Dylan Thiry, influenceur ou « white savior » ?

L’ancienne star de téléréalité, qui a effectué plusieurs voyages humanitaires sur le continent ces dernières années, est au centre d’une polémique depuis que le rappeur Booba l’accuse d’avoir voulu enlever un enfant à Madagascar.

L’influenceur luxembourgeois Dylan Thiry. © Dylan Thiry compte Instagram

CRETOIS Jules

Publié le 5 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

Baskets blanches immaculées, belle gueule et grand sourire. Dylan Thiry, influenceur luxembourgeois au 1,6 million d’abonnés sur Instagram, n’en mouille pas moins le maillot. En 2021, on le voit, sous un grand soleil, porter des denrées alimentaires dans un village sénégalais entouré de nombreux enfants.

Thiry, un peu moins de 30 ans, se montre souvent entouré de gamins tout sourire dans les vidéos qui documentent ses voyages humanitaires, notamment ceux effectués sur le continent, au Maroc, au Sénégal ou encore à Madagascar.

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« Je prends un gros billet et ça sauve un enfant »

Mais depuis quelques jours, le beau gosse à l’air sympathique qui a monté sa propre association caritative, Pour nos enfants, fait l’objet d’une vive polémique sur les réseaux sociaux. En cause : la publication, le 25 avril, par Booba, célèbre rappeur français d’origine sénégalaise en guerre ouverte contre les influenceurs, d’un message vocal dont l’auteur serait Dylan Thiry.

On y entend un échange hallucinant, où un homme propose de sortir un enfant de Madagascar : « Elle m’avait écrit pour savoir si j’avais un contact pour adopter. Je peux faire en sorte qu’elle adopte. J’avais pensé à leur demander 100 000 euros, minimum, c’est vraiment le minimum. Je prends un gros billet […] et de deux ça sauve un enfant. Voilà, ce sont les deux trucs positifs. » Et de préciser la démarche : « Je vais prendre le passeport de n’importe quel pote qui a une fille noire. Et avec ce passeport, c’est comme si j’étais venu à Madagascar avec elle. Et moi je repars en Europe avec elle. »

Adoptions illégales

Depuis les années 2000, Madagascar a connu plusieurs scandales liés au trafic d’enfants et aux adoptions illégales. En 2022, face à la multiplication des dérives, la France a émis un arrêté pour suspendre temporairement les procédures d’adoption internationale des enfants résidant à Madagascar et retiré son habilitation à un organisme opérant sur la Grande Île.

Après la divulgation de ces messages vocaux par Booba, le Collectif des adoptés français du Mali, fer de lance de la lutte contre les adoptions illégales, a rapidement fait savoir son indignation. « Ces propos qu’on entend, c’est horrible. Quand on a entendu ça, notre sang n’a fait qu’un tour. C’est ce qu’ont vécu des dizaines de personnes sur le continent africain, notamment des membres de notre association », souffle Marie Marre, une membre de ce collectif.

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Fin avril, Stéphane Vojetta, un député français, a saisi la justice de son pays au sujet de cette affaire. De son côté, Dylan Thiry ne nie pas vraiment que c’est sa voix qu’on entend dans les vocaux diffusé par Booba. En 2022, l’influenceur s’est rendu à deux reprises à Madagascar. Lors de ses voyages humanitaires, il met en ligne des cagnottes. Les sommes récoltées, importantes, atteignent parfois plus de 100 000 euros.

Détournement de fonds

Ses détracteurs l’accusent aujourd’hui de ne pas dépenser tous ces fonds dans de seuls buts humanitaires. Il y a plusieurs mois, « Sandra », l’ancienne vice-présidente de l’association Pour nos enfants s’est éloignée de lui et a déposé une plainte contre X en France pour « détournement de fonds » et « abus de confiance ». « Il n’y a aucune transparence sur les dépenses des cagnottes, c’est le flou total », explique un membre de l’association Aide aux victimes des influenceurs (AVI), qui ne lâche plus Dylan Thiry. « L’humanitaire, ça doit répondre à des règles de base. Toutes les associations sérieuses s’y plient », continue-t-il.

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Outre à Madagascar, l’influenceur a posé ses baskets blanches à deux reprises au Sénégal. Son premier voyage, en 2020, a vite pris une tournure rocambolesque. Lors de son passage à Dakar, il organise une rencontre avec ses fans… et finit par se faire filmer au cœur d’une manifestation politique de la diaspora guinéenne.

En 2021, il se rend une seconde fois au pays de la Teranga. Un voyage durant lequel il s’associe à une petite structure humanitaire française qui a un projet de puits dans le village de Bondji Waly, dans la région de Matam, dans l’est du pays. Thiry propose d’accélérer l’affaire. « Il y a eu tout un imbroglio avec les autorisations nécessaires pour creuser le puits. Le maire du village est intervenu et les choses auraient dégénéré », explique un membre du collectif AVI. Après avoir vertement critiqué l’édile sur ses réseaux sociaux, Thiry finit par quitter le village.

Selon un jeune Dakarois qui a accompagné Thiry à Bondji Waly, « les catastrophes se sont enchaînées sur place ». « Dylan voulait à tout prix terminer le puits lui-même alors qu’on faisait appel à des équipes professionnelles. Certes, les gens ont besoin d’aide. Mais si je vais en France, que je creuse un puits sans rien demander à personne et que je me brouille avec le maire du village, que va-t-il se passer ? Il faut respecter les gens sur place et les autorités du pays où on est. Cela n’est pas professionnel. » Ce témoin insiste pour conserver son anonymat. « Sur internet, les défenseurs et les détracteurs de Dylan sont super violents. Tout le monde s’insulte. Je ne veux plus être associé à lui », souffle-t-il.

Vidéos égotiques

Après ses démêlés au Sénégal, l’influenceur français se rend au Mali. Dans les rues de Bamako, il croise un internaute malien avec lequel il avait échangé des invectives. Résultat ? Une bagarre filmée. « Je l’ai frappé car il a insulté ma maman », expliquait le jeune homme sur les réseaux sociaux.

Ces péripéties en cascade cadrent mal avec le discours caritatif de ce converti à l’islam, qui en appelle volontiers aux dons de la communauté musulmane et affiche une foi chevillée au corps. Dylan Thiry, parfaite incarnation du white savior ? Ce concept anglo-saxon désigne les personnes occidentales qui se présentent comme volant à la rescousse de peuples du Sud, réduisant ces derniers au rôle de bénéficiaires passifs de leur bienveillance. Passion pour les clichés en compagnie d’enfants présentés comme nécessiteux, manie de se montrer sous son plus beau jour sous couvert de solidarité… Autant de pratiques récurrentes chez Thiry, dont les vidéos tour à tour empathiques et égotiques virent souvent au ridicule.

Thiry, qui s’était constitué une petite popularité chez des jeunes en France, en Afrique de l’Ouest et dans la communauté musulmane, a finalement eu une influence que personne n’attendait : faire ressurgir le débat sur les limites de la charité et de l’humanitaire. Contacté au sujet de ses différents voyages et des propos qui lui sont attribués, il n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

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