Fatiha Keloua-Hachi, l’enseignante devenue députée Nupes

Après une trentaine d’années passées dans l’enseignement, cette professeure de lettres d’origine kabyle encartée au Parti socialiste a été élue députée dans la 8e circonscription de Seine-Saint-Denis. Elle s’est notamment illustrée lors des débats sur la généralisation des repas à 1 euro pour les étudiants.

La députée socialiste française Fatiha Keloua-Hachi, le 9 février 2023, à la tribune de l’Assemblée nationale, présentant la proposition de loi de son groupe visant à garantir un repas à 1 euro aux étudiants boursiers et précaires. © Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP

Soufiane Khabbachi. © Vincent Fournier pour JA

Publié le 25 avril 2023 Lecture : 6 minutes.

Une voix. C’est ce qui aura manqué a Fatiha Keloua-Hachi pour laisser une trace dans l’histoire. Le 9 février, les députés français ont rejeté, à 184 voix contre 183, la proposition de loi de la députée socialiste visant à étendre les repas à 1 euro pour tous les étudiants.

Le dispositif avait été instauré par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2020 pendant la pandémie de Covid pour les étudiants boursiers. Il a ensuite été temporairement élargi à tous les étudiants en janvier 2021, jusqu’à la fin de la rentrée de la même année.

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La mesure avait suscité bien des débats en France. Sa plus farouche partisane ? Fatiha Keloua-Hachi, 51 ans, députée de la 8circonscription de Seine-Saint-Denis. Depuis son élection au Palais Bourbon, cette ancienne enseignante a fait de la lutte contre la précarité étudiante son cheval de bataille. Un combat fidèle à son parcours personnel et professionnel, entièrement voué à l’éducation.

Gisèle Halimi, Jean Jaurès, Victor Hugo…

Née de parents kabyles dans le 19arrondissement de Paris, Fatiha Keloua-Hachi est la dernière d’une fratrie de neuf enfants. Après avoir passé ses dix premières années dans la capitale française, elle déménage à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Elle ne quittera jamais vraiment sa nouvelle terre d’adoption.

« J’étais déjà une ado très politique », raconte-t-elle. Déléguée de classe au lycée, engagement dans l’associatif, notamment au sein de la Ligue des droits de l’homme, les premières bases d’un parcours militant ancré à gauche sont assez rapidement posées.

À cela s’ajoutent – femme de lettres oblige – des références littéraires qui ne trompent pas sur la nature de ses convictions : Gisèle Halimi, « un trésor national dont la place est au Panthéon », Jean Jaurès, « pour sa capacité à concilier le combat de terrain avec son côté intellectuel, moi qui aime autant les grandes idées que leur application ». Et Victor Hugo, enfin, « pour son côté humaniste, mais aussi parce qu’il a su changer. De royaliste et bonapartiste, il a su évoluer, au point d’aller siéger avec les députés de gauche une fois élu au Palais Bourbon. Ses discours sur la pauvreté et le travail des enfants ont eu un grand impact dans ma vie », poursuit Fatiha Keloua-Hachi.

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Après l’obtention de son baccalauréat, elle effectue des études de lettres et se lance dans l’enseignement. Elle exercera une trentaine d’années en tant que professeure de lettres, tantôt au collège, au lycée ou à la fac, principalement au sein de l’académie de Créteil.

Parallèlement à ses études et à son travail, elle poursuit ses activités militantes et adhère au Parti socialiste (PS) en 2008. « Avec des camarades de la LDH, nous tenions une permanence deux fois par semaine à Rosny-sous-Bois, et nous faisions parfois barrage devant des immeubles pour éviter les expulsions », se souvient-elle.

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Fidèle au PS

Lorsque le parti de la rose est laminé en 2017, à l’issue du quinquennat de François Hollande, et que toute la gauche accuse le PS de s’être dévoyé en embrassant la social-démocratie, Fatiha Keloua-Hachi fait partie de ceux qui choisissent de rester. « Par fidélité, concède-t-elle. J’aurais pu partir, mais je ne l’ai pas fait. Je pense avoir un rôle utile dans mon parti pour faire évoluer les mentalités. »

Partisane d’une refondation interne, elle est proche du premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qu’elle soutient lorsque ce dernier décide de rallier son parti à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui regroupe plusieurs formations de gauche sous une seule étiquette pour les élections législatives.

