Baaba Maal : « Au Sénégal, on devrait pouvoir s’asseoir autour d’une table et trouver des solutions »

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, « Being », le roi du yella livre son regard sur la place de la musique en Afrique, le rôle des réseaux sociaux et la situation dans son pays.

Le chanteur sénégalais Baaba Maal se produit au Zénith de Paris, en mai 2017. Senegalese singer Baaba Maal performs live at Le Zenith. Paris, France – 06/05/2017 © SADAKA EDMOND/SIPA

Publié le 18 juin 2023 Lecture : 7 minutes.

Avec une carrière de plus de trente ans et des dizaines d’albums, Baaba Maal revient avec un sept-titres, Being. L’artiste peul, surnommé le roi du yella, aussi fondateur du festival Les blues du fleuve, et ambassadeur des Nations unies dans le cadre de la lutte contre la désertification, s’est adressé, sur la scène de la 15e édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) à Abidjan, à la jeunesse africaine. Il a interpellé les gouvernants sur la nécessité de leur offrir des opportunités sur le continent. Rencontre.

 Jeune Afrique : Fondateur du festival Blues du fleuve, dans votre région d’origine, à Podor, vous avez participé cette année au Femua. Quelle est la place des festivals dans le paysage culturel africain ?

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Baaba Maal : Le festival prend tout son sens sur le continent africain. Traditionnellement, nous organisions des fêtes où les gens venaient d’un peu partout, se rencontraient dans les villages des uns et des autres. Si aujourd’hui on appelle cela festival, tant mieux ! C’est aussi une façon de discuter et de trouver des solutions à nos problèmes quotidiens.

Lors de l’ouverture du Femua, A’Salfo a affirmé que la culture était le levier le plus sûr pour développer un pays. Comment s’articulent musique et retombées sociales selon vous ?

J’aime beaucoup la vision d’A’Salfo et la manière qu’il a de la consolider. On peut avoir une vision, mais ne pas trouver la démarche qu’il faut pour l’accomplir. Celle d’A’Salfo et du groupe Magic System est formidable. Quand on a une voix, que cette voix nous conduit dans tous les coins du monde, et qu’on a la possibilité de parler de nos continents, de nos pays, de nos communautés, de ce qui nous interpelle, il faut le faire. Et c’est ce qu’ils font. Cet appel doit aussi atteindre les oreilles de nos chefs – les gouvernants, les autorités religieuses ou coutumières, etc.

Il faut que toute la chaîne de décision soit mobilisée pour donner plus de sens à la culture, qui n’est d’ailleurs pas seulement là pour développer le plaisir et la joie de vivre. Elle sert aussi à accompagner des projets de développement, pour convaincre les jeunes de rester chez eux et les encourager à penser que tout est possible sur le continent. Le Femua nous permet de parler de l’Afrique, de nous unir et d’encourager tous les projets de développement.

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Ce sont des thématiques que vous abordez aussi dans Being, votre nouvel album. Comment l’avez-vous construit ?

Nous avons repris avec mon ami Mansour Seck nos vieilles méthodes de travail : on s’assied dans une cour ou chez des amis, on note des idées, on écrit des chansons. C’est seulement après avoir élaboré six ou sept titres que l’on s’est dit que Being pourrait devenir un album. Nous étions d’abord dans le plaisir de reprendre nos instruments, de nous asseoir entre amis, de ne pas nous efforcer de vivre, mais de vivre naturellement. Les choses viennent à vous quand vous vous comportez ainsi. Quelqu’un m’a demandé comment cela se faisait que, même lorsqu’on ne comprend pas les langues, l’on ressente les mélodies, les frissons, etc. Tout simplement parce que cela vient du cœur et s’oriente vers d’autres gens qui ont les mêmes sensibilités.

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Pouvez-vous nous parler de l’un des titres, « Casamance Nights » ?

Je l’ai enregistré dans un premier temps au bord de la mangrove des îles du Saloum. Pour les voix, j’ai mis un micro devant une cabane en regardant la lagune. J’ai laissé le micro ramasser ma voix, mais aussi les sons des grillons, tous les bruits de la nuit. Cela m’a replongé dans mes anciennes habitudes d’écriture. Avant, Mansour Seck et moi, nous écrivions des chansons où on laissait entendre, dans les enregistrements, les femmes qui pilaient le mil, le bœuf qui beuglait, les enfants qui jouaient. Et nos compatriotes, avec ces cassettes, se remémoraient précisément leur environnement d’origine. Cela maintenait la relation avec leur communauté.

Quand on dit « maintenir », cela signifie que l’on reste concerné sur le devenir de la communauté. Quand il faut mettre de l’argent, on cotise. Quand il faut partager son opinion, on s’implique. Qu’on vive en France, en Allemagne ou aux États-Unis, on reste en contact. Et c’est pourquoi la musique est importante. Cela prend tout son sens sur le continent africain. Plus qu’ailleurs dans le monde peut-être.

Plusieurs chansons de cet album abordent la question des réseaux sociaux.

