Libreville a-t-elle réussi son pari de devenir la métropole africaine du futur ?

En 2013, le Gabon s’est fixé pour mission de construire une capitale durable. Dix ans plus tard, JA fait le point sur ce projet de cité respectueuse de l’environnement, évolutive, et adaptée aux besoins de ses habitants.

La promenade de la Baie des rois à Libreville, au début du mois de juin 2023. © Sophie Eyégué

Publié le 25 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

Chaque week-end, en face de l’hôpital Jeanne-Ebori, les taxis s’agglutinent. Tout au long de la journée, ils y déposent les Gabonais venus profiter de la promenade de la Baie des rois. Ici, le capharnaüm de la voie rapide laisse place aux cris de joie des enfants jouant dans les structures en bois, pendant que leurs parents contemplent le coucher du soleil, entourés d’espaces verts.

Cette nouvelle promenade constitue la vitrine de ce que pourrait devenir Libreville. Une capitale durable : : c’est-à-dire économiquement viable, socialement vivable, respectueuse de l’environnement, et dont l’activité n’affecte pas les générations futures.

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« Une ville du quart d’heure »

En avril, la société d’aménagement Façade maritime du champ triomphal (FMCT), filiale du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) et chargée du chantier de la Baie des rois depuis 2015, cosignait un accord de principe avec l’Ordre des architectes gabonais pour acter « l’orientation durable » que doivent prendre les chantiers d’aménagement et de construction à Libreville.

De quoi ajouter une pierre à l’édifice que pourrait être la métropole de demain, alors que de grands chantiers sont en cours, comme la révision du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) du Grand Libreville, un outil de planification spatiale pour les dix-huit prochaines années. Ainsi, s’opère la volonté du gouvernement de repenser la ville en métropole moderne, au service de ses administrés, écoresponsables.

Le projet test de cette capitale du futur est l’emblématique Baie des rois, futur quartier créé sur l’estuaire. « Refaire la ville sur la ville est très long », explique Emmanuel Edane, directeur général de la FMCT, pour justifier la création de cet amas de sable sur l’eau. Le chantier, débuté en 2013, voit sa première phase sur le point d’être achevée, et 6 des 50 parcelles ont déjà été vendues.

« L’objectif ici était de moderniser et de densifier le littoral afin de le rendre attractif », rappelle le directeur, montrant du doigt les chantiers engagés par Orabank, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) et d’autres investisseurs privés. Au-delà de cette approche, le programme tend à donner à l’agglomération des allures de capitale nord-européenne, celles d’une « ville du quart d’heure », où les commerces et les services sont accessibles en mobilité douce (marche, vélo, covoiturage…) en seulement quelques minutes.

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En projet : un hôtel pouvant accueillir des événements, un immeuble résidentiel avec des magasins en rez-de-chaussée, des bureaux, une marina… Toutes ces constructions ont dû respecter un certain nombre de critères – allant du choix des matériaux pour une meilleure isolation à la quantité de places de parking – pour être validés par la FMCT et acter la vente de la parcelle aux particuliers.

Le tout pour que la Baie des rois respecte au moins 12 des 17 objectifs de développement durable (ODD) imaginés par les Nations unies. « Évidemment, une ville durable en Europe n’est pas là même chose qu’une ville durable au Gabon, précise Emmanuel Edane. Par exemple, avec le savoir-faire local, nous ne répondrons jamais à la course à la production d’énergie verte, donc nous nous concentrons pour moins en consommer. »

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Difficultés de financement

Le programme, engagé il y a dix ans, a bénéficié d’un apport de l’État de 15 milliards de F CFA (près de 23 millions d’euros), mais il compte, pour s’autofinancer, sur les investissements privés. Lesquels ont été en partie suspendus pendant un temps compte tenu de la conjoncture difficile liée à la chute des cours du baril et à la baisse de production d’hydrocarbures. « Grâce à la vente d’une parcelle, nous finançons une route et les espaces de vie, précise la société d’aménagement. Mais, dès 2014, le projet a accusé le coup d’un contexte d’investissement peu favorable. Les ingrédients n’étaient pas réunis pour aller plus vite. »

