Harry Belafonte et l’Afrique, une histoire puissante

Il avait accompagné les premiers pas de Miriam Makeba aux États-Unis et épousé la cause anti-apartheid. Le chanteur américano-jamaïcain à la voix de velours s’est éteint le 25 avril. Son héritage musical et politique, liant la diaspora africaine-américaine au continent, reste plus vivant que jamais.

Harry Belafonte dans le film « Bright Road » de Gerald Mayer (1953). © Mary Evans/AF Archive/SIPA

Leonard Cortana
  • Léonard Cortana

    Doctorant en cinéma à la New York University et chercheur au Berkman Klein Center de Harvard.

Publié le 1 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

Je me souviendrai toujours de mon émotion le jour où j’ai vu, pour la première fois, les archives vidéo d’un discours de Harry Belafonte. C’était au Centre de recherche des cultures noires Arthur-Schomburg de New York, à Harlem. Du fait de la pandémie, l’accès aux archives était restreint. Pour avoir une idée générale du catalogue, je visionnais souvent en accéléré de nombreuses vidéos. Ce jour-là, toutefois, j’ai regardé deux fois l’allocution en question. La vidéo du chanteur, comédien et producteur africain-américain le montrait participant, au milieu des années 1980, à une conférence destinée à organiser le boycott contre le régime d’apartheid.

Son discours d’une vingtaine de minutes était tellement puissant et son charisme si magnétique que je restai scotché devant le petit écran de télévision, peinant à prendre des notes. À l’époque, je vivais dans le quartier de Harlem. J’étais habitué à voir les portraits de Belafonte chez les barbiers et dans les cafétérias du quartier. Tout le monde avait une petite anecdote sur les fois où Belafonte, natif de Harlem, était venu encourager la jeunesse et les entrepreneurs du quartier. Mais personne ne m’avait parlé de son engagement pour l’Afrique.

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La responsabilité des Africains-Américains

Contrairement à de nombreux artistes, qui pensaient qu’il fallait centrer les efforts sur les États-Unis pour lutter contre les inégalités économiques criantes, Belafonte a toujours fait appel à la responsabilité des Africains-Américains pour le continent africain. Ce mot « responsabilité », qu’il employait dans chacun de ses discours et dans cette fameuse archive, structura toute son allocution en défense des peuples noirs d’Afrique du Sud.

Responsabilité solidaire et fraternelle pour les membres de la diaspora africaine, tout d’abord, laquelle devrait pousser tous les Africains-Américains à se sentir concernés par le sort des Noirs confrontés au régime d’apartheid.

Responsabilité historique, ensuite, car l’histoire du racisme structurel sud-africain rappelle les luttes du civil rights movement aux États-Unis. Pour lui, prolonger ce combat hors du pays était aussi une manière d’honorer l’héritage politique de celles et ceux qui avaient péri pour libérer le peuple noir du joug de la ségrégation.

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Responsabilité économique, enfin, dans le mouvement de boycott contre les entreprises sud-africaines qui avaient été très largement soutenues, à l’époque, par le président Ronald Reagan.

« Background-organizer »

Au terme du discours de Harry Belafonte, le public lui fit une standing ovation de plus de trois minutes qu’il interrompit pour aller à la rencontre des organisations locales.

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Depuis son décès, le 25 avril, à l’âge de 96 ans, les hommages se multiplient aux États-Unis et en Afrique. Sur les plateaux américains, les témoins partagent leur admiration pour l’artiste qui n’a jamais eu peur d’utiliser sa notoriété pour lutter contre le racisme. Contrairement à d’autres personnalités, qui avaient l’habitude de mettre en scène leur activisme afin de se forger une image publique positive, Belafonte était aussi un organisateur de l’ombre, un background-organizer, comme l’expliquent de nombreux jeunes musiciens qui revendiquent son héritage musical.

Belafonte était le mentor d’artistes noirs, comme Usher ou Danny Glover, et il n’hésitait pas à interpeller Jay-Z et Beyonce sur leur manque de responsabilité politique dans la lutte pour l’égalité des droits.

