Dans l’actuel Ghana, à Nsamankow, les Ashantis écrasent les Britanniques

Le 21 janvier 1824, les Ashantis infligent une humiliante défaite aux forces britanniques commandées par le gouverneur McCarthy. Récit.

Le 21 janvier 1824, moins de deux heures suffisent aux troupes du roi Osei Yaw Akoto pour submerger les maigres forces rassemblées autour du gouverneur Charles McCarthy, lors de la bataille de Nsamankow, ou Insamankou – la première des cinq guerres anglo-ashanties. © Montage JA / DR

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Publié le 25 juillet 2023 Lecture : 9 minutes.

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[Série] Ces batailles où l’Afrique a triomphé des colons

Face aux forces coloniales, du Maroc à l’Afrique du Sud, en passant par Haïti, l’Algérie ou le Ghana, les Africains du continent et de la diaspora ont souvent su profiter du sentiment de supériorité des Européens.

Sommaire

Les grandes victoires militaires africaines (2/8) – C’est par une mémorable débâcle militaire que s’est ouverte la plus longue campagne coloniale jamais menée par la couronne britannique en Afrique. Moins de deux heures ont en effet suffi aux troupes du roi Osei Yaw Akoto pour submerger les maigres forces rassemblées, le 21 janvier 1824, autour du gouverneur Charles McCarthy, lors de la bataille de Nsamankow, ou Insamankou – la première des cinq guerres anglo-ashanties, qui ne trouvera son épilogue que soixante-dix-huit ans plus tard avec l’instauration de la colonie britannique de la Gold Coast (le futur Ghana). Une humiliation que n’avaient certainement pas vu venir Londres et son armée encore auréolée du prestige de sa victoire sur la France impériale de Bonaparte, près de dix ans auparavant.

Uniforme écarlate 

Quelques jours avant la bataille, au moment de quitter le Fort de Cape Coast, le brigadier-général McCarthy part d’ailleurs au combat comme il se rendrait à un défilé, sanglé dans son plus bel uniforme écarlate, les mèches grisonnantes dépassant de son bicorne de parade. Sir Charles perdra de sa superbe quelques jours plus tard, en même temps que sa tête. Son crâne, ourlé d’or, servira en effet de gobelet au monarque ashanti, comme le roi Osei Tutu Kwame Bonsu (prédécesseur d’Osei Yaw Akoto) l’avait promis quelques mois plus tôt au gouverneur britannique au cas où il lui aurait pris l’envie de marcher sur Kumasi, sa capitale.

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Malgré ce sinistre avertissement, c’est bien la direction du nord que prend Charles McCarty en ce matin humide de janvier 1824. Derrière le plumet détrempé de ce vieux soldat d’active, né en France au temps des Guerres en dentelle, et qui, depuis ses 20 ans, a servi successivement le prince de Condé, le duc de Castries ou encore la toute jeune république de Hollande, marche en colonne l’avant-garde de la petite armée qu’il est parvenu à assembler depuis son arrivée à Cape Coast Castle, trois ans plus tôt.

Après la fanfare au complet, avancent en rangs serrés moins d’une centaine de réguliers du Royal African Colonial Corp (RACC), composé en majeure partie d’anciens déserteurs rattrapés par une cour martiale. Les suivent près de 200 miliciens de la ville de Cape Coast et, un peu plus loin encore, de supplétifs fantis, fournis par les tribus alliées depuis longtemps aux Britanniques dans la région. En tout, quelque 500 hommes s’enfoncent dans la jungle à la rencontre des forces ashanties, qui, depuis quelques jours, fondent sur le littoral.

Lances, sagaies et mousquets

Les dernières informations, approximatives, rapportées par les espions, font état de quelque 10 000 guerriers, armés de lances et de sagaies, mais aussi de mousquets récupérés à l’époque où les Danois tenaient cette partie du littoral, cent cinquante ans plus tôt. À moins que ce ne soient les Néerlandais ou les Suédois. Car presque toute l’Europe du XVIIsiècle s’était en effet invitée sur cette Côte de l’Or qui fut d’abord longtemps la Côte des esclaves, avant que la Pax Britannica ne s’impose sur cette bande littorale longue de quelques centaines de kilomètres.

Si McCarthy s’aventure aujourd’hui aussi profondément dans les marécages, c’est justement pour bien faire savoir à l’Asantehene Osei Yaw et à ses successeurs que l’époque du commerce triangulaire est révolue depuis que la Grande-Bretagne a aboli l’esclavage, en 1807. On a rapporté au gouverneur que le trafic d’êtres humains continuait, sous pavillon espagnol ou portugais, que des affranchis avaient même été réexpédiés aux Amériques. L’empire ashanti n’y participe peut-être pas directement, mais il ne fait rien non plus pour empêcher sur son territoire une traite qui a, avec le trafic de l’or et de l’ivoire, a longtemps fait sa fortune.

