En Tunisie, Ibrahim Chaïbi, un ministre sur la sellette
Alors que les rumeurs de remaniement gouvernemental se précisent à Tunis, le ministre des Affaires religieuses se trouve au cœur de plusieurs affaires et polémiques.
Après l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’élection d’une Assemblée des représentants du peuple (ARP) inédite, c’est maintenant la question d’un possible remaniement ministériel qui taraude l’opinion tunisienne, tant la situation est critique, aussi bien sur le plan économique que politique.
Proche du président Kaïs Saïed, le président de l’ARP, Brahim Bouderbala, a précisé très opportunément le 17 avril qu’une refonte gouvernementale nécessiterait « une évaluation objective du rendement de chaque ministre et Roman, serif">[ne se ferait] pas sur la base d’opinions non-fondées, qui ne reposent pas sur des éléments sérieux ». Il ne précise pas si les actions et le comportement de certains détenteurs de maroquins seront, eux aussi, pris en considération dans ces bilans.
Parmi ceux qui suscitent le plus de polémiques, on songe immédiatement au ministre des Affaires religieuses, Ibrahim Chaïbi, qui semble aussi chargé, au moins officieusement, d’engager des poursuites contre les journalistes qui déplaisent au pouvoir. Durant ce mois de ramadan, où son département ne s’est paradoxalement pas distingué par une activité particulière, Ibrahim Chaïbi ne s’est pas montré magnanime avec les médias, poursuivant deux journalistes pour divulgation d’informations mensongères.
Deux cibles : Monia Arfaoui et Mohamed Boughalleb
Dans sa ligne de mire, d’abord, Monia Arfaoui, journaliste au quotidien Essabah. En trois semaines, entre mars et avril 2023, le ministre a déposé deux plaintes en diffamation contre elle. La première pour un article paru en juillet 2022 dans lequel il était question de soupçons de corruption dans la gestion des deniers publics lors du pèlerinage à La Mecque, la deuxième pour une publication sur Facebook où la journaliste estimait que le ministre avait échoué dans ses fonctions.
Dans la foulée, Ibrahim Chaïbi s’est également attaqué au journaliste Mohamed Boughalleb. Sur l’antenne de Cap FM, celui qui est connu pour ses chroniques au vitriol a révélé que le ministre se serait accaparé, au titre de véhicule de service, une BMW X6 appartenant à un particulier de retour de l’étranger et mise sous séquestre par les services douaniers pour suspicion de vol. « C’est une forme d’abus de bien d’autrui », explique un avocat.
Bien d’autres responsables politiques ont été, au fil du temps, mis en cause par Mohamed Boughalleb, mais pour Ibrahim Chaïbi, l’intention de diffamer ne fait aucun doute. Et les plaintes qu’il a déposées contre les journalistes ont été traitées avec une exceptionnelle célérité.
Convoqués pour être entendus par la justice, Monia Arfaoui et Mohamed Boughalleb sont toutefois ressortis libres de leur audition. Qu’à cela ne tienne, Chaïbi persiste et veut aller plus vite en faisant d’une pierre deux coups. Il intente donc des poursuites groupées contre Boughalleb et Arfaoui au prétexte qu’ils seraient complices et chercheraient à lui nuire. Les deux journalistes, qui ne se connaissaient même pas avant que ces affaires n’éclatent, se trouvent maintenant exposés aux rigueurs du récent décret-loi 54, qui punit d’emprisonnement et d’amendes « les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication ».
Contre-attaque de la corporation
« Jusqu’à maintenant, la majorité des plaintes déposées en vertu du décret 54 contre les journalistes, les activistes et les blogueurs émanent de ministres », souligne Amira Mohamed, vice-présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). La corporation s’est mobilisée, a donné de la voix et a surtout montré une solidarité sans faille. De quoi interpeller le gouvernement sur le comportement pour le moins excessif du ministre des Affaires religieuses.
D’autres journalistes, de leur côté, se sont penchés sur son profil. Ils affirment, assurant être en possession des documents qui le prouvent, que Chaïbi, aujourd’hui âgé de 44 ans, a été un cacique du régime Ben Ali et a obtenu son doctorat en études islamiques en faisant valoir les services rendus au parti dans un courrier adressé alors au secrétaire général du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), Mohamed Ghariani.
« Comme si les gens ne me connaissaient pas », rétorque le ministre avec un haussement d’épaules. Selon lui, ces révélations seraient le fait de personnes qui le ciblent « pour avoir déclaré la guerre à la corruption et s’être activé à débarrasser son département des moutons noirs ». Ce à quoi ses détracteurs objectent que, contrairement à ce qu’il assure, son bilan à la tête de son ministère est plutôt mince.
Connu pour porter régulièrement un costume vieux rose qui apporte une touche colorée aux photos de l’équipe gouvernementale, Ibrahim Chaïbi a récemment annoncé l’inauguration de 64 nouvelles mosquées à l’occasion du ramadan, s’attirant les critiques de ceux qui estiment que le pays a surtout besoin d’écoles. Il avait aussi provoqué la moquerie lorsqu’il avait publiquement estimé que le recul de la pandémie de Covid-19 observé en 2022 était lié à la distribution massive d’exemplaires du Coran.
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