestation de Tayeb Louh et du directeur chargé de la modernisation au ministère de la Justice. Mais à l’époque où le député Missoum s’en prenait à lui, Tayeb Louh était un personnage puissant, dirigeant d’une main de fer le département de la Justice et nourrissant même l’ambition de succéder un jour au président Bouteflika. Quant à son collègue Abdeslam Bouchouareb, il a depuis été au centre de cinq procès pour corruption, écopant d’une peine cumulée de cent ans d’incarcération.

À sa sortie de la salle d’audience, le 19 avril, Tahar Missoum a confié à Jeune Afrique que dans l’affaire du troc pour laquelle il est entendu, il avait finalement fait marche arrière après un voyage en France durant lequel il était venu inspecter les biens immobiliers proposés et s’enquérir de la fiabilité de la transaction avec Tahkout. « J’ai trouvé des blocs administratifs complètement délabrés et des sociétés endettées, raconte-t-il. À mon retour, j’ai récupéré les actes de propriété de la laiterie et des deux stations d’essence de chez Tahkout, et je ne l’ai plus revu. J’ai fait un recours et je compte récupérer ma laiterie et mes stations d’essence maintenant que mes détracteurs ne sont plus en poste. »

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Tahkout nie en bloc

Depuis la prison de Babar, à Khenchela, où il purge une peine de 16 ans, Mahieddine Tahkout s’est quant à lui exprimé par visioconférence. Il récuse en tous points la version de l’ex-parlementaire. Selon lui, l’échange portait plutôt sur dix appartements et une villa avec garage située sur les hauteurs d’Alger, à Bouzareah. Il assure n’avoir jamais proposé de biens situés en France.

Interrogé par la magistrate sur l’origine des fonds ayant permis l’acquisition des trois entreprises qu’il détenait à Nîmes, Tahkout a déclaré que la législation autorise tout Algérien se rendant à l’étranger à faire sortir des fonds, dans la limite de 7 500 euros. Ces sont ces fonds, assure-t-il, qui lui ont « permis de créer ces entreprises en association avec [ses] frères ».

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