La Cour pénale internationale, les BRICS et Poutine

Le quinzième sommet des cinq pays dits en développement se tiendra en août prochain à Durban, en Afrique du Sud. Parmi les chefs d’État attendus, le Russe Vladimir Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt depuis le 17 mars 2023.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov le 23 janvier 2023. © Russian Foreign Ministry Press Service/TASS/Sipa

Samia Maktouf. © AFP PHOTO / THOMAS SAMSON
  • Samia Maktouf

    Samia Maktouf est avocate, inscrite aux barreaux de Paris et de Tunis, et conseil près la Cour pénale internationale.

Publié le 22 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

Le 25 avril dernier, Cyril Ramaphosa, président de l’Afrique du Sud, déclarait, à demi-mot, que son parti, le Congrès national africain (ANC) – au pouvoir sans interruption depuis 1994 et la fin de l’apartheid –, voyait d’un mauvais œil l’adhésion de Pretoria à la Cour pénale internationale (CPI). Il en concluait que l’Afrique du Sud devait se retirer de ladite Cour au plus tôt.

Immanquablement, les regards se tournèrent alors vers le quinzième sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, les pays emblématiques de l’ancien monde dit « en développement ») prévu à la fin du mois d’août prochain à Durban, justement en Afrique du Sud. Les chefs d’État des cinq pays membres sont attendus, parmi lesquels Vladimir Poutine. Mais depuis le 17 mars 2023, le président russe fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI qui, du moins en théorie, oblige chacun des 123 États parties où il viendrait à se rendre à l’arrêter pour le remettre à la juridiction internationale.

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Acte de conscience et de courage

Sans surprise, le mandat d’arrêt concerne la guerre en Ukraine, plus précisément les déportations et transferts illégaux d’enfants ukrainiens vers la Russie. Au regard de l’article 8 du statut de Rome qui gouverne la CPI, ces déportations et transferts constituent des crimes de guerre. Avec le chef d’État russe, c’est aussi sa « Commissaire aux droits de l’enfant », Maria Lvova-Belova, cheville ouvrière de cette entreprise de déportation massive, que recherche maintenant La Haye.

Ni l’un ni l’autre n’ont réussi à effrayer Karim Khan, le procureur de la CPI, qui se distingue ici par un acte de conscience et de courage. Si d’aventure Vladimir Poutine se rend au sommet des BRICS en août prochain à Durban, dans cette Afrique du Sud membre de la CPI depuis 2000, Cyril Ramaphosa sera tenu de le remettre à La Haye. De là à comprendre que le chef d’État sud-africain – et leader de l’ANC – ait parlé de s’affranchir au plus tôt de cette obligation en retirant précipitamment son pays de la CPI, il n’y a qu’un pas.

Si des voix se sont élevées dans l’ANC pour démentir l’annonce de Cyril Ramaphosa, la présidence sud-africaine elle-même ayant vite plaidé l’erreur de communication, le rapprochement politique et militaire opéré par Pretoria et Moscou n’est un secret pour personne. Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, s’est rendu en février dernier en Afrique du Sud pour des manœuvres militaires communes entre les armées russe, sud-africaine et chinoise, reçu en ami bienvenu par son homologue sud-africaine alors que, depuis un an, les troupes russes envahissent l’Ukraine et Moscou fait face à une batterie de sanctions internationales de tous ordres.

Il est dès lors peu probable que l’Afrique du Sud, même tenue par le statut de Rome, songe à arrêter Vladimir Poutine sur son territoire. Pour autant, comment expliquer cette annonce d’un départ précipité ? La réponse se trouve probablement dans de mauvais souvenirs politico-judiciaires qui hantent Pretoria depuis 2015, ceux d’un épisode semblable qui a coûté cher au gouvernement sud-africain.

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L’épisode Omar el-Béchir

En cette année 2015, Omar el-Béchir, président du Soudan, recherché par la CPI depuis 2010 pour répondre de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide commis dans le conflit du Darfour, s’était rendu en juin à Johannesburg pour le 25ème sommet de l’Union africaine. Et déjà à l’époque, à son devoir d’État membre de la CPI, l’Afrique du Sud alors menée par Jacob Zuma avait préféré le safe passage, ménageant une sortie libre au chef d’État soudanais.

Saisie de sa présence en territoire sud-africain, la Haute Cour de Pretoria avait provisoirement interdit à Omar el-Béchir d’en sortir. Aux petits soins pour son invité gênant, Jacob Zuma avait brandi une loi de 2001 sur l’immunité diplomatique qui, selon lui, rendait inapplicable le statut de Rome en pareil cas. Et quand la Cour suprême d’appel sud-africaine a estimé le 15 mars 2016 que les autorités du pays avaient violé la Constitution en refusant d’arrêter Omar el-Béchir et de la remettre à la CPI, Jacob Zuma lui avait déjà fait quitter l’Afrique du Sud depuis une base militaire. En 2017, la CPI avait répondu à Pretoria par un cinglant désaveu de son attitude, rejetant toute immunité diplomatique dans le cas d’el-Béchir et estimant les autorités sud-africaines fautives par leur refus de l’arrêter et l’extrader.

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Aujourd’hui dans les meubles de Zuma, Cyril Ramaphosa ne voyait que trop bien venir une redite de l’épisode el-Béchir. Il voyait déjà bien la justice sud-africaine tenter de retenir sur place Vladimir Poutine et, si d’aventure une base militaire rendait miraculeusement au maître de Moscou sa liberté confisquée, il n’ignorait pas ce qu’une Afrique du Sud déjà lourdement critiquée sur son attitude envers l’invasion de l’Ukraine risquerait de sanctions de la part du reste du monde.

Le dilemme de Pretoria

Même après l’annonce avortée d’un départ en catastrophe de la CPI, une question se pose et demeure. Si l’Afrique du Sud est toujours État partie au moment de la tenue du sommet des Brics à la fin du mois d’août prochain, quelle sera l’attitude de celui par qui le scandale arrive, Vladimir Poutine ? Ne pas se rendre au sommet ne serait pas pour lui sans conséquence, surtout dans les circonstances actuelles. Mais voyager vers une Afrique du Sud toujours membre de la CPI, même avec un gouvernement qui lui est favorable, l’expose au même sort qu’el-Béchir, sans garantie toutefois d’une fin qui lui soit aussi favorable qu’à son ancien homologue soudanais.

Ce dilemme posé à Pretoria l’oblige à une réflexion sans doute plus poussée, et aux conclusions plus dérangeantes, que l’aurait cru un Cyril Ramaphosa regardant déjà vers les élections générales de 2024 où, pour la première fois, l’ANC pourrait être privée d’une majorité absolue et forcée à négocier des coalitions dans plusieurs provinces. Quel est aujourd’hui le poids réel de l’Afrique du Sud sur le continent africain et dans le monde, notamment comme membre des Brics dont, aujourd’hui, la croissance économique semble dépasser même celle des membres du G7 ? Que signifie pour Pretoria l’appartenance à la CPI, où commence et où s’arrête cet engagement ? Que reste-t-il, in fine, du double héritage historique de Nelson Mandela et de Desmond Tutu, résistants contre l’injustice raciste puis auteurs de la réconciliation nationale ?

La réponse ne se trouve peut-être plus désormais que derrière les murs du Kremlin.

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