Affaire Tariq Ramadan : un procès sous haute tension
Jugé pour « viol » et « contrainte sexuelle », l’islamologue suisse a comparu pendant trois jours devant le tribunal correctionnel de Genève. Le verdict est attendu pour le 24 mai. Récit.
Trois ans de prison, dont dix-huit mois ferme. C’est la peine que le procureur du tribunal correctionnel de Genève, Adrian Holloway, a requis, le 16 mai, à l’encontre de Tariq Ramadan, figure médiatique de l’islam en Europe.
Celui-ci encourait jusqu’à dix ans de prison. Poursuivi pour « viol » et « contrainte sexuelle », l’islamologue a comparu devant la cour – composée de trois juges – du 15 au 17 mai. Ce procès faisait suite à une plainte déposée le 13 avril 2018 par R.A.D., une Suissesse désormais âgée de 57 ans et mère de cinq enfants. Les faits supposés remontent quant à eux à la nuit du 28 octobre 2008, et se seraient déroulés dans la chambre 511 de l’Hôtel Mon-Repos, à Genève.
À cette époque, R.A.D., 42 ans, agent d’artiste et convertie à l’islam depuis son adolescence, est une grande fan de Tariq Ramadan. Quelques mois auparavant, les deux protagonistes s’étaient rencontrés à la faveur d’une séance de dédicaces, puis d’une conférence, avant d’entretenir une correspondance via les réseaux sociaux.
Le 28 octobre 2008, à l’issue d’une conférence privée, R.A.D. accepte de retrouver l’islamologue dans le hall de son hôtel. Ce dernier aurait alors prétexté devoir repasser ses vêtements en urgence pour attirer cette femme dans sa chambre. S’en serait ensuivie alors une nuit cauchemardesque au cours de laquelle la plaignante aurait subi trois viols, de nombreux sévices sexuels, des coups et des insultes.
Une partie de son témoignage a d’ailleurs été consignée dans l’ouvrage L’affaire Ramadan (Fayard, 2019), écrit par Bernadette Sauvaget, journaliste à Libération. Démunie, effrayée, la plaignante a attendu dix ans avant de déposer plainte. À ce moment-là, le prédicateur, pris dans la vague #MeToo, fait face à cinq accusations de viol en France avant d’être mis en examen et placé en détention provisoire au début de l’année 2018.
Au cours de l’instruction, l’islamologue avait nié toute relation sexuelle avec les plaignantes avant de reconnaître des relations « consenties ». Libéré au mois de novembre de la même année pour des raisons liées à la dégradation de son état de santé, il est depuis toujours sous contrôle judiciaire et fait l’objet d’autorisations exceptionnelles afin de quitter le territoire français et d’assister à son procès en Suisse. En juillet 2022, le parquet de Paris a d’ailleurs demandé son renvoi devant la cour d’assises pour les viols supposés de quatre femmes entre 2009 et 2016. Des plaignantes qui décrivent sensiblement le même modus operandi.
Ultra-médiatisation
C’est donc dans ce contexte que Tariq Ramadan est venu affronter sa plaignante à Genève. Auditionné durant sept heures par la cour, le 15 mai, cette figure médiatique n’a rien perdu de sa verve, de ses qualités de conteur, ni de son ego, même s’il s’est présenté comme une personne « diminuée » par une sclérose en plaques, atteinte de « dépression » et de « troubles de la mémoire ».
Dans les colonnes du journal suisse Le Temps, la spécialiste des affaires judiciaires Fati Mansour estime même que « le prévenu a bénéficié d’une latitude rarement de mise pour occuper le terrain, mener la danse lors de son interrogatoire, transformer ses réponses en discours et, au moment de prononcer les dernières paroles, s’en prendre à tous ceux qui le critiquent et même se retourner en vitupérant contre l’avocat français de la plaignante ».
Le tout sans que les juges, sous pression à cause de l’ultra-médiatisation de cette affaire, interviennent ou recadrent Tariq Ramadan. Par ailleurs, la cour n’avait initialement prévu que deux jours de procès avant d’en rajouter un troisième in extremis. Ce qui « montre déjà le peu de sensibilité pour les enjeux de cette affaire et pour le temps nécessaire au déroulement de ce procès très disputé », estime Fati Mansour.
