Charles III, la couronne britannique et le paysan tunisien

La déferlante de commentaires et d’images concernant le couronnement du roi Charles III a laissé les plus pauvres indifférents, préoccupés qu’ils sont par leurs problèmes du quotidien.

Une photo de la famille royale, le 8 mai 2023 au Palais de Buckingham, deux jours après le couronnement de Charles III. © Hugo BURNAND/BUCKINGHAM PALACE/AFP

Fawzia Zouria

Publié le 14 mai 2023 Lecture : 3 minutes.

Quel tintamarre, le 6 mai dernier, autour du couronnement de Charles III  ! Mais j’ai tout suivi de ce moment tant attendu des Britanniques. Comme des millions de téléspectateurs à travers le monde, du reste. À croire que la planète entière s’était remise à la mode des rois, retrouvant d’antiques réflexes d’allégeance. D’aucuns se sont mis à fantasmer sur le faste des cours et les intrigues d’alcôves, à se pâmer devant les seigneurs et autres représentants d’un ordre médiéval de droit divin.

Les sujets de Sa Majesté ont l’art de transformer leur chronique royale en événements planétaires. Chaque fois qu’un sire éternue à Buckingham Palace, nous avons droit à un torrent d’images et à une déferlante de commentaires. Et les télés d’en profiter pour nous servir une rétrospective de tous les couronnements et mariages royaux du siècle passé.

la suite après cette publicité

Crimes de lèse-majesté

Des émissions hautes en couleur, ou en noir et blanc d’archives, avec toutes les têtes couronnées du globe, celles de Belgique, de Monaco, du Luxembourg et même d’Afrique – un peu d’exotisme, ça chasse le mauvais œil. Parades en carrosses, unités de gardes aux uniformes rutilants, défilés de dauphins en costumes, petits pas mesurés de reines rayonnantes ou tristes, nunuches ou maîtresses femmes, fidèles ou déjà victimes d’adultère, et ces princes fratricides qui posent pour la photo comme si de rien n’était, et ces archevêques qui remplissent les nefs et semblent sortir des premiers temps du christianisme, et ces valets qui se démènent dans des labyrinthes de couloirs, et ces peuples qui se ruent sur tout ce spectacle, en courbettes ou en larmes comme s’il en allait de leur propre vie.

À un moment, je ne vous cache pas que j’en ai eu assez de ce flot d’images et de l’omniprésence de ces journalistes-sangsues des cours royales, qui fouillent dans l’intimité des souverains et sous les lits des favorites et finissent presque par se prendre pour les roitelets qu’ils ne seront jamais. C’est ainsi que les Stéphane Bern et consorts ont squatté le petit écran pendant des jours et des nuits, cautionnés par quelques historiens sentant la naphtaline, avec, pour ce qui est du couronnement de Charles III, la liste des crimes de lèse-majesté et autres faux pas relevés, du genre : « Le prince Harry est rapidement retourné aux États-Unis » ; « Le fils de William a rabroué son grand-père avec un geste qui n’est pas passé inaperçu » ; ou encore «  La petite Charlotte de Galles, la fille de 8 ans de William et Kate, a fait un geste qui n’a pas plus à la reine ».

Oublier toute misère

J’en étais là quand j’ai entendu frapper à la porte. Je me trouvais chez moi, dans mon village, au fin fond de la Tunisie. J’ai vu mon beau-frère, paysan jusqu’aux bouts des ongles, entrer la mine renfrognée. Il m’a demandé de l’accompagner à la ferme où se trouve son bétail, il n’a jamais eu de voiture. J’ai posé bêtement la question :

« – Tu ne veux pas voir le couronnement de Charles ?

la suite après cette publicité

– De qui ? »

Soudain, j’ai pris conscience que quelque chose n’allait pas. Mon délire télévisuel n’avait rien à voir avec la vie de mon beau-frère. Le monde m’est alors apparu partagé entre les contes de fées télévisés et les cauchemars du quotidien. J’ai suivi le mari de ma sœur à la ferme et j’ai constaté de mes yeux la catastrophe : pas une goutte de pluie depuis des mois, des champ brûlés, des puits asséchées, des bêtes qui suçotent les cailloux et les enfants du berger qui n’ont pas un quignon de pain à mettre sous la dent.

la suite après cette publicité

Mon beau-frère a fait demi-tour et nous sommes rentrés au village. C’est là qu’il m’a demandé :

« – Tu peux mettre la télé ?

– Pourquoi ?

– Pour oublier toute cette misère ! »

Las ! En appuyant sur la télécommande, je suis tombée sur la seule chaîne qui ne diffusait pas d’infos sur Charles III mais passait en boucle des images de la guerre en Ukraine, des catastrophes écologiques à venir, des attentats au Sahel, de la guerre au Soudan, et du malheur des femmes afghanes à propos desquelles une sociologue parlait de « gynocide », parce que les talibans « tuent les filles de leur vivant ».

J’ai vu mon beau-frère se lever en marmonnant : « Je savais bien que ton Charles était une blague ! Des gars comme ça, ça n’existe pas dans la réalité. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires