Comment le troll Gauthier Pasquet a trompé Jeune Afrique

Après les attaques survenues dans la ville malienne de Sévaré le 22 avril dernier, Jeune Afrique a recueilli le témoignage d’un médecin local. Mais derrière ce profil se cachait un troll bien connu en Afrique de l’Ouest : Gauthier Pasquet.

Une vue aérienne de la périphérie de Sévaré au centre du Mali, le 28 février 2020. © MICHELE CATTANI/AFP

Publié le 4 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

Le 22 avril, la ville de Sévaré, dans la région de Mopti, au Mali, se réveille dans le chaos. Plusieurs explosions déclenchées par des jihadistes présumés font des dizaines de victimes. Dans le tumulte, un médecin lance un appel à l’aide sur Twitter, décrivant la situation difficile dans laquelle se trouverait son établissement, l’hôpital Sominé Dolo de Sévaré. Nous décidons alors de consacrer un article au sujet, en partie basé sur son témoignage.

Article publié le 25 avril 2023 sur le site de Jeune Afrique.

Article publié le 25 avril 2023 sur le site de Jeune Afrique.

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Pris dans des difficultés bien réelles, cet établissement hospitalier, soutenu depuis 2020 par le Comité international de la croix rouge malien (CICR), a mis en place un « plan de contingence d’urgence » pour faire face à l’afflux massif de blessés. Dans un communiqué publié le 24 avril, le CICR explique envoyer du « personnel médical additionnel, des équipements et des consommables médicaux » à l’hôpital dans le besoin.

Appel à l’aide

Après s’être appuyé sur le bilan annoncé par le CICR et recueilli le témoignage d’un habitant de la ville, nous contactons le soi-disant médecin qui prétend exercer à Sévaré, le Dr Djibril Koïta. Il vient de lancer un appel aux dons de sang sur son compte Twitter, alertant sur les difficultés rencontrées par le personnel de santé. « La situation ici est très grave. Nous faisons face à un énorme manque de poches de sang à l’hôpital de Sévaré. Les victimes sont nombreuses. Il n’y a pas assez de lit et de personnel pour les soins. Ni même de compresse en quantité suffisante », tweete-t-il notamment.

Vu par plus de 35 000 personnes et retweeté 42 fois, son appel à l’aide est largement partagé sur Twitter et repris par plusieurs médias locaux, comme la Voix de Mopti ou MaliWeb. @Djib_Koita, qui se définit comme « médecin urgentiste Hôpital de Mopti / Sevaré (Mali) », accepte de nous livrer son témoignage.

D’abord contacté via la messagerie de Twitter, le prétendu médecin se montre très réactif et accepte d’échanger sur WhatsApp. « La situation est véritablement difficile et je fais mon quotidien entre menaces et injures depuis mes récentes sorties », écrit-il avant de nous décrire directement la situation par téléphone. En ligne, son témoignage détaillé semble corroborer le récit de l’habitant précédemment interviewé. Comme sur Twitter, il cible aussi les autorités de transition maliennes. « Mon appel a créé beaucoup de polémiques car j’ai dit quelque chose qui ne va pas avec la pensée de nos dirigeants actuels. J’ai dit des vérités qu’il ne fallait pas dire », nous indique-t-il.

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Profil douteux

Une semaine après la publication de l’article, alertés par plusieurs contacts sur le profil douteux du médecin – dont les critiques envers les juntes malienne et burkinabè interrogent sur ses motivations -, nous décidons de procéder à des vérifications. Plusieurs sources hospitalières confirment alors nos soupçons. « Il n’y a pas, et il n’y a jamais eu, de médecin du nom de Djibril Koïta dans notre établissement », nous indique notamment le Dr Guindo, directeur général de l’hôpital Sominé Dolo depuis 2018.

Qui est donc derrière ce compte Twitter ? Recontacté par WhatsApp, le troll commence d’abord par démentir : « Décidément… Vous pouvez croire alors une horde d’endoctrinés et de populistes qui crient à mort la France. On comprends mieux pourquoi la France et vos médias sont devenus autant détestables et détestés. Continuez, enfoncez-vous et bon courage ! Merci. Ça m’apprendra. »

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Gauthier Pasquet, troll notoire

Répondant à notre demande de prouver son identité et sa profession, l’auteur finit par se dévoiler. « En espérant que vous serez à mesure d’assumer avoir été ‘piégé’ par Gauthier Pasquet ! Vous avez donc le choix, laisser couler ou vous ridiculiser et livrer JA à la vindicte. Un démenti ne changera rien. La France est victime de plusieurs attaques informationnelles du Mali et du Burkina. Rendre l’appareil (sic) n’est pas un crime. Alors c’est vous qui voyez ! Gauthier Pasquet. Shuuuuut… »

Après vérification, le numéro américain utilisé par le faux médecin sur WhatsApp s’est avéré être connu de la rédaction de JA. En décembre, un de nos journalistes a été approché par quelqu’un se présentant comme Gauthier Pasquet avec ce même numéro – déjà, à l’époque, pour proposer le témoignage d’un soi-disant médecin blessé dans une attaque à Kita. Le faux compte du Dr Djibril Koïta était donc, en réalité, administré par le même individu.

Cette affaire relance le débat sur les objectifs du compte Gauthier Pasquet, très suivi en Afrique de l’Ouest, et au Mali en particulier, et l’identité de ses administrateurs. Présenté comme « journaliste indépendant » et « lanceur d’alerte », doté de plus de 29 000 followers, Gauthier Pasquet est identifié comme un troll favorable aux intérêts français et ivoiriens.

La rédaction de Jeune Afrique tient à présenter ses excuses à ses lecteurs pour cette erreur et espère que ces explications leur permettront de mieux comprendre et d’identifier les dangers de la désinformation.

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