Après avoir mené plusieurs activités militantes et exercé un mandat de conseillère municipale à Rosny-sous-Bois, elle se présente aux élections législatives de juin 2022 dans la 8e circonscription de Seine-Saint-Denis. C’est d’ailleurs sous l’étiquette du rassemblement de la gauche que l’enseignante s’impose avec 53,5 % des suffrages face à la députée sortante membre de la majorité présidentielle. Aujourd’hui encore, et alors que la Nupes est parfois secouée par des dissensions internes, la députée se dit toujours convaincue du projet d’union des forces de gauche.

Consciente de « symboliser » quelque chose en tant que femme issue de l’immigration, la néo-députée ne souffre pour autant d’aucun complexe et fait rapidement bonne impression, au point d’être désignée par son groupe pour prendre la présidence de l’Assemblée nationale. Le poste reviendra finalement à une parlementaire de la majorité, Yaël Braun-Pivet.

Combat pour le repas à 1 euro

Désormais sur les bancs de l’Assemblée, cette mère de deux enfants peut poursuivre son combat pour l’éducation et la jeunesse au sein de l’hémicycle et rejoint logiquement la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Alors que les images d’étudiants faisant la queue pour avoir accès à des distributions de repas ont choqué, la députée profite de sa « niche parlementaire » – un dispositif législatif qui permet occasionnellement aux partis d’opposition de fixer le sujet des débats du jour – pour y introduire une proposition de loi généralisant les repas pour les étudiants à 1 euro.

La mesure divise. Ses détracteurs dénoncent une mise à égalité entre les étudiants précaires et ceux de familles aisées ainsi qu’un coût trop élevé, qu’ils chiffrent à 200 millions d’euros. L’intéressée s’en défend : « Vous pensez réellement qu’un fils de bonne famille ira faire la queue pendant une heure pour bénéficier d’un repas du Crous à 1 euro ? »

Pour défendre sa proposition de loi, l’ancienne professeure de lettres cite en introduction de son discours l’auteur des Misérables : « Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? Par ces mots, Victor Hugo dénonçait le travail des enfants. Autre époque, autre combat : aujourd’hui, je suis là devant vous pour dénoncer la précarité alimentaire de nos étudiants. » Un lyrisme qui ne convaincra pas au-delà de sa famille politique : la majorité présidentielle et la plupart des partis d’opposition de droite rejettent le texte.

« Il s’agit avant tout d’un combat culturel, qui s’oppose à cette idée que les parents doivent subvenir aux besoins de l’étudiant » tempête, aujourd’hui encore, la députée.

Macron et l’Algérie

Si la politique et les thématiques nationales qui animent l’Hexagone sont au cœur de son engagement, l’élue garde un œil sur la situation dans son pays d’origine. « Je suis très fière de mes racines, confie Fatiha Keloua-Hachi qui parle et comprend le kabyle. J’ai toujours été curieuse de savoir qui on est et d’où on vient. »

Avant la pandémie de Covid-19, elle se rendait en Algérie jusqu’à trois fois par an. L’ancienne enseignante possède assez logiquement un avis plus attentif que la moyenne sur la politique de réconciliation menée par Emmanuel Macron avec l’Algérie. Elle reproche au président sa méthode, consistant à « souffler le chaud et le froid », dénonçant la colonisation comme crime contre l’humanité en 2017, tout en refusant de présenter des excuses à la suite de la réception du rapport de l’historien Benjamin Stora, remis en janvier 2021.

« Néanmoins, Macron a au moins ceci de positif qu’il n’a pas vécu la guerre d’Algérie, ce qui lui confère un regard extérieur », reconnaît-elle. La députée salue également le geste du chef de l’État concernant le massacre du 17 octobre 1961. Emmanuel Macron a évoqué une « vérité incontestable », ainsi que des « responsabilités clairement établies ». « J’avais moi-même signé une résolution réclamant que la France reconnaisse sa responsabilité dans la répression des manifestants algériens le 17 octobre 1961 et qu’une commémoration annuelle soit instaurée. », clame l’élue.

Mais la nuance s’arrête là. Sur le reste, de l’éducatif au social en passant par l’économie, la députée le sait, presque tout les oppose.

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