Denis Sassou Nguesso : « Soixante ans après, renouons avec l’esprit des fondateurs de l’OUA »
Le chef de l’État congolais est l’un des rares dirigeants à avoir présidé l’OUA puis l’UA. Il explique pourquoi l’organisation panafricaine se doit de renouveler son rapport avec les peuples.
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Denis Sassou Nguesso
Président de la République du Congo.
Publié le 25 mai 2023 Lecture : 4 minutes.
C’était il y a soixante ans, le 25 mai 1963. Trente-deux États, dont la République du Congo, signaient dans l’Africa Hall d’Addis-Abeba l’acte de naissance de l’Organisation de l’unité africaine [OUA]. Certes, l’Afrique n’était pas encore libre. Une vingtaine de pays du continent attendaient dans l’antichambre de l’indépendance, sans compter l’Afrique du Sud, formellement indépendante mais en réalité écrasée sous le joug d’un régime raciste et minoritaire.
L’Afrique n’était pas encore libre, mais, en ce 25 mai 1963, au-dessus de l’assemblée des pères fondateurs de l’OUA aux noms prestigieux – Nkrumah, Nasser, Haïlé Sélassié, Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Bourguiba, Ben Bella, Mohammed V… – soufflait l’esprit de l’unité et du panafricanisme militant né au sein de la diaspora d’outre-Atlantique et théorisé par des intellectuels comme Marcus Garvey, W.E.B. Du Bois, Booker T. Washington ou George Padmore. Le jeune sous-officier que j’étais alors, en formation dans une école militaire française, avait accueilli avec fierté et émotion ce moment d’histoire, loin de se douter qu’il serait un jour amené à présider les instances de notre organisation commune.
Combat décisif
Soixante ans plus tard, il est temps de porter sur ce que fut l’OUA un regard objectif. Fondée sur quelques principes essentiels – la souveraineté, la non-ingérence, le respect des frontières issues de la colonisation, l’unité, le non-alignement –, l’organisation s’était fixé pour objectifs politiques de parachever la décolonisation du continent et de mettre fin au régime de l’apartheid. Elle y est parvenue non sans mal, à force de ténacité et de résilience.
Pour avoir eu l’honneur de la présider d’août 1986 à août 1987, alors que Nelson Mandela était toujours détenu en prison, je puis témoigner à quel point notre combat fut décisif, qui déboucha sept ans plus tard sur la libération du héros et de toute l’Afrique du Sud. J’y ai, à mon modeste niveau et au nom du peuple congolais, contribué, tout comme j’ai contribué à l’indépendance de l’Angola et à celle de la Namibie. C’est pour moi un motif de satisfaction.
En 2000 à Lomé, puis en 2002 à Durban, nous fîmes le constat suivant : certes, l’OUA était un puissant outil de coopération à la fois économique, avec le Plan d’action de Lagos, et démocratique, avec l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Promulgué en 1981, le Plan d’action de Lagos demeure aujourd’hui encore un texte de référence dont les recommandations sont toujours actuelles : l’Afrique doit s’organiser pour produire ce qu’elle consomme et consommer ce qu’elle produit. Mais l’OUA souffrait de ne pas être cet outil d’intégration économique et politique dont rêvaient les pères fondateurs.
La transformation de l’OUA en Union africaine le 9 juillet 2002 est née de cette exigence à laquelle nous nous efforçons de répondre depuis plus de vingt ans, avec notamment le lancement en 2018 de la Zlecaf, cette vaste zone de libre échange continentale africaine ratifiée par 45 pays et qui compte le plus grand nombre de membres au monde dans le cadre d’un accord de ce type. Pour avoir été l’un des très rares chefs d’État à exercer la présidence de l’OUA, puis de l’UA (en 2006-2007), je puis assurer que, de 1963 à aujourd’hui, la vision n’a pas changé. Comme l’illustre le contenu de notre agenda 2063, c’est la volonté de rechercher des solutions africaines aux défis africains, ainsi que le souci de promouvoir les positions africaines sur la scène internationale, qui nous animent et constituent notre ADN.
Devoir de lucidité
Libération des peuples colonisés, paix, sécurité, démocratie, gouvernance, intégration économique : les bilans conjugués de l’OUA et de l’UA sont considérables. Pourtant, une partie de l’opinion africaine continue de percevoir l’organisation continentale en termes critiques, voire négatifs. Simple problème de communication ? Peut-être. Mais le devoir de lucidité nous oblige à constater qu’un décalage s’est instauré entre la lenteur des processus politiques et le désir d’unité des peuples, lesquels sont en avance sur leur leadership dans la prise de conscience de la nécessité d’une union continentale qui, au-delà des textes, se doit d’être perçue au quotidien comme une réalité concrète.
L’arrivée sur la scène d’un « nouveau panafricanisme », boosté chez les jeunes générations par les réseaux sociaux et qui trop souvent prône le repli sur soi, l’exclusion culturelle et la xénophobie comme palliatifs illusoires au besoin de souverainisme, est la conséquence de ce décalage. Il appartient à l’UA d’en prendre conscience et de le combler, en renouant avec l’esprit des pères fondateurs de 1963 et en renouvelant son pacte avec les peuples de notre continent.
Pour celles et ceux qui, comme moi, ont le culte de l’Afrique, une Afrique respectée parce que respectable, digne, solide et écoutée, le 25 mai 1963 est un marqueur indélébile. « Nous, chefs d’État et de gouvernement africains, réunis à Addis-Abeba, en Éthiopie. Convaincus que les peuples ont le droit inaliénable de déterminer leur propre destin… » Ainsi commence la charte de l’OUA. Elle n’a jamais été aussi actuelle.
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