Dans « La Gravité », Cédric Ido ose le cinéma de genre avec succès

Dans ce deuxième long-métrage de Cédric Ido, la cité est le théâtre d’un étrange alignement des planètes. Une illustration du plafond de verre que le réalisateur franco-burkinabè imagine dans un film réussi, à la croisée du comics et du récit d’anticipation.

Les deux frères, Joshua (Steve Tientcheu) et Daniel (Max Gomis), face aux Ronins, une bande d’adolescents aux cheveux colorés. © Caroline Dubois/UneFilleProductions

eva sauphie

Publié le 4 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

Les personnages gravitent autour des barres d’immeubles, mais ceci n’est pas un film sur les quartiers comme on a l’habitude d’en voir. Après avoir réalisé La vie de Château et écrit le scénario de À la belle étoile, Cédric Ido nous propulse, avec La Gravité, au milieu de personnages dans un univers de béton, où l’élévation sociale n’est pas possible, où l’ascenseur est toujours en panne.

Joshua (Steve Tientcheu), tombé d’une tour pendant sa petite enfance, est depuis condamné à avancer en fauteuil roulant. Une sorte de « chair mobile » qu’il a équipée d’options toutes plus ingénieuses les unes que les autres, bricolées dans le parking souterrain de son immeuble, tel un Bruce Wayne [Batman] des bas-fonds, pour y dissimuler les barrettes qu’il vend au voisinage. Son frère Daniel (Max Gomis) foule le bitume du stade, mais peine à voir sa carrière d’athlète décoller malgré des capacités certaines. Et enfin Jović (Olivier Rosemberg), la quarantaine bien sonnée, ne parvient pas à s’émanciper et vit toujours chez sa mère.

Daniel (Max Gomis, au fond) et son frère Joshua (Steve Tientcheu). © Caroline Dubois/UneFilleProductions

Daniel (Max Gomis, au fond) et son frère Joshua (Steve Tientcheu). © Caroline Dubois/UneFilleProductions

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Le monde de la cité d’après

Tous ces anti-héros sont d’une façon ou d’une autre cloués au sol. « La gravité est une illustration du plafond de verre, qui pousse les personnages vers le bas, alors même qu’ils ont tous du talent », précise le cinéaste franco-burkinabè. Reste Christophe, interprété par Jean-Baptiste Anoumon, tout juste sorti de prison après s’être fait arrêter pour trafic de stupéfiants. De retour au bercail, il ne lâche plus son carnet à dessins dans lequel il retranscrit avec réalisme et virtuosité le monde de la cité d’après qu’il découvre d’un œil ébahi.

Durant son incarcération, les Ronins, une bande d’adolescents aux cheveux colorés d’un rouge incandescent, ont pris possession des lieux et règnent en maître dans la cité. Une guerre des gangs s’installe entre les anciens et les modernes à mesure que le ciel s’embrase sous l’effet d’un étrange alignement des planètes. Voilà le décor halluciné dans lequel nous plonge Cédric Ido, qui ose un mélange des genres retors entre l’univers des comics et celui des films de combats coréens âpres et réalistes. « Ma hantise, c’était d’être très frontal dans ma proposition sur la cité, avoue-t-il. Les thématiques sont les mêmes, mais j’ai voulu me servir de références populaires d’aujourd’hui, en puisant dans un langage qui nous est propre et en assumant le côté pop culture, pour raconter nos histoires », détaille-t-il.

Un imaginaire débordant

Et c’est bien là toute l’audace de cette fiction, qui refuse l’écueil du cinéma de cité traditionnel, un marché aux codes propres, proches du documentaire et du cinéma du réel. Pas de réalisme ici, mais plutôt un imaginaire débordant à la lisière du récit d’anticipation sur fond d’effondrements (social, écologique…), où tout doit disparaître. Les « petits » profitent d’un phénomène naturel inquiétant pour annoncer la fin d’un cycle, en taclant leurs aînés. Lesquels ont profité des petits business de la cité à des fins individualistes. La relève est, sinon politisée, conscientisée. Et veut agir dans un intérêt commun, même s’il est question d’occuper le même terrain de jeu (le deal) que ses prédécesseurs.

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« Beaucoup de gens qui grandissent en cité voient la réussite comme un exutoire. Le but, c’est de se barrer le plus vite possible, sans nécessairement aider les autres. Ces mecs que je dépeins auraient pu être ingénieurs, graphistes ou sportifs professionnels, mais ils ne mettent pas leurs compétences au service de la communauté. De manière générale, la cité est vue comme un lieu de passage », glisse le réalisateur, qui a grandi à Stains, en Seine-Saint-Denis. « Les Ronins vivent dans un nihilisme inconscient. Ils ont vu leurs grands frères et leurs parents courber l’échine. Ils sont donc dans un refus de cette proposition de la cité. Ils veulent réinventer une cohésion sociale qui n’existe plus à l’intérieur même de ces quartiers. »

Les Ronins © Caroline Dubois/UneFilleProductions

Les Ronins © Caroline Dubois/UneFilleProductions

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Une lecture d’un environnement, somme toute universelle, et qui a d’ores et déjà réussi, notamment grâce à sa forme, à toucher des publics d’horizons différents. Le film a circulé à Toronto, au Canada, dans les pays nordiques comme en Norvège, aux États-Unis, ou encore, en Guadeloupe. Mais s’il y a bien un endroit où Cédric Ido souhaite toucher, c’est là où il a grandi. « C’est important d’être validé par les gens dont on parle », concède le réalisateur de 42 ans qui reste optimiste. « Je me positionne plutôt du côté des grands frères que du côté des Ronins. Je veux montrer que ce déterminisme social ne doit pas se répéter et qu’il y a des références et des exemples dans les quartiers, qui restent un vivier de talents », observe-t-il.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a fait appel à Steve Tientcheu, qui livre ici une prestation grisante entre vulnérabilité et puissance physique quand son fauteuil devient son armure. Originaire de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, il s’est révélé dans Les Misérables de Ladj Ly. « Mon casting réunit des acteurs identifiés, mais il faut savoir créer des stars. On ne peut pas se retrouver qu’avec un seul acteur noir bankable dans le paysage cinématographique français », pose celui qui a donc choisi un nouveau visage pour camper son personnage principal, celui de Max Gomis, nommé dans la catégorie révélations des César 2024 pour ce rôle.

La Gravité, de Cédric Ido, en salles le 3 mai en France.

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