Je pense que c’est le fil conducteur. Dans « Freak Out », par exemple, je dis que les réseaux sociaux sont une aubaine pour le continent. Ils donnent la parole à des gens qui n’ont jamais su élever la voix. Et dans ce contexte de migration où les changements climatiques ne permettent plus aux gens de vivre dans leur milieu naturel, comment communiquer ? Désormais, on utilise les réseaux sociaux comme la place de village où les gens se regroupaient le soir, échangeaient des informations. Aujourd’hui, on crée des groupes de famille et d’amis sur WhatsApp. C’est bien, mais il faut faire attention.

En Afrique, il y a une organisation sociale qui préserve une certaine harmonie. Chacun a sa place dans la société. Il ne faut pas tout régler sur les réseaux sociaux. Si on a un moment de colère par rapport à sa famille, il faut s’asseoir et discuter. Dans notre éducation, les problèmes se règlent toujours. Si on les expose sur les réseaux sociaux, où cela s’inscrit pour toujours, on peut le regretter. Il y a aussi beaucoup de batailles politiques sur Internet. Or il ne faut pas oublier que nous sommes appelés à cohabiter. C’est là où j’interpelle les gens : les réseaux sociaux sont, certes, une grande place de village, mais il faut savoir ce qu’on y partage. La parole, c’est comme de l’eau, quand ça tombe sur la terre, on ne peut plus la ramasser.

 Si nous voyageons dans votre répertoire, il y a une chanson que vous reprenez souvent, « Baayo », extraite de l’album du même nom sorti en 1991.

J’ai justement dit, il y a quelques jours, lors d’un concert à Dakar, que j’aimais commencer mes concerts par « Baayo ». Baayo, c’est l’orphelin. Aujourd’hui, il y a des jeunes en Afrique – et les gens ont tendance à les oublier –, qui perdent leurs parents à cause des maladies. Parfois, ils sont séparés à cause des conflits et des problèmes d’insécurité. Ces enfants laissés pour compte sont plus exposés à la violence, à la drogue, aux maladies. Pour demain, nous voulons une génération saine, forte, qui a senti qu’elle a été aimée et accompagnée. « Baayo », c’est une façon de rappeler aux chefs que, dans certains pays, il y a des gouvernements qui font des efforts en matière d’éducation et de sécurité. D’autres n’en font pas autant, alors que nous sommes tous interconnectés.

C’est une chanson que vous avez écrite au moment où vous avez perdu votre mère.

J’avais besoin d’être soutenu, que les gens me comprennent, qu’ils m’aident à dépasser ce moment douloureux de la perte d’une maman. Une maman qui était toujours là à me dire : « Cela, tu ne devrais pas le dire dans une chanson. Ceci, en revanche, c’est très bien. » Elle chantait elle-même et m’a beaucoup appris. Mon moyen de communication reste principalement la musique. C’est avec cet art que je peux partager mes aspirations, mes peines, mes douleurs, ma joie, l’amour que j’ai pour l’humanité. Je prends ma guitare, que ce soit dans ma chambre, dans mon salon, au milieu de la cour de ma maison, et je joue. Il y a quelque chose en moi qui vient m’accompagner pour me dire que tout est possible.

Quand vous dites « ma maison », où est-elle ?

Je ne sais plus ! (Rires) Quelque part, je me sens un peu perdu parce que je voyage presque huit mois sur douze, mais, durant les quatre mois qui restent, j’essaie de passer du temps à Podor. C’est là que j’ai créé le festival et une fondation pour l’agriculture, l’élevage et la pêche. Je suis à Dakar aussi, qui est une belle ville, inspirante, même si elle peut être violente. Il y a une énergie, une créativité, et la culture y occupe une grande place.

À quelles violences faites-vous référence ?

Ce qui m’inquiète, en politique, ce sont les différentes façons de s’exprimer. Le Sénégal est un petit pays – en superficie et en nombre d’habitants – où l’on pourrait s’asseoir autour de la même table pour discuter et trouver des solutions. Ça ne devrait pas être difficile de délimiter des terrains d’entente pour aller de l’avant. Les divergences sont inévitables : chacun à sa vision, son aspiration, et les générations diffèrent. Néanmoins, nous avons le même objectif : faire en sorte que le monde entier, surtout le continent africain, respecte le Sénégal, et que ce respect puisse perdurer, que le pays reste un modèle de démocratie, d’ouverture, d’hospitalité. On nous appelle le pays de la Teranga, ce n’est pas pour rien.

S’il y avait un titre qui reflétait votre humeur, quel serait-il?

Je vais parler de l’humeur de mon orchestre, qui se réinvente sans cesse, dans lequel des jeunes arrivent régulièrement. Ces jeunes ont écouté les anciennes chansons et ils me proposent de nouvelles versions. En ce moment, c’est « Gorel » qui les enchante. Cela fait danser, et je pense qu’on a besoin de décompresser un peu. Ne pas toujours chanter de thématiques, juste faire de la musique.

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