Ousmane Sonko a-t-il orchestré sa propre « disparition » ?
Après avoir entretenu le mystère ce dimanche 28 mai, l’opposant sénégalais a dévoilé les circonstances de son retour à Dakar, sous la contrainte des gendarmes.
Bien malin qui aurait pu s’attendre à un tel scénario jusqu’à ce mardi 30 mai, peu après minuit. Depuis près de quarante-huit heures, le Sénégal était en émoi, tenu en haleine par un énième rebondissement autour du sort d’Ousmane Sonko.
Parti de Ziguinchor (Sud-Ouest) vendredi 26 mai dans le cadre d’une « caravane de la liberté » censée le conduire triomphalement jusqu’à Dakar par la route, au terme d’un périple qui l’aurait amené à contourner la Gambie par l’est avant d’obliquer vers la capitale, le président des Partisans africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) s’est volatilisé durant plusieurs heures, ce dimanche 28 mai, avant que l’information annonçant un retour à son domicile dakarois de la cité Keur Gorgui ne soit enfin confirmée.
Retour mouvementé
Initialement prévue le jour même, l’allocution d’Ousmane Sonko destinée à relater cette journée si particulière a été reportée de 24 heures. Ainsi lundi soir, au cours d’une intervention de quarante-cinq minutes, en wolof puis en français, il a décrit dans les moindres détails les conditions de son retour mouvementé entre la Casamance et la capitale.
« C’est moi, à l’issue de l’étape de Vélingara, qui ai réuni une partie de mon staff pour lui dire qu’il était important de surseoir [au déroulement de la caravane de la liberté] », a affirmé l’opposant. Une information inédite, sur laquelle Pastef n’avait jusque-là pas communiqué.
« Nous avons considéré que l’objectif était atteint », a déclaré Ousmane Sonko, pour expliquer sa décision de rentrer prématurément à Dakar. Il a ajouté souhaiter « avoir au moins 24 heures de repos avant le lancement du contre-dialogue […] que le mouvement F24 […] a décidé d’initier, et [en prévision] d’autres événements qui vont se dérouler dans les tout prochains jours ».
Verdict le 1er juin
Le 1er juin, la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar doit en effet rendre son verdict dans le procès l’opposant à Adji Sarr, la jeune Sénégalaise qui l’accuse de viols répétés, entre 2020 et 2021, dans le salon de massage où elle travaillait et que lui-même fréquentait.
Une échéance attendue avec appréhension dans la capitale comme dans le reste du pays, où chacun sait qu’une condamnation aboutirait mécaniquement au prononcé d’une peine de prison ferme contre le président du Pastef, qui se retrouverait de ce fait empêché de concourir à la présidentielle de février 2024. « J’ai donc décidé de surseoir [à la caravane] et de me replier à Dakar provisoirement », précise Ousmane Sonko, avant d’aborder la suite des événements.
Dimanche 28 mai, très tôt dans la matinée, il prend la route dans une voiture discrète depuis Vélingara, accompagné par trois collaborateurs : un chauffeur, l’un de ses gardes du corps et le coordinateur local de Pastef. « J’ai délibérément choisi de passer par la Gambie, c’était un autre moyen d’acter ma campagne de désobéissance civique face aux injustices que je vis, face aux détournements de la loi et de la justice, par rapport à cette mesure, [devenue] illégale aujourd’hui, de mise sous contrôle judiciaire », reconnaît-il d’emblée.
En rejoignant Ziguinchor, le 2 mai, au mépris du contrôle judiciaire qui l’empêche théoriquement de quitter le territoire sénégalais sans l’autorisation préalable de la justice, Ousmane Sonko avait déjà immortalisé en photo son franchissement du pont Sénégambie, énième provocation à l’égard d’une justice qu’il dépeint comme un instrument de répression politique aux mains du président Macky Sall.
Cette fois, après avoir traversé la Gambie en sens inverse, il passe non loin de la localité sénégalaise de Koussanar avant de mettre le cap à l’Ouest, avec ses trois compagnons, vers Koungheul. Mais entre les deux villes, un dispositif important de gendarmes filtre la circulation. Selon une source officielle sénégalaise interrogée par JA, qui corrobore dans les grandes lignes les circonstances de cette arrestation, les forces de l’ordre avaient en effet établi plusieurs cordons de sécurité préventifs dans les deux zones limitrophes entre le Sénégal et la Gambie qu’il était susceptible d’emprunter. L’un au sud, dans le cas d’un retour imprévu de l’opposant vers Ziguinchor, l’autre au nord, sur la route qui lui aurait permis de rallier Kaolack avant de poursuivre sa route vers Dakar.
« Je ne me suis pas caché, précise l’intéressé. Sinon je ne serais pas passé par la route nationale, que je savais très surveillée par les contrôles de la gendarmerie et de la police. […] Mais dès que nous avons été arrêtés, on nous a demandé de sortir de la voiture. »
Annonce à contretemps
Les gendarmes, poursuit-il, se seraient alors livrés à une « fouille systématique » du véhicule. Avec lui, Ousmane Sonko porte un sac de voyage qu’on lui demande de vider. Les gendarmes y trouvent son « arme de poing personnelle », pour laquelle il indique détenir une « autorisation » qu’il assure leur avoir présentée. « Ils m’ont également confisqué mes deux téléphones portables en toute illégalité », précise-t-il. L’opposant ne peut plus, dès lors, communiquer avec ses proches.
Après être monté dans un blindé de la gendarmerie, Ousmane Sonko change de véhicule à une cinquantaine de kilomètres du lieu de son arrestation pour monter cette fois à bord d’un 4×4 qui le ramènera à Dakar via l’autoroute.
Pendant ce temps, la rumeur enfle : Ousmane Sonko aurait été « kidnappé » puis placé au secret on ne sait où. Mais en fin de journée, l’opposant observe un étonnant silence une fois arrivé à son domicile dakarois. De son côté, le secrétaire national à la Communication de son parti, El Malick Ndiaye, diffuse au même moment sur son compte Twitter un communiqué alarmiste du bureau politique de Pastef. « Le président Ousmane Sonko est introuvable et injoignable depuis plusieurs heures », officialise le document. « Le président Macky Sall sera tenu pour responsable de tout ce qu’il lui arrivera », prévient le Pastef, à contretemps.
Nouvelle controverse
Sur les réseaux sociaux sénégalais, la tension est alors à son comble et les commentateurs versent allègrement dans des scénarios conspirationnistes sur le sort du « Pros » (président Ousmane Sonko). Diverses menaces sont brandies, tandis que toute la capitale se retrouve quadrillée préventivement par des équipes statiques de la gendarmerie.
Désormais, la controverse tourne autour de sa situation depuis qu’il a regagné son domicile. Car durant toute la journée du 29 mai, les représentants de la classe politique ou de la société civile qui ont afflué à la cité Keur Gorgui afin de s’enquérir de ses nouvelles et de lui témoigner leur soutien ont été empêchés de s’approcher de son domicile par un important cordon sécuritaire, recevant parfois au passage des effluves de gaz lacrymogènes.
Le 1er juin, Ousmane Sonko connaîtra la décision des juges chargés de se prononcer sur son sort. Au terme de l’audience qui s’était tenue en son absence, le procureur avait requis contre lui dix années d’emprisonnement. Prenant les devants, Ousmane Sonko – à qui ses détracteurs reprochent de se servir de la population, et notamment de la jeunesse, comme bouclier humain plutôt que d’affronter ses responsabilités dans ce dossier judiciaire de droit commun – a d’ores et déjà lancé un appel à la résistance face au chef de l’État.
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