La RDC a-t-elle abandonné la lutte contre la corruption ?
L’entrée au gouvernement de Jean-Pierre Bemba et de Vital Kamerhe marque-t-elle la fin du combat contre l’abus de biens sociaux et celle de la mise en place d’une justice transitionnelle ?
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Jimmy Kande
Directeur Afrique de l’Ouest et francophone et président du Réseau panafricain de lutte contre la corruption (UNIS).
Publié le 13 mai 2023 Lecture : 4 minutes.
Le 23 mars 2023, le président Félix Tshisekedi procédait à un remaniement ministériel, attribuant des portefeuilles clés à deux de ses alliés, Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de libération du Congo (MLC) et Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise (UNC). Le deux hommes étaient ainsi nommés respectivement ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants et vice-Premier ministre chargé de l’Économie. Outre ces deux profils controversés, Félix Tshisekedi faisait également entrer au gouvernement Antipas Mbusa Nyamwisi, du Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani, mouvement de libération (RCD-K/ML), en qualité de ministre de l’Intégration régionale.
Un remaniement très politique
L’arrivée au gouvernement des ces personnalités peut, théoriquement, assurer au chef de l’État le soutien de leurs partisans lors de la présidentielle prévue le 20 décembre 2023. Un remaniement très politique, donc, qui va à l’encontre des engagements présidentiels – pris devant l’Assemblée nationale, le 26 avril 2021, puis lors du sommet sur la démocratie aux États-Unis, en décembre de la même année – d’opter pour une justice transitionnelle et de lutter avec détermination contre la corruption. Or Kamerhe, Bemba et Mbusa Nyamwisi ne sont pas en odeur de sainteté dans ce domaine, loin s’en faut.
Ex-directeur de cabinet du président, le premier a été condamné pour détournement de deniers publics avant d’être acquitté. Anciens chefs de guerre, les deux derniers sont soupçonnés d’être impliqués dans des actes de rébellion dont les répercussions continuent à se faire sentir. Que Jean-Pierre Bemba, reconnu coupable en première instance de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre » pour des atrocités commises par ses troupes en République centrafricaine (RCA), ait été finalement acquitté par la Cour pénale internationale n’y change rien : le soupçon demeure. D’autant plus qu’aucune procédure judiciaire n’a jamais été engagée pour les crimes, a priori imprescriptibles, commis par les éléments du MLC en RDC.
Le rapport Mapping sur les violations des droits humains entre 1993 et 2003 en RDC évoque d’ailleurs le rôle du mouvement que dirigeait Jean-Pierre Bemba dans les atrocités dont ont été victimes les populations civiles dans les zones sous contrôle du MLC. Bien que Jean-Pierre Bemba ait transformé son mouvement en parti politique en 2003, sa contestation des résultats de la présidentielle de 2006 avait été émaillée de violences au premier et au second tour. Et Jean-Pierre Bemba traîne avec lui une condamnation pour subornation de témoin qui l’avait disqualifié pour l’élection présidentielle de 2018.
Engagement de façade
La lutte sans merci contre la corruption préconisée par Félix Tshisekedi serait-elle donc un engagement de façade ? Le président a pourtant entrepris de redynamiser l’Inspection générale des finances (IGF). Il a également créé au sein de son propre cabinet l’Agence de lutte contre la corruption et la cellule de changement des mentalités, et il a restructuré la Cour des comptes. Ces structures sont chargées d’identifier les actes de corruption, de les prévenir et/ou de les réprimer. Cependant, jusque-là apprécié dans l’opinion publique, le travail de l’IGF suscite quelques interrogations car il n’entraîne pas les condamnations en justice escomptées.
Dans ses discours sur l’État de la nation en 2021 et 2022, le président Tshisekedi l’a lui-même reconnu en déclarant que la justice demeure encore sur le banc des accusés. En effet, lorsque des poursuites sont entamées, la quasi-totalité des personnes mises en cause par les rapports de l’IGF finissent par être libérées – souvent sur incitation de l’exécutif –, et les poursuites par être tout simplement gelées. Après que le président de la République a déclaré que « Vital Kamerhe est un homme correct et honnête » dont le pays a encore besoin, ce dernier a été acquitté dans un procès pour un détournement présumé d’environ 50 millions de dollars en juin 2022. Il avait été condamné à vingt ans de prison deux ans plus tôt.
Sa nomination au ministère de l’Économie conduit à s’interroger sur la valeur que le président de la République accorde au travail de l’IGF. Accusée par l’institution d’avoir cédé de manière opaque les actifs de l’État dans la Cominière, un autre membre du gouvernement, Adèle Kayinda, a été reconduite à la tête du ministère. Difficile alors de comprendre que le président de la République accuse la justice d’entraver le travail de l’IGF alors que, dans le même temps, il semble récompenser les personnes mises en cause dans les enquêtes de l’institution. Au final, à quelques mois de la présidentielle, ce n’est pas tant la lutte contre la corruption que la conquête d’un second mandat, en s’appuyant sur des poids lourds de la scène politique congolaise, qui dicte les actions du chef de l’État. La perspective d’un second mandat a eu raison de la justice transitionnelle et la de lutte contre la corruption.
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