Miniature sur ivoire (1812) de Charles McCarthy (1764-1824), gouverneur anglais de Cape Coast. Farouchement anti-esclavagiste, il est tué lors de la bataille de Nsamankow. © National Army Museum

Miniature sur ivoire (1812) de Charles McCarthy (1764-1824), gouverneur anglais de Cape Coast. Farouchement anti-esclavagiste, il est tué lors de la bataille de Nsamankow. © National Army Museum

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Un anti-esclavagiste farouche

Une situation intolérable pour Charles McCarthy, qui, après deux années passées à Saint-Louis du Sénégal pour gérer les possessions françaises récupérées par les Anglais au lendemain de la défaite de Napoléon en Russie, en 1812, a été envoyé en Sierra Leone pour précisément accueillir les anciens esclaves des deux Caroline et du Maryland, ainsi que les quelques centaines de nègres marrons de Jamaïque, tous rapatriés par la Navy pour peupler la nouvelle colonie.

Farouchement anti-esclavagiste, le gouverneur remplit pendant sept ans sa mission avec une réussite certaine. Il fait construire des maisons pour les nouveaux arrivants, des écoles pour leurs enfants, développe l’agriculture et signe des traités avec les rois locaux pour garantir la sécurité de tous. En récompense, il est fait chevalier-commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges en 1820. On lui confie également la destinée des quelques enclaves éparpillées le long de la Gold Coast. Il prend sa nouvelle affectation quelques mois plus tard, avec la ferme intention d’y appliquer les mêmes recettes que celles qui ont contribué à son succès à Freetown. Et malheur à ceux qui s’y opposeraient.

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Ashantis contre Fantis

Sir Charles veut rapidement mettre un terme aux provocations répétées des Ashantis envers l’autorité britannique, aux brimades incessantes qu’ils infligent aux Fantis, et, surtout, à ces incursions toujours plus menaçantes vers le Sud, l’empire ashanti étant à la recherche d’un débouché maritime synonyme d’ouverture commerciale sur le monde. Londres n’a toujours pas digéré l’attaque que le très entreprenant Osei Tutu Kwame Bonsu a menée quinze années plus tôt contre le fort d’Anomabu. Cette offensive avait non seulement souligné la fragilité de la position des Britanniques, mais elle les avait contraints à signer un premier traité avec cette puissance toujours plus dominante dans la région.

Dans ce climat de défiance réciproque, l’embuscade, tendue à la fin de 1823 par un groupe de guerriers ashantis et qui s’est soldée par la mort d’une dizaine de soldats britanniques, met le feu aux poudres. Sans prendre la peine de prévenir Londres, « Mankato », comme les Ashantis surnomment le gouverneur McCarthy, déclare la guerre à l’empire en décembre.

Les semaines suivantes, il fortifie Cape Coast, fait venir de Gambie et de Sierra Leone trois compagnies du RACC, organise la milice locale. Au moment où les Ashantis font route en direction du Sud, le brigadier-général dispose de 6 000 hommes, qu’il divise en quatre détachements, avec ordre de tracer leur propre chemin dans la brousse avant de converger au moment des premiers engagements.

Selon ses espions, l’Asantehene aurait lui aussi morcelé ses troupes en une dizaine de colonnes composées chacune de 1 000 combattants. Disposant d’un armement largement supérieur, les troupes britanniques ne devraient donc avoir aucun mal à repousser l’ennemi. Charles McCarthy en est tellement convaincu qu’il décide de prendre lui-même la tête du plus petit groupe. Il sera toujours temps d’appeler les renforts une fois le contact établi avec les premiers éléments ashantis…

La bataille aura lieu au bord d’un affluent de la rivière Pra, près du village de Nsamankow, à une petite centaine de kilomètres au nord-ouest de Cape Coast. © DR

La bataille aura lieu au bord d’un affluent de la rivière Pra, près du village de Nsamankow, à une petite centaine de kilomètres au nord-ouest de Cape Coast. © DR

Les tambours répondent aux clairons

Après une marche épuisante de plusieurs jours sous la pluie, à travers forêts et marigots, les Britanniques établissent leur camp, le 20 janvier dans la soirée, au bord d’un affluent de la rivière Pra, près du village de Nsamankow, à une petite centaine de kilomètres au nord-ouest de Cape Coast. Les éclaireurs fantis, rentrés au camp dans la nuit, ont confirmé la présence toute proche de nombreux guerriers ashantis.

McCarthy décide donc de profiter de sa position, en surplomb de la rivière gonflée par les pluies, pour attendre l’adversaire, espérant avoir été rejoint d’ici là par l’une des trois autres colonnes dont il est sans nouvelles. Le lendemain, il fait donc régulièrement sonner du clairon pour guider les renforts éventuels jusqu’à lui. Mais, en début d’après-midi, ce sont les tambours de guerre ashantis qui lui répondent.

Autre mauvaise surprise pour le brigadier-général : il n’a pas face à lui une colonne mais toute l’armée, commandée par le chef Amankwaita. Alors, pour se donner du courage et, sans doute, afin d’impressionner l’ennemi, il ordonne à la fanfare de jouer le God Save the King. L’hymne est vite couvert par le bruit des tambours, qui se renforce à mesure que les Ashantis se rapprochent de la berge. Seule la rivière, large d’une quinzaine de mètres à cet endroit, les sépare des Britanniques.

