L’Algérie et l’Union européenne s’affrontent autour du cas Ihsane El-Kadi

Le patron de Radio M et de Maghreb Emergent, condamné en avril à cinq ans de prison, est considéré par les eurodéputés comme le symbole des attaques des autorités algériennes contre la liberté de la presse. Ces dernières dénoncent en retour une ingérence européenne.

Ihsane El-Kadi, patron de presse, est en détention depuis le 24 décembre 2022. © Radio M.

Publié le 12 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

affAprès le Maroc en janvier et la Tunisie à la mi-mars, c’est l’Algérie qui est aujourd’hui dans le viseur des députés européens. Ils ont adopté dans la matinée du 11 mai, à une très large majorité (536 voix pour, 4 contre et 18 abstentions), une résolution en faveur de la liberté des médias et de la liberté d’expression dans le pays, en se focalisant particulièrement sur le cas du journaliste Ihsane El-Kadi, directeur d’Interface Média, la société éditrice des médias en ligne Radio M et Maghreb Emergent.

En détention depuis le 24 décembre 2022, le patron de presse algérien a été condamné le 2 avril en première instance par le tribunal algérois Sidi M’Hamed à cinq années de prison, dont trois fermes, pour « financement étranger de son entreprise ».

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Cette juridiction a également prononcé la dissolution de la société Interface Médias, éditrice des deux médias dirigés par Ihsane El-Kadi, la confiscation de tous ses biens et dix millions de dinars (plus de 68 000 euros) d’amende contre son entreprise. Interface Médias a été, en outre, condamnée à dédommager l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (Arav) à hauteur de un million de dinars. Le vote du parlement européen intervient à quelques jours du procès en appel, annoncé pour le 21 mai.

La résolution des eurodéputés – la deuxième en trois ans – dénonce ce que le texte qualifie d’« atteintes aux libertés fondamentales, en particulier la liberté des médias » en Algérie. La précédente date de novembre 2020 et faisait suite à la condamnation du journaliste Khaled Drareni à trois ans de prison.

Appel à modifier le code pénal

Le texte européen appelle les autorités algériennes à la « libération immédiate et inconditionnelle d’Ihsane El-Kadi » ainsi que celle « de toutes les personnes détenues et inculpés arbitrairement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression », et à mettre un « un terme aux arrestations et aux détentions d’activistes politiques, de journaliste, de défenseurs des droits de l’homme et de syndicalistes ».

L’appel est lancé également pour modifier les dispositions du code pénal, notamment les articles 95 bis et 196 bis relatifs à la sécurité nationale, lesquels sont utilisés, estiment les députés européens, pour « réprimer la liberté de la presse ». Ces derniers recommandent l’alignement des » lois restreignant la liberté d’expression sur les normes internationale en matière des droits de l’homme », en particulier le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques qu’Alger a ratifié dès 1989.

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Les députés européens appellent aussi les institutions de l’Union européenne et les États membres à aborder l’affaire El-Kadi avec les autorités algériennes et « à condamner ouvertement la répression exercée contre la liberté des médias », ainsi que’à exhorter l’Algérie à garantir « l’octroi, sans retard injustifié, de visas et d’accréditations aux journalistes étrangers et de laisser ces derniers travailler librement« . Enfin, la résolution incite « les délégations de l’Union et les ambassades des États membres en Algérie à demander à avoir accès aux journalistes emprisonnés et à pouvoir observer leur procès ».

« Le mépris du Parlement européen »

Sans surprise, l’initiative européenne a suscité de violentes critiques en Algérie. Le Conseil de la nation (la chambre haute du Parlement) a, la première, dénoncé une « ingérence » et « une tromperie contenant de terribles erreurs, adossée et enveloppée des principes du droit international et qui n’est en réalité qu’une couverture et un prétexte ». Le bureau de la chambre appelle aussi le Parlement européen à abandonner le « principe de deux poids deux mesures, et à ne pas nourrir de ressentiment et sa haine apparente contre les pays qui ne se conforment pas à sa politique, et l’exhorte à rechercher plus de crédibilité et à faire preuve d’enthousiasme – comme il l’a montré sur d’autres régions géographiques du monde ».

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L’Assemblée populaire nationale (APN), puis l’Agence de presse officielle (APS), se sont empressées d’emboîter le pas au Conseil de la nation, condamnant à leur tour la résolution. L’APN a ainsi rappelé que « l’Algérie est un pays souverain dans ses décisions, et qui croit au principe d’égalité dans ses relations avec les autres pays, y compris l’union européenne », avant de constater « avec un grand étonnement le mépris du Parlement européen pour la voie de communication directe entre les deux instances, représentées au sein de la commission parlementaire mixte Algérie-Union européenne ».

Concluant sur une note plus offensive encore, l’Assemblée a enfin souligné ce qu’elle appelle « la crédibilité douteuse » du Parlement européen, institution qui a connu de nombreux « scandales de corruption et de pots-de-vin » et qui, « de surcroît, ferme les yeux devant les souffrances du peuple palestinien et devant ce que subit le peuple sahraoui comme répression, exaction et exploitation ». Avant de regretter « la persistance du Parlement européen à se soumettre aux cercles notoirement connus qui tentent de manipuler les faits, et son adoption d’une politique de mépris des questions justes et du droit des peuples à leur liberté et à la récupération de leurs terres spoliées ».

Il y a une semaine, lors d’un entretien accordé aux médias nationaux à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le président Abdelmadjid Tebboune s’en était, quant à lui, pris à certaines organisations non gouvernementales (ONG) qui ne cessent, estime-t-il, de « critiquer l’Algérie et de la classer parmi les pays attentant aux libertés ». Il avait en particulier cité Reporters sans frontières (RSF), qui selon lui publie des « classements au gré de ses dirigeants » ajoutant que le « seul classement à prendre en compte est celui de l’ONU et de ses institutions ».

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