Erdogan, l’invincible « Reis », reconduit pour un nouveau mandat
Le président turc sortant l’a emporté par plus de 52 % des suffrages face à son concurrent Kemal Kiliçdaroglu, battant ainsi tous les records de longévité à la tête du pays.
Juché sur un bus devant son domicile d’Istanbul, sur la rive asiatique du Bosphore, le chef de l’État, 69 ans dont vingt au pouvoir, a pris la parole dimanche soir devant une mer de drapeaux rouges brandis par une foule enthousiaste. « Notre nation nous a confié la responsabilité de gouverner le pays pour les cinq prochaines années », a-t-il lancé, au terme d’une élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.
Selon les résultats portant sur plus de 98 % des bulletins, publiés par l’agence officielle Anadolu, le chef de l’État a obtenu 52,1 % des suffrages contre 47,9 % à son rival social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu qui, à 74 ans, a perdu le pari de l’alternance et de la « démocratie apaisée » qu’il promettait et s’est dit « triste face aux difficultés qui attendent » la Turquie. Des rassemblements spontanés se sont formés partout dans les villes où le « Reis » a triomphé, en particulier au cœur de l’Anatolie.
Pour ses partisans comme pour ses détracteurs, Recep Tayyip Erdogan a transformé la Turquie comme nul autre depuis Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République; dont il a déjà largement battu le record de longévité. Au pouvoir depuis deux décennies, il est réélu pour cinq ans.
Campagne âpre
À 69 ans, l’indéboulonnable « Reis » (« Chef »), le surnom que lui donnent ses plus fervents partisans, semblait menacé par la crise économique, l’usure du pouvoir, les conséquences du séisme dévastateur du 6 février et une opposition unie comme jamais auparavant. Mais à l’issue d’une campagne âpre, celui dont le visage est omniprésent sur les écrans de télévision a revendiqué dimanche la victoire à l’issue de son duel le plus acharné – en deux tours, une première.
Ni son court séjour en prison à la fin des années 1990, ni une vague de manifestations monstres lancée il y a tout juste dix ans, ni même une sanglante tentative de putsch en 2016 (250 morts, hors putschistes ) n’ont enrayé la marche du président, champion de la majorité conservatrice longtemps dédaignée par une élite urbaine et laïque. Attaqué pendant la campagne sur l’inflation qui assomme les ménages, il a riposté en brandissant les drones de fabrication turque, devenus fierté nationale à la faveur de la guerre en Ukraine, mais aussi les mosquées, autoroutes et aéroports construits depuis son arrivée au pouvoir en 2003, d’abord comme Premier ministre.
Malgré les profondes difficultés des dernières années, il reste pour ses partisans l’homme du « miracle économique » qui a fait entrer la Turquie dans le club des vingt pays les plus riches. Il demeure aussi à leurs yeux le seul capable de tenir tête aux grandes puissances et de traverser sans tanguer les crises régionales et internationales.
Volontiers rugueux, le Reis a conduit une politique étrangère affirmée en direction de l’Orient et de l’Asie centrale, quitte à se brouiller avec les Occidentaux. Mais la guerre en Ukraine lui a permis de se replacer au centre du jeu diplomatique grâce à ses efforts de médiation entre Kiev et Moscou.
Ses détracteurs continuent, eux, de s’inquiéter de sa dérive autocratique, en particulier depuis les purges massives conduites après la tentative de putsch et la révision constitutionnelle de 2017, qui a considérablement élargi ses pouvoirs.
Homme du peuple face aux « élites »
Celui qui s’est fait bâtir un palais de 1 100 pièces sur une colline boisée protégée d’Ankara continue de se poser en homme du peuple face aux « élites ». « J’ai appris la vie à Kasimpasa, pas dans une tour d’ivoire », a-t-il encore lancé jeudi, évoquant le quartier populaire d’Istanbul où il a grandi et caressé le rêve d’une carrière de footballeur.
Scolarisé dans un lycée religieux, il choisit finalement la politique. Il en apprend les ficelles au sein de la mouvance islamiste de l’ex-Premier ministre Necmettin Erbakan, avant d’être propulsé sur le devant de la scène en devenant maire d’Istanbul en 1994. En 1998, il est emprisonné pour avoir récité un poème religieux (« Nos minarets seront nos baïonnettes »), un épisode qui ne fera que renforcer son aura.
L’AKP, le parti de la justice et du développement qu’il a cofondé, remporte les élections en 2002. Il devient Premier ministre l’année suivante, fonction qu’il occupera jusqu’en 2014, lorsqu’il devient le premier président turc élu au suffrage universel direct. Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, il affronte sa pire épreuve : une tentative de coup d’État, qu’il attribue au prédicateur musulman en exil Fethullah Gülen, son ex-allié.
Son pire revers électoral survient en 2019, quand l’opposition ravit à son camp la capitale, Ankara, et Istanbul, sa ville. Craignant de voir son pouvoir se fissurer, il a mis hors jeu, au fil des ans, plusieurs de ses plus redoutables opposants, tout en renforçant son emprise sur les médias.
Opposants réprimés
Le chef de file du parti prokurde HDP, Selahattin Demirtas, qui l’a privé de la majorité absolue au Parlement, est emprisonné depuis 2016. Et le très populaire maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a été visé en décembre par une décision de justice qui a rendu impossible une éventuelle candidature à la présidentielle.
Pour sa troisième campagne présidentielle, le chef de l’État a, cette année encore, enchaîné les meetings, jusqu’à trois par jour, pugnace malgré une démarche ralentie et un visage trahissant la fatigue. Sur les estrades, ce musulman dévot, père de quatre enfants et chantre des valeurs familiales, a de nouveau puisé dans le Coran pour galvaniser les foules. Mais le tribun a aussi usé de l’invective pour discréditer l’opposition, accusée de « terrorisme ».
Sa réélection un 28 mai, dix ans jour pour jour après le début du vaste mouvement de contestation de Gezi qu’il avait brutalement réprimé, sonne comme un symbole de son emprise sur la Turquie, qu’il dirigera pour un troisième et ultime mandat, selon la Constitution.
(avec AFP)
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