Soixantième anniversaire de l’UA : où en est le bien-être des populations ?

Flux migratoires clandestins et meurtriers vers l’Europe, recrutements de jeunes dans des groupes armés, émeutes et agitation politique dans nombre de pays… Six décennies après la création de l’organisation interétatique, c’est une Afrique en proie à divers maux qui fête son unité. Pourtant, de nombreux projets permettent de rattraper le retard pris dans la capture du dividende démographique.

Dans le cadre du projet SWEDD, financé par la Banque mondiale et l’UA, 135 sages-femmes (étudiantes ou en poste) ont été formées à la question du genre, de la technologie contraceptive et de la gestion de l’hygiène menstruelle à l’École nationale de santé publique Damoure Zika, au Niger, en novembre 2022. © SWEDD

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  • Mabingué Ngom

    Conseiller spécial du directeur exécutif de l’UNFPA et directeur du bureau de représentation de l’UNFPA auprès de l’Union africaine et de la commission économique des Nations unies en Afrique.

Publié le 26 mai 2023 Lecture : 4 minutes.

Alors que l’Union africaine (UA) a fêté le 25 mai ses soixante années d’existence, l’occasion se prête à un bilan sur le chemin parcouru du point de vue du bien-être des populations. Lorsque 32 États se sont réunis en 1963 pour signer la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue l’UA en 2002, ces pays fraîchement indépendants étaient très peu peuplés – voire dépeuplés par des siècles de traite esclavagiste sur le littoral atlantique.

Maux persistants

La vision portait alors sur un « continent de citoyens libres et d’horizons élargis, où le plein potentiel des femmes et des jeunes se réalise, affranchis de la peur, de la maladie et de la nécessité ». Six décennies plus tard, c’est une Afrique de 1,15 milliard d’habitants qui fête son unité, dans un contexte où nombre de pays – en Afrique du Nord et en Afrique australe notamment – ont bel et bien achevé leur transition démographique, avec des taux de fécondité passés sous la barre des quatre enfants.

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Bien des défis restent à relever, qui ont trait à des maux persistants. En 2020, l’Afrique subsaharienne restait en effet la seule région du monde à afficher un taux de mortalité maternelle très élevé. Estimé à 545 morts pour 100 000 naissances vivantes, ce taux représente 70 % de tous les décès maternels dans le monde, avant l’Asie centrale et du sud (17 %). Les études montrent qu’une jeune fille de 15 ans au Sud du Sahara connaît le plus fort risque de mort en couches au monde (1 sur 40).

Par ailleurs, la jeunesse africaine, en plein essor, se trouve au cœur d’un malaise social fort documenté à travers le continent, qui se solde par des flux migratoires clandestins et meurtriers vers l’Europe, des recrutements dans des groupes armés pour une moto ou quelques poignées de dollars, sans oublier les émeutes et l’agitation politique qui secouent de nombreux pays – du Sénégal au Soudan.

Les retards pris dans la capture du dividende démographique, un phénomène qui voit la croissance économique augmenter grâce à la baisse du nombre de personnes à la charge des actifs, freinent d’autres programmes ambitieux de développement. Les obstacles au dividende démographique – une promesse, donc, de bond en avant – relèvent de deux facteurs, essentiellement. Il s’agit du mariage d’enfants et, du défaut d’accès à la contraception et aux services de planification familiale.

Des projets exemplaires

Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) travaille sur tous les fronts de ces souffrances, dans les situations d’urgence comme sur le long terme. Des programmes ont été mis en place, qui ont fait leur preuve, à l’instar du Projet d’autonomisation des femmes et dividende démographique dans le Sahel (SWEDD), exemplaire. Financée par la Banque mondiale, cette initiative est déployée depuis 2015 par l’UNFPA et un large éventail de partenaires, dont l’UA, dans neuf pays du Sahel – et bientôt 13.

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Il a permis de voir les taux de scolarisation des filles augmenter dans ses zones d’intervention, notamment dans le cycle secondaire, passée de 19 à 28 %. Autrement dit, l’abandon des études a régressé de 10 points de pourcentage. Le SWEDD a changé la vie de centaines de jeunes filles, au Mali, au Niger et au Tchad notamment, en leur offrant des « espaces sûrs » et en les formant à des métiers demandés mais traditionnellement considérés comme masculins. Elles ont pris leur vie en main en exerçant en tant que peintres en bâtiment, électriciennes, mécaniciennes ou photographes.

Deux autres exemples de succès, aujourd’hui répliqués à plus grande échelle, méritent d’être mieux connus et salués. Le premier, le projet Fass émergent, a vu une coalition de partenaires au développement se mobiliser à partir de 2018 pour équiper d’une maternité le quartier populaire de Fass, à Dakar, et lancer un plan pilote d’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive, de lutte contre la déperdition scolaire, d’autonomisation des femmes et d’employabilité des jeunes. Des ateliers de formation d’une capacité de 50 apprentis ont été mis sur pied par sessions de trois mois, pour des métiers allant de la mécanique à l’artisanat, en passant par la réparation de téléphones portables.

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Le second exemple porte sur la campagne Saleema , lancée en 2008 contre les mutilations génitales féminines au Soudan, afin de changer le narratif et les perceptions autour de ces pratiques néfastes. Elle a été adoptée et élargie en 2019 par l’UA, en cheville avec l’UNFPA. L’objectif : sauver 50 millions de filles de moins de 15 ans qui sont exposées d’ici à 2030 au risque d’excision, une pratique déjà en recul, de la Guinée à la Somalie.

Tout l’enjeu consiste à faire passer ce type de projet à l’échelle du continent pour en démultiplier l’incidence. Faudrait-il, à cet égard, relancer l’appel de 2019, fait en marge de l’assemblée générale des Nations unies, pour une « coalition du dividende démographique » susceptible de régler la question de la mortalité maternelle en Afrique et d’améliorer la résilience des jeunes  ? C’est plus qu’une évidence. Les enjeux sont trop élevés, non seulement pour notre continent, mais l’avenir du monde.

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