L’inévitable transformation du barreau africain
La fusion des cabinets d’avocats anglais Allen and Overy et américain Shearman and Sterling pourrait avoir à terme de sérieuses répercussions sur ceux d’Afrique subsaharienne. Pour maître Michel Brizoua-Bi du barreau d’Abidjan, il faut donc adapter le modèle économique et la stratégie de ces derniers afin que la clientèle nationale, publique ou privée, continue de faire appel prioritairement à leurs services.
Le 21 mai 2023, en début de soirée, deux cabinets internationaux, l’un anglais, Allen & Overy, et l’autre américain, Shearman & Sterling, ont annoncé leur prochaine fusion visant à créer une méga firme de plus de 3 500 avocats dont les 49 bureaux sont présents dans les villes des cinq continents, notamment à Casablanca et Johannesburg. A priori, cette information est un non-évènement dans les grandes places économiques d’Afrique francophone. Les règles des barreaux ont érigé des frontières suffisamment protectrices, du moins en théorie, pour que les appétits de ces mastodontes du droit ne nous affectent. Les avocats africains n’ont donc, en principe, aucune inquiétude à se faire.
Expansion rampante
C’est une erreur de lecture. Aucun cabinet d’avocats en Afrique subsaharienne ne pourra échapper aux répercussions provoquées par les mutations en cours dans l’industrie mondiale de l’avocature à travers ces regroupements qui vont se poursuivre. Certes, nul ne demande aux cabinets de nos barreaux d’atteindre la taille ou la puissance financière de la nouvelle entité dénommée A&O Shearman ni celles des autres firmes internationales qui dominent le marché.
Mais en continuant à ignorer leur progression et leur expansion rampantes dans le monde, il ne faudra pas un jour crier au « complot contre les barreaux nationaux » quand ces cabinets viendront frontalement à la chasse aux clients en faisant les yeux doux aux dirigeants de nos États et aux grandes entreprises africaines qu’ils voudront conseiller tant dans leurs contentieux que dans leurs grands projets. En réalité, depuis quelques années, et surtout avec la magie du numérique, ils n’ont plus besoin d’ouvrir de bureaux dans nos pays.
Mieux, ces cabinets, qui ont des équipes composées de talentueux avocats africains formés dans les meilleures universités du monde, peuvent échanger et conseiller quotidiennement à distance une clientèle présente sur le continent. La part du « gâteau » des prestations judiciaires et juridiques d’avocats dans nos pays n’est plus, de fait, un marché réservé à nos cabinets.
Dans ces conditions, la fusion annoncée de Allen & Overy et Shearman & Sterling devrait provoquer des remises en question et même réveiller nos consciences par deux interrogations essentielles. La première, comment adapter le modèle économique et la stratégie de nos cabinets pour qu’ils s’imposent comme des recours prioritaires de la clientèle publique ou privée nationale et que cette dernière juge inutile le recours à l’expertise extérieure dans nos dossiers ? La seconde question à affronter et à traiter par nos cabinets est celle de la recherche des voies et moyens de se transformer afin d’être incontournables lorsque ces cabinets internationaux viennent intervenir dans nos pays.
Fidélité à durée limitée
Le client, qu’il soit public ou privé, reste roi. Il choisit librement la structure d’avocats qui correspond à ses besoins, ses attentes et son budget. En la matière, sa fidélité est à durée limitée. Nos lamentations corporatistes face au combat inégal que la mondialisation dans l’avocature nous impose à tous seront inaudibles à notre clientèle. L’urgence du changement dans notre profession est présente depuis la formation initiale jusqu’aux normes ou aux meilleures pratiques à adopter pour offrir des services attractifs et compétitifs sollicités par n’importe quel client.
Face à cette compétition internationale dont les données sont déséquilibrées, il est également souhaitable que les États apportent un appui multiforme à notre profession dans son ensemble. À cet égard, les politiques d’appui au secteur privé doivent inclure la profession d’avocat, qui est créatrice de nombreux emplois. En outre, l’attractivité d’un pays est renforcée aux yeux des investisseurs locaux et étrangers lorsqu’ils ont l’assurance d’avoir accès à un système judiciaire de qualité et à des cabinets d’avocats dont les services répondent aux normes en vigueur partout dans le monde.
Au final, c’est seulement ceux qui auront réussi à devancer l’avenir proche de notre industrie qui pourront rivaliser valablement, et, mieux, poursuivre durablement leur développement, malgré l’irruption incontrôlable de ces multinationales du droit dans nos espaces qui n’ont plus de frontières.
Ce défi a déjà été relevé dans les métiers du chiffre car les « Big Four » et autres firmes d’audit présents en Afrique n’ont pas fait disparaître les cabinets d’expertise comptable nationaux. Il peut l’être aussi dans notre profession, les expertises et talents d’avocats ne manquent pas. Lorsque cette nécessaire mue va s’opérer, nos pays auront un jour la fierté de découvrir dans la presse internationale la naissance de grands regroupements pour former des champions nationaux et régionaux de l’avocature capables d’affronter la concurrence mondiale. J’y crois.
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