Au Cameroun, dans le « Dikologate », une première victoire pour les habitants déguerpis
En mai 2022, près de 90 familles ont été expropriées d’un espace urbain déclaré d’utilité publique par l’État et concédé à un promoteur hôtelier. Mais le tribunal administratif de Douala vient d’annuler l’opération, suscitant l’espoir des populations.
La voix de Paul Maï est encore remplie d’émotions, une semaine après le verdict du tribunal administratif de Douala, le 24 mai, annulant la déclaration d’utilité publique qui avait entrainé l’expropriation des habitants du quartier Dikolo à Douala. « Notre joie est indescriptible, explique-t-il par téléphone à Jeune Afrique. C’est la preuve qu’il existe encore des gens capables de dire non à l’injustice. »
Désaveu pour le gouvernement
Comme cet ancien propriétaire, détenteur d’une demeure bâtie sur un terrain de 300 m², ce sont près de 90 familles qui caressent de nouveau l’espoir de retrouver les terres dont elles ont été violemment expropriées en mai 2022 pour laisser place à la construction d’un hôtel 5 étoiles. Au tribunal administratif de Douala, devant lequel le collectif d’avocats des victimes avait porté l’affaire, la cour a en effet annulé le texte du ministre du Cadastre et des Affaires foncières, Henri Eyebe Ayissi, sur lequel s’était appuyé le préfet du Wouri, Benjamin Mboutou, pour faire raser le quartier querellé.
« L’expropriation des habitants de Dikolo, laquelle avait été présentée sous la forme d’expropriation pour cause d’utilité publique alors qu’elle était au profit, en réalité, d’intérêts privés, a été révoquée par le tribunal administratif », explique Me Thierry Oum, qui dirigeait le collectif d’avocats des victimes. Le tribunal s’est ainsi appuyé sur la loi n° 85-09 du 4 juillet 1985, ordonnant qu’une expropriation pour cause d’utilité publique ne devrait se faire que pour la réalisation des objectifs d’intérêt général. Un désaveu pour le gouvernement.
Le ministère du Cadastre et des Affaires foncières avait proposé ce terrain à Olivier Chi Nouako, avocat et entrepreneur canadien d’origine camerounaise qui apportait dans ses valises un projet de construction d’un hôtel Marriott. « En droit administratif, c’est ce que nous appelons un détournement de pouvoir. C’est-à-dire qu’une autorité administrative utilise l’un de ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel la loi l’a institué », détaille Thierry Oum, qui précise néanmoins que seule « une partie de la bataille a été gagnée ».
Zones d’ombre
Pour l’heure, « en attendant de voir si des voies de recours seront exercées contre l’arrêt du tribunal, les victimes rentrent provisoirement dans leurs droits », indique Thierry Oum. Mais l’État, qui se voit clairement incriminé par cette décision, se pliera-t-il au verdict de la justice ? Ce revers atténuera-t-il la colère des habitants qui avaient également ouvert des procédures parallèles au pénal contre des agents de l’État, à l’instar du préfet Mboutou et d’un délégué aux affaires foncières ?
À l’origine d’un véritable tollé dans l’opinion camerounaise, le « Dikologate » a mis en lumière de nombreuses zones d’ombres, lesquelles restent autant de questions pour des populations bien décidées à retourner vivre sur les terres de leurs ancêtres. Pourquoi des indemnités ont-elles été payées par le promoteur plutôt que par l’État ? Pourquoi le titre foncier cité dans les documents administratifs mentionnait-il un site à évacuer à plusieurs kilomètres de Dikolo, où les habitations seront finalement rasées ?
La décision du tribunal de Douala apparaît dans tous les cas comme une première possibilité d’apaisement, avant que l’État ne fasse éventuellement appel. Les déguerpis de Dikolo, eux, se préparent déjà à réclamer réparation. « Nous avons été victimes d’une injustice, et cela vient d’être confirmé par le tribunal, estime Paul Maï. La première chose à faire est donc de nous restituer nos terres ; la seconde, qui est toute aussi importante, est de nous dédommager afin que nous puissions reconstruire nos maisons qui ont été détruites. »
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