Au Mali, les Casques bleus sur le départ ?
Dix ans après sa création, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali est à la croisée des chemins. Ses relations avec la junte au pouvoir sont au plus bas et ses possibilités d’accès au terrain sont désormais très limitées.
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Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement. Dernier ouvrage paru : Géopolitique du Nigeria, PUF, 2024.
Publié le 18 mai 2023 Lecture : 3 minutes.
Les Casques bleus au Mali donnent en fait le sentiment d’une profonde inutilité. Leurs règles d’engagement sont moins musclées qu’en RDC et ils ont subi d’énormes pertes au cours des dix dernières années. De plus, ils se sont montrés incapables d’endiguer la menace jihadiste et de mettre un terme aux massacres commis par les troupes de Bamako et leurs supplétifs miliciens.
Pour les habitants des zones de conflits, enfin, leur mandat est d’autant plus incompréhensible que, désormais, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ne peut guère plus prétendre stabiliser et soutenir le redéploiement d’un État qui s’en prend à sa propre population.
Rapport explosif
La récente publication d’un rapport accablant sur le massacre de Moura est tout à fait significative en la matière. Les enquêteurs onusiens y montrent clairement que l’armée malienne et ses alliés russes du groupe Wagner ont exécuté des centaines de civils dans la région de Mopti en mars 2022. Le contenu du rapport est d’ailleurs si explosif que l’ONU a longtemps retardé sa publication pour essayer, en vain, de ménager ses relations avec Bamako.
Pour autant, il y a peu de chances que les conclusions de l’enquête de la Minusma amènent la junte malienne à respecter les droits humains. Il n’est pas non plus évident que le massacre de Moura entraîne une saisine de la Cour pénale internationale en vue de traîner en justice les militaires au pouvoir à Bamako. De plus en plus de voix remettent donc en cause la poursuite d’une opération de paix qui ne permet ni de stabiliser la zone ni de protéger les civils.
La junte d’Assimi Goïta, elle, ne va vraisemblablement pas demander le retrait des Casques bleus. Elle ne semble pas prête à endosser une telle responsabilité car elle aurait trop à y perdre sur le plan diplomatique. D’un point de vue logistique, qui plus est, les soldats maliens dépendent encore très largement des infrastructures de la Minusma pour se déployer dans le nord et le centre du pays. En sécurisant les villes, par ailleurs, les Casques bleus ont sans doute évité au Mali de connaître le scénario catastrophe du nord du Burkina Faso, où la localité de Djibo est encerclée par les jihadistes.
En outre, un retrait de la Minusma serait source de mécontentement social. Dans les régions où ils sont déployés, les Casques bleus fournissent en effet de nombreux emplois et sécurisent l’acheminement de l’aide humanitaire. Leur départ pourrait donc retourner la population contre le gouvernement en aggravant une situation économique déjà tendue.
Cruel dilemme
Enfin, la Minusma permet à la junte d’Assimi Goïta de masquer ses faiblesses. Elle joue un rôle de fusible, canalise les frustrations de la population et sert de bouc émissaire, en particulier depuis que l’armée française a quitté le Mali.
Le plus probable est donc que Bamako table sur un pourrissement de la situation en laissant la Minusma se vider progressivement de sa substance à mesure que les pays contributeurs vont réduire ou retirer leurs contingents. Sur le terrain, la junte peut continuer de restreindre les mouvements des Casques bleus jusqu’à la paralysie complète. À New York, le constat d’impuissance de la Minusma pourrait alors justifier une révision de mandat et un repli qui permettrait à la soldatesque malienne de se débarrasser de témoins gênants, notamment sur la question sensible des droits humains.
Le dilemme n’en est que plus cruel. D’un côté, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait acter l’échec d’une opération qui, retranchée dans les villes aux mains du gouvernement malien, n’a plus aucune chance de stabiliser la zone. De l’autre, un retrait pourrait avoir de graves conséquences. D’aucuns craignent ainsi qu’un départ des Casques bleus ouvre la voie à la mise en œuvre d’une politique d’épuration ethnique contre les Touaregs et, surtout, les Peuls.
De fait, la multiplication des règlements de comptes communautaires et la montée en puissance de miliciens incontrôlables ne sont guère rassurantes. Pour justifier leur maintien, encore faudrait-il cependant que les Casques bleus aient les moyens de calmer le jeu afin d’éviter tout risque de dérapage génocidaire. Et que les Bamakois admettent enfin que leur propre armée participe au chaos ambiant.
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