Steve Tientcheu : « Mon vrai passeport, c’est le 93 »
L’acteur français révélé dans « Les Misérables » de Ladj Ly multiplie les projets. À l’affiche de cinq films et de deux séries cette année, il est sur orbite dans « La Gravité » de Cédric Ido, un film de genre brillant.
Il rêvait de quitter les grands ensembles et de jouer Danton, l’une des figures majeures de la Révolution française. C’est cette trajectoire que la réalisatrice Alice Diop (Saint Omer) a documenté dans La Mort de Danton, un film dans lequel on pouvait déjà percevoir la sensibilité qui se cachait derrière la carrure de boxer poids lourd du jeune acteur de 25 ans, alors en apprentissage au Cours Simon – une école de théâtre parmi les plus prestigieuses de Paris.
« Pendant deux ans et demi, Alice a raconté l’histoire de ce jeune qui sort de son quartier pour découvrir un nouvel horizon dont il ne connaît pas les codes », se souvient Steve Tientcheu, en parlant de lui comme d’un autre personnage. Sans doute parce que ce fils né de parents camerounais ayant grandi dans la cité des 3 000, à Aulnay-sous-Bois, a aujourd’hui le recul nécessaire pour analyser son parcours. Sa différence, il l’assume désormais et en tire avantage. « Je suis un pur banlieusard, je ne m’en cache plus. C’est mon identité, revendique-t-il en gonflant la poitrine, la lanière d’une sacoche enfilée en diagonale traversant son bomber. Je suis Français de papier, mais mon vrai passeport c’est le 93. »
Des rôles marquants
À 40 ans tout ronds, Steve Tientcheu a fait du chemin. Si ce grand gaillard à la peau noire n’a pas mené sa révolution en cassant les codes des pièces classiques, il a pu bouleverser ceux d’un théâtre qu’il connaît bien, la cité, en se voyant confier des rôles loin des poncifs habituels. À commencer par celui du maire dans Les Misérables de Ladj Ly (2019). « Si je dois faire toute une carrière dessus [sur la cité], ce n’est pas un souci », assure-t-il. Pourtant, c’est loin des rôles de caïd et des barres d’immeuble qu’il débute.
Une fois sa formation de théâtre terminée, l’ancien agent de sécurité – job alimentaire qui lui paie ses trois années de cours – enchaîne les castings. Il y a d’abord celui de la série à succès Braquo, polar noir créé par Olivier Marchal, qu’il rejoint le temps de trois épisodes dans la saison 2, puis Rengaine de Rachid Djaïdani – sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en 2012 –, ou encore Les Combattants de Thomas Cailley (2014) avec Adèle Haenel, un western écolo sur fond de survivalisme. « J’ai commencé en campant de petits rôles, mais des rôles marquants dans des films tout aussi marquants », appuie-t-il.
Derrière son côté balèze se cache une vraie fragilité. Ce contraste est rarement exploité au cinéma
Fini les apparitions, les silhouettes et les personnages secondaires pour celui que l’on a ensuite vu dans La Nuit des rois (2020), une plongée dans les entrailles de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), la plus grosse prison de Côte d’Ivoire, signé du réalisateur franco-ivoirien Philippe Lacôte. Et plus récemment dans Neneh Superstar de Ramzi Ben Sliman aux côtés d’Aïssa Maïga. Dans ce film divertissant aux tonalités politiques, Steve Tientcheu se joue encore une fois de son image et brouille les pistes en campant un père aimant et tendre, soucieux de voir sa fille accomplir son rêve de danseuse étoile en dépit de sa couleur de peau.
« Derrière son côté balèze se cache une vraie fragilité. Ce contraste est rarement exploité au cinéma. Or c’est ça qui me séduit chez lui, je le trouve hyper touchant », confie le réalisateur Cédric Ido, qui l’a choisi pour interpréter l’un des trois protagonistes de son nouveau long-métrage, La Gravité.
Dans ce film de genre à la croisée du comics et du récit d’anticipation, l’acteur tient un vrai rôle de composition. Il joue Joshua, un ancien de la cité condamné à vivre de petits trafics et à avancer en fauteuil roulant suite à une chute fatale du haut d’une tour. Pour lui, pas d’élévation possible. « Dans ce film, la cité n’est qu’un décor. Et à l’intérieur il y a des corps, poétise l’acteur. Dans chaque appartement, on retrouve des problèmes qui touchent tout le monde. »
Pour ce rôle, cette « pâte à modeler » à la merci du réalisateur qui le dirige, capable de lâcher totalement prise, s’est beaucoup entraîné. Physiquement d’abord, en ne se déplaçant qu’en fauteuil pendant un mois et demi, mais surtout psychologiquement. « Le plus dur, c’est le mental, car j’ai dû me mettre à la place de personnes invalides. Joshua est foncièrement égoïste et vit accroché à son frère car il a peur de se retrouver seul. » « Ce n’est pas qu’un personnage qui rebute. Joshua a des failles visibles, et c’est là tout le talent de Steve qui parvient à rendre des personnages a priori antipathiques, attendrissants », complète le cinéaste franco-burkinabè.
Vers un cinéma démocratique
Dans ce film sur la cité pas comme les autres, Steve Tientcheu offre une prestation grisante, entre vulnérabilité et vigueur, tantôt cloué au sol, tantôt surpuissant. Surélevé sur sa chaise qui le maintient comme une armure de super-héros, il est maintenant prêt à combattre les Ronins, une bande de jeunes plus « politisés » que ses aînés, régnant en maître sur la cité. « Ces gamins-là pensent dans l’intérêt commun. Nous, on avait une mentalité plus individualiste, davantage dans la survie », observe Steve en sortant de son personnage pour mieux faire le lien avec sa propre expérience.
Ce Bamiléké revendiqué, ayant grandi dans une fratrie de quatre enfants, sait d’où il vient. Il se rend régulièrement au pays, « à l’ouest, direct au village », pour se reconnecter, prendre de la force. Et mieux revenir. Ses racines sont toujours à Aulnay-sous-Bois. Mais « fini les foncedés au whisky JB en bas de la tour », rigole-t-il. Il vit désormais « à la cool, près du canal où [il] promène [s]on labrador ».
Pas d’embourgeoisement pour autant pour celui qui retourne tous les week-ends aux 3 000. L’occasion de rendre visite aux copains de la première heure. Mais aussi de repérer des talents aulnaysiens. Car il était temps pour Steve Tientcheu de penser collectif à son tour. Depuis 2021, il a ouvert la pépinière Cinéma à ciel ouvert, dans la ville qui l’a vu naître. Le lancement, axé sur le jeu, la danse et la préparation physique, a réuni 12 comédiens en herbe et donné naissance au court-métrage La Chimère, réalisé par Steve lui-même. L’acteur, qui a tourné dans cinq films et deux séries rien que cette année, ne chôme pas. Il lancera cet été la deuxième édition de son programme (gratuit), centré cette fois sur le tournage et la réalisation. Pour que le cinéma continue sa petite révolution.
Steve Tientcheu est actuellement à l’affiche de La Gravité de Cédric Ido, en salles depuis le 3 mai, et de la production Netflix Aka de Morgan S. Dalibert
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