« Free Queens », un polar dans le monde de la prostitution nigériane
Dans son nouveau roman, l’écrivain Marin Ledun explore la manière dont certains grands groupes industriels utilisent sans vergogne le corps des femmes comme produit d’appel pour leurs marchandises.
Une plongée dans le milieu sordide des réseaux de prostitution nigérians. Free Queens, du romancier français Marin Ledun, débute avec la rencontre d’une journaliste française, Serena Monnier, et d’une jeune prostituée nigériane, Jasmine Dooyum. Touchée par l’histoire de l’adolescente, la journaliste décide de se rendre au Nigeria dans le but de mener son enquête et de remonter à la source du réseau qui a conduit Jasmine jusqu’à Paris.
À Lagos, elle entre en contact avec des membres de Free Queens – une ONG qui lutte contre les violences faites aux femmes –, lesquels lui proposent de l’aider dans ses recherches. En parallèle, le lecteur est invité à suivre les investigations d’un ancien sous-officier de la Nigerian Police Force, reconverti dans la Federal Road Safety, et qui, après avoir découvert les cadavres de deux prostituées sur une aire d’autoroute de Kaduna, est déterminé à retrouver les coupables de ce double meurtre dont personne ou presque ne semble se soucier.
En fouillant le passé de ces jeunes femmes, l’agent Oni Goje arrive rapidement sur les traces d’un industriel de la bière, qui semble impliqué dans l’affaire et, plus généralement, dans des stratégies marketing basées sur la vente des corps de nombreuses nigérianes.
De Lagos à Kaduna en passant par Abuja
En bon thriller politique, Free Queens se déroule dans une ambiance sombre, entre enquête officieuse et corruption banalisée, de Lagos à Kaduna en passant par Abuja. Les phrases courtes et les dialogues tranchants donnent un rythme haletant au récit, qui nous tient en suspens de bout en bout. Un ouvrage engagé, dont l’objectif, d’après l’auteur, « est moins de dénoncer que d’inviter le lecteur à se questionner sur des pratiques commerciales criminelles de multinationales implantées en Afrique », lesquelles sont souvent ignorées ou tues du fait de la puissance économique de ces entreprises.
Avec regret, Marin Ledun n’a pu se rendre au Nigeria pour rassembler la documentation nécessaire à son ouvrage, en raison du confinement imposé pendant la pandémie de Covid-19. Il a compensé ce manque en s’imprégnant du sujet par de nombreuses lectures. « Ce qui m’a donné envie d’écrire cette fiction, c’est notamment l’ouvrage d’Oliver Van Beemen, Heineken en Afrique : une multinationale décomplexée« , dit-il, mentionnant cette enquête journalistique sur les pratiques du groupe brassicole en Afrique.
La prostitution pour fuir la misère
Dans ce décor soulignant les inégalités économiques et sociales du Nigeria, l’auteur décrit des personnages profondément humains, en particulier ces jeunes femmes qui, pour fuir la misère, acceptent d’intégrer des réseaux de prostitution et de se rendre en Europe en confiant leur sort à des proxénètes. Pour l’auteur, « il faut traiter de ce sujet, car 45 000 Nigérianes voyagent jusqu’en Europe chaque année pour s’y prostituer ». Pour lutter contre ce phénomène, de nombreuses associations de femmes luttent pour faire valoir leurs droits au Nigeria. Leur courage et les risques qu’elles prennent en militant sont retranscrits dans Free Queens à travers différents personnages féminins, plus ou moins téméraires ou raisonnés.
À l’inverse, des directeurs marketing de grands groupes industriels, comme ici Peter Dirksen de MB Nigeria Inc., tirent profit de la misère dans laquelle se trouvent ces jeunes Nigérianes, afin de promouvoir leurs marchandises. Ils les utilisent comme de véritables produits d’appel, les obligeant à porter des uniformes aguicheurs aux couleurs de la marque, à boire leur bière sur leurs horaires de travail pour en faire la publicité et, surtout, à accepter des rapports sexuels avec tous les clients qui en exprimeraient l’envie.
Ces techniques de vente sont par ailleurs encadrées par des membres corrompus de la fonction publique, et notamment des policiers spécialement violents, chargés de maintenir l’ordre dans les différents lieux investis par la firme. Marin Ledun précise que « ce roman fait écho et référence au mot-dièse relatif au mouvement social nigérian #EndSARS, lequel vise à dénoncer les violences policières de la Special Anti-Robbery Squad« , dont plusieurs membres ont été accusés d’arrestations illégales, d’humiliations publiques, de harcèlements sexuels et de meurtres.
Free Queens, par Marin Ledun, Gallimard, 416 pages, 21 euros.
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