Au Cameroun, l’Esstic porte haut les couleurs du journalisme panafricain

Du 14 au 16 juin 2023, l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication de Yaoundé (Esstic) fêtera son cinquantenaire. L’ancienne Esijy a formé pendant un demi-siècle les pionniers d’une certaine presse panafricaine.

Devant l’Esstic, à Yaoundé. © Facebook / ESSTIC

Éric Topona Mocnga.
  • Éric Topona Mocnga

    Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

Publié le 3 juin 2023 Lecture : 4 minutes.

Elle est demeurée à un jet de pierre du rectorat, qui fut le siège de l’administration de la toute première – et longtemps unique – université du Cameroun, juchée sur l’emblématique colline de Ngoa-Ekellé. L’Esstic (École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication) va célébrer son cinquantenaire à la mi-juin, sous le patronage du chef de l’État camerounais, Paul Biya. Le 10 mai 2023, dans l’enceinte de l’amphithéâtre Hervé-Bourges, le ministre de l’Enseignement supérieur et chancelier des ordres académiques, Jacques Fame Ndongo, a présidé la conférence de presse consacrée au lancement des festivités sur le thème : « Cinquante ans de vie au service de l’excellence en information et en communication ».

Preuve de l’attachement porté à l’image de cette école de journalisme réputée et à ses remarquables états de service, l’institution a été au cœur d’une vive polémique après la désignation de l’homme d’affaires et patron de presse Jean-Pierre Amougou Belinga, actuellement en délicatesse avec la justice camerounaise dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, comme parrain de sa 53e promotion. Les instigateurs de la fronde, au nom de l’éthique du métier de journaliste dont l’Esstic est la gardienne intraitable, ont estimé que le parrain pressenti s’en était trop longtemps écarté pour tenir lieu de modèle aux jeunes impétrants dans cette noble et exigeante profession.

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Loin du paternalisme étouffant

Depuis sa création, en 1970, cette pépinière de journalistes parmi les plus estimés de la profession en Afrique est tributaire d’une double histoire. Celle, d’abord, des premiers pas de l’Afrique nouvellement indépendante vers l’appropriation des moyens de production et de diffusion de ses contenus informationnels. Le premier président de la République du Cameroun, Ahmadou Babatoura Ahidjo, avec une intuition visionnaire, estima que, dix ans après l’indépendance de son pays (1er janvier 1960), le temps était venu de former une classe médiatique imprégnée des réalités locales.

Hervé Bourges, qui fut le premier directeur de l’école, fut chargé de porter le projet sur les fonts baptismaux. Il suggéra au chef de l’État camerounais l’internationalisation de l’établissement dès sa création, pour en renforcer l’aura et enrichir l’horizon intellectuel de ses nouveaux diplômés. C’est ainsi que fut créée, en 1970, l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (Esijy), à vocation interafricaine, dont les jeunes recrues sont aujourd’hui considérées comme les pionniers de la presse africaine. Parmi ces premiers lauréats figurent Jean-Baptiste Placca, du Togo, Célestin Topona et Mahamat Hissein, du Tchad, Amadou Vamoulké, Charles Ndongo, Gerba Mallam et Denise Époté, du Cameroun, pour ne citer que ceux-là.

Hervé Bourges était donc l’homme qu’il fallait pour donner corps à cet ambitieux projet qui ne fut pas une sinécure. Son engagement militant et progressiste pour le droit à la souveraineté des peuples colonisés a préservé cet ancien étudiant de l’École supérieure de journalisme de Lille de ces œillères et de ce paternalisme étouffant si caractéristiques d’une certaine frange de la coopération française de l’époque. Dans les parcours pédagogiques de ses étudiants, il mettait un point d’honneur à voir émerger une classe journalistique à même d’écouter et de restituer les pulsations d’une Afrique qui devenait enfin maîtresse de son propre récit.

L’une des fiertés de cet inlassable bâtisseur d’hommes, l’éditorialiste Jean-Baptiste Placca, témoigne, dans un hommage ému, sur l’antenne de Radio France Internationale : « Pendant une dizaine de jours, l’école répartissait toute une promotion dans une région, au fin fond du pays, parfois au cœur de la forêt vierge, dans les familles, avec les Pygmées de l’est du Cameroun, par exemple, mais sans vivres ni conserves. Juste avec quelques outils et du sel à offrir aux hôtes avec qui l’on devait vivre, aller aux champs et vaquer à leurs autres occupations, en mangeant ce qu’ils mangent, en dormant dans leurs cases. L’objectif étant que le journaliste, parachuté n’importe où, puisse survivre comme les populations du cru. »

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Mutations adaptatives

Il faut également mettre au crédit de cette école de journalisme d’avoir réussi à réaliser les nombreuses mutations adaptatives commandées par l’époque, à la faveur de la révolution numérique et de l’émergence des « autoroutes de l’information ». Institution académique de formation à « l’information » à ses débuts, elle devient l’École supérieure des sciences et techniques de l’information (Essti) en 1982, puis l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) en 1991.

Si, à la création de l’Esijy, la formation au journalisme n’offrait comme possibilités que les débouchés « audiovisuel et presse écrite », l’Esstic n’a eu de cesse d’innover dans ses contenus et dans ses parcours. Elle a su prendre à temps le train des grands bouleversements de l’univers de la communication, à la fin des années 1980, et surfer sur la vague de libéralisation dans les outils de communication sociale. L’école n’est plus seulement une pourvoyeuse d’emplois pour les médias d’État. En effet, dès la fin de leur cursus, nombre de ses jeunes pousses rejoignent des groupes privés ou décident de créer leur propre structure entrepreneuriale. Dans la foulée, la création de nombreuses écoles privées de formation dans les métiers des sciences et techniques de l’information et de la communication ont poursuivi l’aggiornamento que l’Esstic avait su créer, en pionnière, avec succès.

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Les commémorations du cinquantenaire auraient assurément été rehaussées par le précieux témoignage de l’un de ceux qui figurent au rang des plus grands professionnels de la presse d’Afrique francophone, et qui a fait ses classes parmi la génération des pionniers : Amadou Vamoulké. Nous gardons le secret espoir de le voir bientôt affranchi des liens de la détention pour qu’il puisse redevenir l’homme libre qu’il aurait demeurer.

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