« God Save the King »

Vers 14 heures, les premiers coups de feu claquent. Des dizaines de guerriers ashantis tombent au moment même de s’élancer dans l’eau. Les pertes sont également lourdes dans les rangs de ceux chargés d’abattre les arbres qui formeront un gué. Les tirs des miliciens et des fusiliers se font plus nourris. Les beaux habits rouge se noircissent de poudre. Un nuage mêlé de poussière et de fumée s’élève au-dessus du champ de bataille. Vite conscients du danger, les alliés fantis ont depuis longtemps décampé dans la jungle avec armes, et, pour certains, bagages.

Osei Yaw Akoto l’avait annoncé depuis son palais de Kumasi : « Tuez-en mille, mille autres prendront leur suite ». Les vagues ashanties se succèdent pendant plus d’une heure sans entamer ni les positions ni la détermination des Britanniques. Les rangs semblent même se clairsemer, comme pour confirmer la supériorité des balles en plomb du Brown Bess sorti des ateliers de Londres sur les tromblons ashantis chargés de clous.

Barils de pâtes

Soudain, les coups de feu s’espacent. Munitions et poudre viennent à manquer. Sir Charles, flanqué de son aide-de-camp, l’enseigne Wetherell, du 2e régiment des Indes Occidentales [Antilles], et de son secrétaire, le capitaine JT Williams, ordonne de mettre la baïonnette au canon, comme quand il se battait avec les princes émigrés contre la révolution française. L’intendant Brandon a conservé dans le tumulte quatre barils. Il fait sauter le premier couvercle et les soldats se ruent sur les cartouches. L’espoir renaît, puis s’éteint quand ces hommes constatent que les trois derniers barils ne contiennent que… des pâtes alimentaires

Passée la stupeur, il est déjà trop tard. Les Ashantis sont dans la place. Ils culbutent rapidement les derniers défenseurs, vite écrasés par le nombre, pour se tailler un chemin jusqu’au gouverneur McCarthy, acculé contre un arbre, épée dans une main, pistolet dans l’autre. Une lance vient de lui briser un bras et une balle lui a transpercé la jambe. L’enseigne Wetherell gît à ses pieds, après avoir donné sa vie pour tenter de sauver la sienne. Peine perdue. Voyant ses hommes tomber un à un, submergés en quelques minutes dans un corps-à-corps où il n’est fait aucun quartier, le brigadier-général, âgé alors de 59 ans, retourne son arme contre lui au moment où un guerrier le saisit par les cheveux.

À 16 heures, le silence retombe sur la forêt, et avec lui la poussière. Les Britanniques laissent près de 200 cadavres sur le champ de bataille ; les Ashantis, entre deux et trois fois plus. Quelques guerriers encore fougueux s’enfoncent dans la végétation à la poursuite des rares survivants, pendant que les autres achèvent les blessés, récupèrent les fusils et épargnent les officiers, utile monnaie d’échange pour l’Asantehene. Parmi ces derniers, le capitaine JT Williams est emmené à Kumasi, où il est enfermé dans une cellule, en compagnie de deux corps sans tête, ceux du brigadier-général McCarthy et de l’enseigne Wetherell.

Un crâne pour trophée

Le crâne de Sir Charles, bientôt serti d’or, trônera au palais parmi les trophées et autres trésors d’Osei Yaw Akoto. Il ne sera récupéré qu’en 1829 par la Grande-Bretagne, pour être enterré à l’église Saint-Saviour’s de Dartmouth, dans le Devon. Après plus d’un an de captivité, le capitaine Williams sera renvoyé à Cape Coast, selon ses dires, grâce à un noble ashanti avec qui il était en affaires par le passé et, qui, l’ayant reconnu, a plaidé sa cause auprès de son souverain.

Entre-temps, les soldats de ce dernier ont poursuivi leur percée vers le littoral, remportant même un second succès face aux Britanniques, à Efutu, avant de renoncer au fil des mois, décimés par la maladie.

Londres, de son côté, rumine sa vengeance et ne compte pas laisser l’affront de Nsamankow impuni. Le nouveau gouverneur de la Gold Coast, John Hope Smith, a ordre d’asseoir les positions de la couronne dans la région. À cette fin, il reçoit plusieurs compagnies d’élite des Royal Marines ainsi qu’une batterie de fusées Congreve. Ces dernières joueront un rôle décisif, en 1826, pour repousser une nouvelle attaque ashantie devant Accra. La dernière d’envergure, avant qu’une série d’escarmouches ne conduisent à la signature d’un traité en 1831, reconnaissant la rivière Pra comme frontière.

La paix sur les deux rives durera plus de trente ans. Jusqu’à ce qu’un nouvel incident de voisinage ne relance les hostilités, en 1863, et déclenche le deuxième volet d’une guerre, qui devra attendre encore quarante ans et trois épisodes avant de connaître un dénouement.

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