Tunis veut rééquilibrer sa relation avec l’Union européenne

Agacée par les critiques formulées par l’Europe à l’égard de la politique de Kaïs Saïed, la diplomatie tunisienne a profité de la journée de l’Europe, le 9 mai, pour hausser le ton.

Marcus Cornaro et Brahim Bouderbala à Tunis, le 4 mai 2023. © DR

Publié le 12 mai 2023 Lecture : 3 minutes.

Coincée entre la célébration de l’armistice, le 8 mai, et l’attaque menée contre la synagogue de la Ghriba à Djerba dans la soirée du 9 mai, la journée de l’Europe a été comme occultée par une actualité plus prégnante. Elle a cependant donné l’occasion à Marcus Cornaro, ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, de multiplier les rencontres officielles, notamment avec Brahim Bouderbala, le nouveau président du Parlement tunisien.

Une manière de valoriser l’action européenne en Tunisie, alors que le président tunisien Kaïs Saïed qualifiait récemment les prises de positions européennes à l’égard de sa politique interne d’ingérence et d’atteinte à la souveraineté du pays.

la suite après cette publicité

Fermeté

Et s’il y avait encore un doute sur un changement de ton entre Tunis et Bruxelles, Nabil Ammar, le ministre tunisien des Affaires étrangères, l’a levé au cours de son intervention du 9 mai devant les représentants des pays membres de l’UE et des dirigeants tunisiens. Ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’UE avant d’être promu aux commandes de la diplomatie en février 2023, il a exprimé avec fermeté la nécessité de reconsidérer les relations tuniso-européennes et le contenu des accords,  laissant entendre qu’ils étaient peu avantageux pour son pays.

Travailler ensemble, oui, mais pas à n’importe quelles conditions

Il appelle à rendre le partenariat « plus équilibré sur le plan économique en réduisant les barrières à l’accès des produits tunisiens au marché européen, en augmentant le montant des investissements mutuels et en facilitant la circulation afin d’accroître la richesse pour les deux parties. » Le langage est diplomatique mais pas consensuel : « Travailler ensemble, oui, mais pas à n’importe quelles conditions », résume un dirigeant de banque publique.

Faire confiance aux Tunisiens

Jamais diplomate tunisien n’a semblé aussi affranchi. Pourtant, Nabil Ammar ne fait que traduire les orientations du chef de l’État qui affirme inlassablement à ses visiteurs occidentaux qu’ « aucun diktat ne peut être accepté ». Le ministre compose à partir de cette directive et demande aux Européens de « faire confiance aux Tunisiens comme preuve de connaissance de l’histoire, d’intelligence et de vision politique ».

Face à une Europe qui se veut intransigeante, Nabil Ammar adopte la même fermeté et signifie que la Tunisie n’est l’obligée d’aucun de ses partenaires. Cette attitude avait déjà marqué la négociation, serrée mais non aboutie, menée avec l’Italie sur la question migratoire et les compensations attendues par Tunis pour un contrôle accru de ses frontières. Une prestation de service qu’il n’est plus question de brader d’autant que précédemment, l’UE avait accédé aux exigences de la Turquie pour endiguer la migration syrienne vers l’Europe.

la suite après cette publicité

Rupture de courant

L’Union Européenne, premier partenaire économique de la Tunisie, a beau exposer ses performances, rappeler qu’elle est à l’origine de 88 % des investissements directs étrangers dans le pays et qu’elle a versé plus de 5 milliards d’euros de financements entre 2014 et 2022, le courant ne passe pas. En cause : la désapprobation de Bruxelles à l’égard de la politique de Kaïs Saïed, accusé de s’éloigner des principes démocratiques.

Nabil Ammar se fait le chantre d’une forme d’émancipation tunisienne

À ses détracteurs internationaux, le locataire de Carthage oppose Nabil Ammar qui, dans un rôle de négociateur, s’avère bien moins consensuel que ses prédécesseurs. Selon ses propres services, il est sous la pression d’une obligation de résultats et puise sa motivation dans la volonté de se distinguer des responsables qui l’ont précédé à la tête de la diplomatie. Il sait aussi avoir l’aval du chef de l’État, ce qui lui permet de se montrer intraitable et de se faire le chantre d’une forme d’émancipation tunisienne.

la suite après cette publicité

Comme si le pays restait figé dans une dialectique « dominant-dominé », qui a marqué la période post-indépendance mais qui semble ne pas avoir été dépassée. Désormais, les projets de partenariat devront tenir compte des exigences que la Tunisie se réserve d’imposer. Pour que l’Europe compte en Tunisie, il va lui falloir traiter d’égal à égal avec elle et se dispenser de commentaires sur ses décisions souveraines.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

En Tunisie, une diplomatie en panne ?

Contenus partenaires