Poursuivis par des membres du KuKluxKlan

On se rappelle aussi de sa collaboration avec l’acteur Sydney Poitier pour débloquer des fonds visant à appuyer les activistes afro-américains dans l’État du Mississipi, en 1964, après l’assassinat de trois des leurs pendant la campagne d’enregistrement pour le vote Freedom Summer. Une implication qui a failli coûter la vie à ces figures phares du civil rights movement, qui seront poursuivies en voiture par des membres du KuKluxKlan.

Ami fidèle du révérend Martin Luther King, il avait œuvré avec détermination dans l’organisation d’un concert de soutien à la campagne de boycott des bus de Montgomery, en Alabama. Il avait alors largement contribué à élever la figure de King dans la presse locale et nationale.

Cet hommage à Harry Belafonte serait incomplet s’il n’évoquait pas la constance de ses voyages en Afrique et de ses collaborations avec de nombreuses personnalités politiques et artistiques du continent. Loin d’être fugace, son soutien au continent africain avait mis en lumière le rôle de la diaspora, dans un contexte compliqué de guerre froide et de diabolisation par de nombreuses personnalités politiques américaines de « la menace communiste africaine ».

Un mentor de Miriam Makeba

Interrogé sur les raisons de son activisme pour les peuples africains, Belafonte rappelait avoir été influencé par l’essai Le Monde et l’Afrique de W.E.B Du Bois, qu’il avait lu pendant qu’il servait dans la marine, dans les années 1940. Une lecture qui lui avait apporté une méthodologie pour développer des stratégies de soutien entre Africains-Américains et Africains, et qu’il mettra en pratique lors de sa rencontre avec le panafricaniste Tom Mboya, auteur et militant de l’indépendance du Kenya. Belafonte l’avait notamment soutenu dans la mise en place d’un programme d’échange d’étudiants d’Afrique de l’Est avec les États-Unis. Barack Obama Sr, père du 44e président américain, fut l’un d’entre eux.

Belafonte assumait alors un rôle décisif dans les partenariats pour le programme Peace Corps et parcourait les États-Unis pour recruter de jeunes Américains pour les programmes humanitaires et de développement en Afrique.

À cette époque, il devient le mentor de la chanteuse et activiste sud-africaine Myriam Makeba, qu’il présente au public américain et avec laquelle il enregistre un disque qui sera récompensé par un Grammy Award en 1964. Des décennies plus tard, il reconnaitra d’emblée le talent de Richard Bona, faisant du bassiste camerounais, primo-arrivant aux États-Unis, son chef d’orchestre.

Une vie entre deux continents

En 1984, il s’émeut des images terrifiantes de la famine en Éthiopie et commence une campagne de levée de fonds humanitaires qui se transformera quelques mois plus tard avec l’enregistrement de la chanson We Are the World, dont les fonds seront entièrement reversés aux œuvres humanitaires contre la famine en Afrique. Si l’on se souvient davantage des visages Lionel Richie ou de Michael Jackson comme porte-parole du projet, Belafonte en est bien l’initiateur, dans l’ombre.

En 1985, il intensifiera son activisme contre le régime d’apartheid. Il est arrêté par la police alors qu’il manifeste devant l’ambassade d’Afrique du Sud à Washington, et enchaîne les interviews pour dénoncer la connivence des médias américains et leur manque d’impartialité dans la manière de communiquer sur les différentes manifestations qui bousculent le pays. Au début des négociations qui conduiront au démantèlement du gouvernement ségrégationniste, en juin 1990, il coordonnera la visite de Nelson Mandela aux États-Unis, quatre mois après sa libération.

Durant les trente dernières années de sa vie, Belafonte continuera à voyager en Afrique et sera invité de nombreuses fois à participer aux actions d’institutions internationales et humanitaires, notamment au Kenya et en Afrique du Sud. On ne peut donc célébrer Belafonte sans raconter son amour pour l’Afrique tant son histoire, comme celle de nombreuses personnalités de la diaspora, s’est écrite entre les deux continents.

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