Les usagers remettent en question la bonne volonté de l’État sur nombre de sujets

Entre le retard du projet de la Baie des rois, la collecte irrégulière des déchets et les interrogations sur le développement des transports en commun, les usagers remettent en question la bonne volonté de l’État sur nombre de sujets. « Par exemple, le gouvernement a créé des centres de tri, mais pas de stations de recyclage », souligne Afane Edou, président du Réseau gabonais pour l’environnement et le développement durable (RGEDD). L’État « pourrait aussi communiquer avec les acteurs privés qui se sont spécialisés dans le recyclage de plastique – il y a des entreprises du secteur à Nkok –, mais il ne le fait pas… », ajoute-t-il.

L’association s’applique donc à mettre en relation ces sociétés avec les particuliers, qui, pour chaque kilo de plastique récolté, reçoivent entre 100 et 150 F CFA. Pointé également du doigt : le manque de sensibilisation. « C’est bien de prendre des mesures, mais si nous n’éduquons pas la population pour qu’elle les applique, elles ne servent à rien », poursuit Afane Edou, qui milite pour une éducation environnementale dès le plus jeune âge.

Ici, ce n’est pas l’Europe, il faut y aller progressivement

À Libreville, il n’est pas rare qu’un habitant jette ses déchets sur le trottoir, malgré les poubelles installées sur le bord de mer. « Mais je ne condamne pas trop l’État. Il a d’autres priorités, comme celle d’assurer l’accès aux soins de base, à l’éducation, à la justice… », tient à ajouter le président du RGEDD. « Ici, ce n’est pas l’Europe, il faut y aller progressivement », résume Emmanuel Edane.

Bus de la compagnie Trans’Urb, qui, depuis 2020, relie Owendo, Libreville, Ntoum et Akanda. © Ministère des Transports et du Tourisme du Gabon.

Bus de la compagnie Trans’Urb, qui, depuis 2020, relie Owendo, Libreville, Ntoum et Akanda. © Ministère des Transports et du Tourisme du Gabon.

Réseau de bus, promenade du bord de mer…

Pour autant, le gouvernement a déjà mis en place certaines innovations, à commencer par le déploiement du réseau de transport en commun, Trans’Urb, qui relie la commune d’Owendo, au sud de Libreville, à celle d’Akanda, au nord de la capitale, en passant par Ntoum, à son extrémité est.

Opérationnels depuis avril 2020, les bus sont devenus accessibles gratuitement depuis 2021 dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Cette mesure coûterait 13 milliards de F CFA à l’État chaque année, mais le gouvernement d’Alain-Claude Bilie-By-Nze a choisi de la pérenniser face à l’augmentation du coût de la vie. Aujourd’hui, Trans’Urb dispose d’une flotte de 210 bus et emploie 310 chauffeurs, qui transportent chaque jour « près de 50 000 Librevillois », selon la société.

Par ailleurs, un peu partout dans Libreville fleurissent des projets d’aménagement qui répondent aux critères de la ville durable. La réhabilitation du front de mer par l’entreprise de BTP Sogea-Satom Gabon (groupe Vinci) en est un parfait exemple. Lancés en octobre 2022, les travaux ont pour objectif de « dynamiser le centre-ville en créant des lieux de vie », indique le constructeur.

Le chantier comprend la réalisation d’une promenade piétonne sur 3,5 km, la création d’espaces verts et l’aménagement d’un parc de 3,2 hectares, dont une aire de jeux de 900 m² et un parcours santé. Le nouvel agencement permettra aux habitants du quartier Batterie-IV de s’approprier le bord de mer et, peut-être, d’y créer des activités économiques. Le tout en préservant la durabilité, puisque le renforcement de la route par l’enrochement permettra de lutter contre l’érosion des côtes.

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