En Algérie, Saïd Bouteflika et ses « amis » jugés en appel

Les Kouninef, Ali Haddad, Mahieddine Tahkout… Ils sont en tout 70 à comparaître avec le frère de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika devant la cour d’appel d’Alger pour « abus de fonction » et « blanchiment d’argent ».

Saïd Bouteflika. © Zinedine Zebar

Publié le 27 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

Les 4 352 appels échangés, de 2017 à 2019, entre Saïd Bouteflika, frère cadet du défunt ex-président Abdelaziz Bouteflika, et « ses amis » hommes d’affaires sont au cœur des auditions qui se déroulent depuis le 24 avril devant la cour d’appel d’Alger. Tous les prévenus étant actuellement en détention, ils comparaissent par vidéoconférence, à partir de leurs lieux d’incarcération, hors de la capitale.

C’est un nouveau et énième round judiciaire pour l’ex-conseiller spécial d’Abdelaziz Bouteflika, déjà détenu dans le cadre de poursuites dans plusieurs dossiers. Après la confirmation de sa condamnation par la cour d’appel d’Alger à huit ans de prison, début octobre 2022, dans l’affaire du financement occulte de la campagne électorale de la présidentielle (annulée) de 2019, il a en effet été condamné à douze ans de prison ferme pour « corruption et recel de revenus de corruption » par le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, le 8 février dernier.

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Une peine qui ne s’ajoute pas aux précédentes puisque, en Algérie, les peines de prison ne sont pas cumulables – c’est la condamnation la plus lourde qui est purgée.

Un étrange palmarès de coups de fil

Cette longue liste de relevés de communications téléphoniques entre Saïd Bouteflika et ce cartel de grands patrons n’étant pas assortie d’enregistrements sonores, la justice s’est donc essentiellement basée sur la densité et la fréquence de ces contacts téléphoniques pour retenir, contre les prévenus, les chefs d’inculpation d’« abus de fonction » et de « blanchiment d’argent provenant de la corruption ».

Ainsi, à très exactement 2 378 reprises, les frères Kouninef, Rédha, Noah-Tarek et Abdelkader-Karim, qui ont fait fortune grâce à une multitude de contrats publics obtenus dans les BTP, l’hydraulique, la téléphonie mobile, l’agroalimentaire et le secteur pétrolier, ont communiqué par téléphone avec Saïd Bouteflika, alors qu’il était officiellement conseiller de la présidence.

Dans cet étrange palmarès issu du listing téléphonique détaillé en audience, on trouve en « deuxième position » l’ancien président du Forum des chefs d’entreprise, Ali Haddad (487 appels), patron d’ETRHB, l’un des plus importants groupes de travaux publics du pays. Arrêté en mars 2019 alors qu’il tentait de fuir le pays, Haddad a depuis été condamné dans cinq procès distincts, écopant, en 2020, de dix-huit ans de prison pour des faits de corruption.

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Suivent au palmarès du plus grand nombre de coups de fil Ahmed Mazouz, patron du groupe éponyme, actif dans l’agroalimentaire, le médicament et l’automobile (également en prison), ainsi que l’homme d’affaires Tayeb Zeghimi, talonné par le roi des transports, Mahieddine Tahkout, propriétaire d’une flotte de 3 500 véhicules et d’une concession qui commercialise des voitures de grandes marques.

Mahieddine Tahkout se défausse sur Issad Rebrab

Le dossier à charge contient aussi des documents plus « parlants » : des dossiers de marchés publics retrouvés lors d’une perquisition au domicile de Saïd Bouteflika à El-Biar, sur les hauteurs d’Alger, ainsi qu’un chèque de 3 millions de dinars daté de 2009 et émis par le concessionnaire Hyundai, qui devait servir au financement de la campagne électorale d’Abdelaziz Bouteflika. Ce que conteste Mahieddine Tahkout à la barre, soutenant qu’à l’époque « c’est Issad Rebrab qui représentait cette marque de voiture en Algérie ».

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Pas moins de 70 autres prévenus (des hommes d’affaires et des membres de leurs familles) sont impliqués dans ce procès, auquel ont été jointes onze procédures différentes, dont certaines, déjà jugées, ont été rouvertes après la découverte « de nouveaux éléments contenus dans les commissions rogatoires dépêchées à l’étranger », précise le parquet.

L’ex-régent officieux du pays, qui apparaît sur écran depuis sa prison de Labiod Sidi Cheikh (à plus de 500 km d’Alger), réfute toutes les accusations à son encontre. « On m’accuse d’avoir protégé et favorisé des hommes d’affaires avant 2019, alors qu’aucune poursuite pour corruption n’a été lancée avant cette date », plaide Saïd Bouteflika.

Et d’ajouter que « les poursuites ont été enclenchées fin mars 2019 », soit quelques jours avant la démission de son frère aîné de la présidence, à l’époque ou lui-même était en résidence surveillée, avant d’être incarcéré à la prison militaire de Blida pour « complot contre l’État » – affaire pour laquelle il a été blanchi en appel.

Saïd Bouteflika ne nie pas pour autant sa proximité avec Ali Haddad et avec les frères Kouninef. « Ce sont des amis très chers. Les autres, certains, je les connais à peine, d’autres pas du tout », soutient-il, imperturbable.

Les dénégations de Rédha Kouninef

Rédha Kouninef réplique à son tour : « Saïd est certes un ami, mais aucun ministre ou fonctionnaire ne s’est plaint d’une quelconque pression à cause des affaires de notre famille. » Il rappelle qu’il a été condamné lors d’un précédent procès à dix ans de prison parce que les commissions rogatoires ont révélé qu’il disposait de 400 000 francs suisses (environ 38 millions de dinars, soit quelque 420 000 euros) sur son compte, alors que, selon le dossier judiciaire, il n’avait pas d’activité professionnelle dans ce pays (où il est né).

Selon lui, les Kouninef ne doivent pas leur fortune à leur proximité avec la famille Bouteflika, au pouvoir à partir de 1999, mais plutôt à leur père, Ahmed Kouninef, qui, au début des années 1970, a créé, en Algérie, KouGC, une société spécialisée dans le BTP, ainsi que plusieurs entreprises en Suisse, où il résidait alors.

« Les Kouninef n’ont pas le monopole des marchés publics en Algérie, se défend Rédha Kouninef, l’aîné de la fratrie, devant la présidente d’audience. La société italienne Rizzani a obtenu un marché de gré à gré d’un montant de 2,6 milliards de dollars, qui correspond au double de la totalité des marché attribués à KouGC en vingt ans. »

Pour conclure cette longue journée d’audience du 25 avril, la présidente passera finalement la parole au représentant du ministère public, qui a requis la reconduction des peines prononcées en première instance, à savoir entre dix et quinze ans d’incarcération, contre les principaux accusés.

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