La théorie de la vengeance amoureuse
Au cours de son audition, Tariq Ramadan s’est décrit comme un homme ultra-sollicité par les femmes, victime d’un « traquenard » fomenté par des conquêtes éconduites et ses adversaires idéologiques, notamment l’essayiste Caroline Fourest. Face au président de la Cour, Yves Maurer-Cecchini, il a nié avoir eu des relations sexuelles avec R.A.D. et assuré que cette dernière le harcelait par message. Il a reconnu toutefois un échange de caresses avec elle, avant d’être rebuté par l’odeur de son foulard et la vue d’une tache de sang sur son pantalon, puis sur le lit. « Je l’ai insultée. Je ne suis pas un violent, mais là, oui », a-t-il déclaré.
À l’adresse de la partie civile, il tonne : « Une femme ne peut rien commettre de pire que de mentir sur un viol ! » Derrière le paravent qui la sépare visuellement de Tariq Ramadan, la plaignante est restée murée dans le silence et a parfois laissé échapper une larme. Au cours de leurs plaidoiries, tenues le 17 mai, les avocats de la défense ont fustigé le « féminisme néo-guerrier », l’instrumentalisation de #MeToo, la « sacralisation de la parole des victimes », et l’attitude d’une « accusatrice » qui serait en réalité « infiniment tentatrice ». Avant de pointer du doigt un manque de « preuves matérielles » : aucun témoin, ni de constat gynécologique.
Dieudonné en témoin de moralité
Le 16 mai, ce fut au tour de la plaignante d’être auditionnée pendant un peu plus de six heures. Juste avant, un témoin inattendu a été appelé à la barre, à la dernière minute : Dieudonné M’Bala M’Bala. En effet, quelques jours avant le procès, les juges suisses ont reçu un courrier anonyme dans lequel le nom de l’humoriste français était mentionné. La défense a donc demandé à ce qu’il soit cité à comparaître. Celui-ci, qui connaît à la fois le prévenu et la plaignante, aurait recueilli les confidences de R.A.D. à propos de sa relation avec Tariq Ramadan quelques temps après les faits à l’occasion de l’organisation d’un spectacle.
Dieudonné s’est présenté à la barre vêtu d’un boubou bleu et d’une broche en forme de continent africain, ce qui n’a pas manqué de faire rire l’audience. Ce témoin de moralité, « le moins crédible du monde », selon Fati Mansour, a évoqué devant le tribunal un « coup d’un soir » sans violence. Avant d’affirmer croire en « l’innocence » de Tariq Ramadan. La plaignante, quant à elle, expliquera s’être contentée de répondre « oui » à l’humoriste qui lui demandait « si l’histoire avec Tariq Ramadan était vraie ».
Lorsque ce fut à son tour de livrer sa version des faits, l’attitude de R.A.D. a été aux antipodes de celle du prévenu. Fragile, mal assurée, assaillie par les attaques de la défense, la plaignante s’est presque excusée d’exister tout en se montrant spontanée et cohérente : « J’ai dit scrupuleusement ce que j’ai vécu », a-t-elle affirmé.
Emprise et sidération ?
Le point faible de sa version, selon la défense ? Les messages – tendres – qu’elle continuera à envoyer à l’islamologue après la nuit du 28 octobre. Pourtant, sept jours après les faits, elle consulte un premier psychiatre, qui écrit le mot viol sur son dossier, puis un second pendant plusieurs mois, qui constate un syndrome post-traumatique. L’emprise, la sidération, l’ambiguïté de ses sentiments semblent faire partie de l’histoire, comme dans de nombreuses affaires de violences sexuelles. Sans que cela soit relevé par la cour.
Discret, très concis dans ses interventions, c’est l’avocat général (procureur) Adrian Holloway qui aura été le meilleur soutien de la plaignante. En plus de relever sa « crédibilité », il a balayé d’un revers de main l’accusation de harcèlement émise par la défense et démontré, preuves à l’appui, que Tariq Ramadan s’est lui-même montré entreprenant et explicite avec R.A.D.
Selon lui, le prévenu, qui n’aura jamais fait preuve de compassion ou d’empathie au cours du procès, « a agi pour assouvir son plaisir sexuel à l’égard d’une femme traitée comme un objet ». Au cours de sa plaidoirie, Me Zimeray, l’avocat de la partie civile, a estimé que les faits supposés s’établissaient « au-delà du viol », au niveau « de la torture et de la barbarie », tout en soulignant le mode opératoire répétitif de Tariq Ramadan. Avant d’ajouter : « R.A.D. n’est pas là pour la cause de toutes les femmes. Elle ne fait que le procès d’une nuit et elle l’a mené sans se victimiser. » Verdict le 24 mai.
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