Face à Kaïs Saïed, Wadie Jary fait de la résistance

En Tunisie, Wadie Jary, le président de la fédération de football, est dans le viseur de la justice. Mais il bénéficie d’appuis solides dans les milieux sportifs et au sein de la classe politique.

Le chef de l’État tunisien Kaïs Saïed et le président de la FTF Walied Jary. © MONTAGE JA : Tunisian Presidency/Anadolu Agency via AFP ; FETHI BELAID/AFP

Alexis Billebault

Publié le 19 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

Depuis le mois de février dernier, Wadie Jary n’a plus le droit de quitter le territoire tunisien. Une décision judiciaire qui a empêché le président de la Fédération tunisienne de football (FTF) de se rendre en Égypte pour assister à la Coupe d’Afrique des nations des moins de 20 ans, à laquelle la sélection tunisienne participait. Elle l’a aussi privé d’un déplacement à Kigali, en mars, pour le congrès de la Fifa et, plus récemment, d’un voyage en Libye, où les Aigles de Carthage disputaient un match qualificatif pour la CAN 2024. « Pour l’instant, c’est la seule chose que les autorités peuvent faire contre lui », souligne un journaliste.

Le dirigeant est dans le collimateur de la justice, et plus largement du chef de l’État, Kaïs Saïed, et du ministre des Sports, Kamel Deguiche. L’ancien joueur, puis président de l’US Ben Guerdane, est visé par plusieurs enquêtes portant sur l’organisation de matchs truqués, des affaires de blanchiment, de détournement de fonds et de corruption.

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Pourtant, s’il n’a plus l’autorisation de quitter la Tunisie, Wadie Jary exerce ses fonctions de président de la FTF normalement. « Le gouvernement fait attention, car Jary, qui est très malin, agite toujours la même menace quand l’État se mêle un peu trop des affaires du football : il alerte la Fifa, laquelle sanctionne les ingérences du politique dans le football par la suspension des sélections nationales des compétitions. Il l’a fait il y a quelques mois », rappelle un juriste. Et l’instance mondiale a effectivement menacé de priver la Tunisie du Mondial 2022 au Qatar…

Le soutien de la Fifa et de la CAF

À l’époque, l’instance internationale avait alerté par écrit le ministère des Sports sur les risques encourus. Il faut dire qu’à Zürich, où se trouve le siège de la fédération internationale, Wadie Jary dispose de solides relais. S’il entretient de bonnes relations avec Gianni Infantino, le président de la Fifa, il est aussi en très bons termes avec la Sénégalaise Fatma Samoura, qui occupe le poste de secrétaire générale.

À la CAF, le Tunisien s’entend plutôt bien avec Patrice Motsepe, le président de l’instance, et Véron Mosengo-Omba, le secrétaire général. Il est également membre du Comité exécutif de la puissante Union des associations arabes de football (Uafa), dont il est accessoirement président du Comité médical – Jary est médecin de formation. Il a aussi présidé, de 2014 à 2018, l’Union nord-africaine de football (Unaf).

Des appuis utiles, surtout en cette période agitée. Auxquels vient s’ajouter la solide équipe dont il a su s’entourer au sein du Bureau de la FTF elle-même. Dans son entourage, on trouve ainsi d’éminents juristes, comme Mohamed Wassef, le vice-président, et un ancien juge d’instruction à la retraite. Mais aussi des avocats : Amine Mougou, chargé des compétitions, et Hamed Maghrebi, qui dirige la commission des litiges.

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Wadie Jary dispose enfin de précieux soutiens parmi certains dirigeants de clubs professionnels, dont certains ont aussi un pied dans la politique. C’est le cas de Walid Jalled, ancien président de l’AS Soliman et député, arrêté en février dernier dans le cadre d’une affaire financière concernant son club. Ou encore de Mohamed Ali Aroui, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur et président de l’AS Réjiche, également arrêté en juin 2022 pour son implication dans l’affaire Instalingo.

En Tunisie, football et politique sont étroitement liés, et Jary a su, au fil du temps, nouer de solides amitiés parmi les décideurs et les élus. On le savait proche de Béji Caïd Essebsi, l’ancien chef de l’État décédé en juillet 2019, il l’est aussi de Youssef Chahed, candidat à la dernière élection présidentielle.

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« On sait qu’il a ses entrées à l’Assemblée nationale, qu’il est proche de plusieurs députés, et il a soutenu le parti islamiste Ennahdha. C’est un caméléon », ajoute une autre source. On prête également à Wadie Jary une certaine influence dans la nomination de Sihem Ayadi au poste de secrétaire d’État auprès du ministre des Sports, de la Jeunesse et de l’Intégration professionnelle, Kamel Deguiche, en septembre 2020. Laquelle sera démise de ses fonctions, en septembre 2021, par Kaïs Saïed.

Vers un 4e mandat en 2024 ?

« Il y a beaucoup d’affaires contre Jary, des enquêtes, mais pour l’instant, cela ne mène à rien, ou à pas grand-chose. Cela traîne en longueur. Pourquoi ? Parce qu’il bénéficie de certaines protections bien placées », résume un journaliste. Qui ajoute : « Il est malin, bien entouré, et le gouvernement fait attention à ne pas braquer la Fifa. Le football est l’une des rares choses qui fonctionnent en Tunisie, notamment la sélection nationale. L’État ne peut pas se mettre à dos la population en faisant courir le risque d’une suspension de la FTF par la Fifa ».

Réélu en 2020 pour un troisième mandat, Jary envisage d’en briguer un quatrième en 2024. Une perspective qui fait déjà grincer quelques dents au sein du gouvernement tunisien.

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