Soren Toft (MSC) : « L’Afrique est le marché d’aujourd’hui, mais surtout de demain »

Le directeur général de la première compagnie maritime mondiale présente sa stratégie au moment où le groupe devient aussi le leader des ports et de la logistique à travers le continent.

Soren Toft est directeur général de MSC depuis 2020. © Oliver O’Hanlon/MSC.

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Publié le 5 juin 2023 Lecture : 7 minutes.

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« Le transfert de l’année. » C’est ainsi que la presse spécialisée avait qualifié la nomination, annoncée à la fin 2019, de Soren Toft, alors membre du conseil d’administration de Maersk, au poste de directeur général de MSC. Le temps que le Danois, âgé à l’époque de 45 ans, prenne officiellement ses fonctions un an plus tard chez l’armateur italo-suisse, ce dernier venait de passer devant son concurrent pour devenir la première compagnie maritime mondiale.

MSC a depuis mis la main sur les actifs du groupe Bolloré en Afrique pour devenir l’un des tout premiers prestataires de services de transport du continent, tous modes confondus. Quelques mois seulement après la finalisation de cette opération à 5,7 milliards d’euros, Soren Toft détaille la stratégie suivie par MSC sur le continent. Il revient également sur les grandes évolutions qui attendent le secteur maritime.

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Jeune Afrique : Au cours des deux dernières années, MSC est passée première compagnie maritime mondiale, a ouvert ses services aériens avec MSC Air Cargo, puis a acquis Bolloré Africa Logistics (BAL), devenu AGL (Africa Global Logistics). De ces événements, lequel est le plus significatif de votre stratégie de développement ?

Soren Toft : L’acquisition de BAL n’était pas une surprise pour le secteur tant elle complète nos services de base. Il s’agit sans aucun doute d’une acquisition majeure et d’une importance stratégique pour MSC, compte tenu de notre engagement à long terme à faciliter le développement du commerce intra-africain et à connecter l’Afrique aux marchés mondiaux.

Nous sommes ravis d’accueillir les 23 000 employés d’AGL dans la grande famille MSC et de voir AGL s’épanouir au sein de MSC. Nous sommes tout aussi enthousiastes à l’idée de contribuer au potentiel de croissance de l’Afrique.

La vente de BAL représentait-elle une opportunité que MSC devait absolument saisir ?

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C’était l’occasion pour deux familles qui se connaissaient bien de se rencontrer et d’échanger leur vision d’une Afrique industrielle, pour conclure un accord à même d’assurer la continuité d’une entreprise extrêmement importante en Afrique. Le flambeau a été transmis à une société capable de mettre en œuvre la stratégie de BAL, devenu donc AGL, et d’investir dans les infrastructures et les réseaux logistiques africains.

Comme l’a dit notre président Diego Aponte, nous croyons en l’Afrique et nous nous attendons à ce qu’elle continue de s’industrialiser. Pour ce faire, le continent a besoin d’investissements dans les infrastructures pour soutenir ses chaînes d’approvisionnement.

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Que vous apporte AGL ?

La possibilité de fournir les services de transport maritime et de logistique que les entreprises africaines attendent à l’import comme à l’export. AGL continuera de travailler avec toutes les compagnies maritimes qui relient l’Afrique au reste du monde en offrant des solutions compétitives, tant sur ses terminaux que dans son offre logistique.

AGL restera une entreprise autonome de MSC

Que répondez-vous à ceux qui, en Afrique et ailleurs, s’inquiètent, pour des raisons de concurrence et d’équité, de voir un armateur gérer la manutention de flux autres que les siens ?

MSC transporte des marchandises pour le compte de ses clients. Si ces derniers ne souhaitent qu’un service de transport maritime, nous sommes heureux de le leur fournir. S’ils recherchent des solutions supplémentaires en matière de transport terrestre et de logistique, nous serons également heureux de le faire. Il est important de souligner qu’AGL restera une entreprise autonome de MSC.

Jusqu’où va cette autonomie ?

AGL est une marque du groupe, dotée de sa propre direction, et elle continuera à fournir des services à ses clients locaux, régionaux et internationaux, publics comme privés.

Comment différenciez-vous les missions d’AGL de celles de Terminal Investment Limited (TIL), votre filiale portuaire ?

Ce sont des entreprises différentes qui coexistent indépendamment l’une de l’autre. Chacune continuera d’investir pour exploiter des terminaux à conteneurs qui répondent correctement aux besoins du continent. Des synergies peuvent se créer autour des meilleures pratiques de chacun pour être toujours plus productifs et plus efficaces dans les services que nous fournissons à nos clients.

Nous ne sommes pas en train de repenser la desserte de l’Afrique

Être leader en Afrique, à la fois dans les activités de transport maritime et de manutention, vous oblige-t-il à repenser votre façon de servir le continent ?

En tant qu’entreprise internationale, nous évoluons en permanence pour adapter nos services aux besoins de nos clients. Nous ne sommes pas en train de repenser la desserte de l’Afrique, mais l’arrivée d’AGL nous permet de poursuivre l’amélioration des chaînes d’approvisionnement du continent.

Terminal à conteneurs du port de Doraleh (Djibouti). © V.FOURNIER/JA.

Terminal à conteneurs du port de Doraleh (Djibouti). © V.FOURNIER/JA.

Au cours des derniers mois, les taux de fret semblent être revenus à des niveaux similaires à ceux d’avant-Covid. Cela mettra-t-il un terme à la stratégie d’intégration verticale développée par MSC et les grands armateurs ?

La vision à long terme de MSC n’est pas influencée par les mouvements à court terme des taux de fret. Tout le monde s’attendait à ce que ces taux chutent après les pics de la pandémie, à mesure que la crise de la chaîne d’approvisionnement mondiale s’atténuait. En tant que compagnie maritime mondiale, nous avons l’habitude d’adapter notre réseau pour faire correspondre la capacité à la demande. Nous exploitons des lignes maritimes et des terminaux depuis des décennies.

Pour quelles raisons MSC a-t-il annoncé la fin de l’alliance 2M avec Maersk pour début 2025 ?
Cet accord de partage de navires, conclu en 2015, avait pour but d’assurer des opérations compétitives et rentables sur les trafics Asie-Europe, transatlantique et transpacifique, pour une durée minimale de dix ans. En janvier 2023, Maersk a déclaré qu’il ne souhaitait pas renouveler l’accord, et nous avons donc convenu d’y mettre fin en 2025.

MSC continuera à suivre sa propre stratégie et à développer son réseau, avec ou sans accord de partage. Mais ce type d’alliance a démontré que c’était un bon moyen d’optimiser les capacités sur le trafic conteneurisé.

La relance du secteur maritime a été portée par la forte augmentation d’activité enregistrée sur l’axe Est-Ouest, entre l’Amérique du Nord et l’Asie. Faites-vous le pari, après la reprise d’AGL, que les volumes augmenteront également sur l’axe Nord-Sud, dans le sillage d’éventuelles opérations de relocalisation (reshoring) ?

Nous ne pouvons pas prédire si l’axe Nord-Sud, notamment entre l’Afrique et l’Europe, augmentera comme l’axe Est-Ouest. Nous ne sommes pas certains non plus qu’une relocalisation ait un impact sur les flux commerciaux. Toutefois, si cela devait se produire, nous sommes prêts à agir au mieux pour nos clients. Ce qui est certain, c’est que l’Afrique est le marché d’aujourd’hui, mais surtout de demain. Sa population devrait atteindre 2 milliards d’habitants d’ici à 2050, et le continent s’est engagé à développer sa Zone de libre-échange continentale [Zlecaf].

Avec l’inflation et la hausse des prix de l’énergie, craignez-vous une contraction des volumes maritimes dans le monde ?

En tant que compagnie maritime internationale, nous savons que notre activité est cyclique et peut être évidemment impactée par les évolutions géopolitiques. Les prix de l’énergie et l’inflation posent en effet des problèmes, car les volumes de fret maritime évoluent en fonction de la demande commerciale mondiale et de la croissance globale du PIB.

La démographie et l’industrialisation en marche de l’Afrique ouvrent des perspectives prometteuses

Nous nous attendons à ce que la demande reste solide dans les années à venir, car le monde continuera de commercer. Concernant l’Afrique, il convient de rappeler que la démographie et l’industrialisation en marche ouvrent des perspectives prometteuses pour la croissance du commerce africain et mondial.

Faut-il s’attendre à une nouvelle concentration des armateurs, notamment de la part de MSC ?

Il est vrai que nous avons procédé à quelques acquisitions au cours des deux ou trois dernières années, mais nous restons concentrés sur une stratégie axée principalement sur le développement organique de l’entreprise.

En Afrique, nous nous concentrons vraiment sur le soutien à apporter à AGL. Avec des taux de fret relativement bas, certaines compagnies maritimes peuvent en effet connaître des difficultés. Mais le grand défi qui attend le secteur porte sur la décarbonation. Ceux qui n’auront pas anticipé la réglementation et les coûts qui en découlent seront en grande difficulté.

Comment se prépare MSC pour atteindre ses objectifs de zéro émission en 2050 ?

Nous travaillons sur l’efficacité énergétique depuis de nombreuses années, ce qui nous a permis de réduire nos émissions relatives de plus de 40 % depuis 2008. Nous continuerons à travailler sur l’efficacité énergétique en mettant en ligne des porte-conteneurs ultra-larges parmi les plus économes en énergie de la flotte mondiale.

Les fournisseurs d’énergie n’offrent pas encore le type de carburants alternatifs « net zéro » dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs de décarbonation, mais nous travaillons d’arrache-pied dans le cadre de partenariats à l’échelle de l’industrie pour tenter de stimuler la production à grande échelle de ces carburants.

MSC reste ouvert à toutes options futures, du GNL synthétique et bio à l’ammoniac et à l’hydrogène vert. Nous regardons aussi du côté des piles à combustible, des technologies telles que le captage et le stockage du carbone, ainsi que l’énergie éolienne. Nous n’excluons pas non plus l’énergie nucléaire. Le coût total de cette décarbonation de l’industrie maritime se chiffrera en milliers de milliards de dollars.

Lors de précédents entretiens, vous avez mentionné un « ADN MSC ». Quel est-il ?

C’est un raccourci pour parler des valeurs de l’entreprise enracinées dans sa culture familiale, avec un positionnement stratégique unique qui nous distingue en tant qu’organisation. En tant que société de transport, nous nous appuyons sur plus de trois cents ans de savoir-faire maritime pour être en mesure d’offrir la meilleure qualité de service. Je pense que, depuis ces dernières années, tout le monde peut s’en rendre compte.

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