Adama Bictogo : « Alassane Ouattara est ma boussole et le catalyseur de mes ambitions »
Le fondateur du groupe Snedai et président de l’Assemblée nationale ivoirienne revient sur l’actualité économique de la Côte d’Ivoire et de la sous-région, n’élude pas la question des élections locales et l’échéance de 2025, tout en évoquant le Sénégal et le Burkina Faso…
Africa CEO Forum 2023 : de 300 à 3 000, favoriser l’émergence des champions africains
Du 5 au 6 juin, à Abidjan, les quelque 1 800 participants de l’Africa CEO Forum 2023 discutent des conditions nécessaires à l’émergence de champions économiques nationaux et continentaux.
L’ACTU VUE PAR – Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, ancien secrétaire exécutif du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), candidat aux élections locales à Yopougon et fondateur du groupe Snedai Holding, Adama Bictogo a toujours navigué entre deux eaux.
Il dirigeait une société dans l’import-export au milieu des années 1990, époque où il est entré dans le cercle d’Alassane Ouattara ; a travaillé dans le négoce de cacao au début des années 2000, tout en étant conseiller politique. Une dynamique qu’il n’a jamais quittée, jusqu’à très récemment.
Depuis juin 2022 et son accession à la présidence de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo ne dirige en effet plus le groupe Snedai, qu’il a fondé en 2007 et dont les activités sont désormais diversifiées (technologies de l’information et de la communication, énergie, transport, immobilier, travaux publics). Avec près d’un millier de salariés et une variété de contrats remportés, l’homme y a connu des succès, mais aussi des échecs. Et nombre de difficultés ont jalonné son parcours, telles la déroute à l’université de Diamniadio au Sénégal et la liquidation judiciaire de la filiale de Snedai, Marylis BTP.
À la veille de l’Africa CEO Forum 2023*, qui doit réunir près de 1 800 décideurs politiques et économiques à Abidjan, l’entrepreneur ivoirien, qui occupe également les devants de la scène politique en Côte d’Ivoire, est le Grand Invité RFI-Jeune Afrique et partage son retour d’expérience, toujours à la frontière des deux mondes.
Jeune Afrique : De votre parcours éclectique, quel exemple représente le mieux votre double casquette économique et politique ?
Adama Bictogo : Sans doute le passeport ivoirien. En 2007, je ne m’y connais pas en biométrie. Évidemment, j’ai l’information et comme le monde des affaires est dicté par l’information, cette information commande l’action. Je me propose donc pour participer à une consultation restreinte organisée par les ministres de l’Intérieur et de l’Économie et des Finances de l’époque.
En 48 heures, avec Zetes [une entreprise belge spécialisée dans les nouvelles technologies], nous montons un dossier. De cela, il faut retenir le choix de la plateforme : pouvoir faire les passeports en payant en ligne est une innovation purement ivoirienne. Aujourd’hui, le passeport est ivoirien est le 4e au monde au niveau des délais d’obtention : il est possible de disposer d’un en 24 heures !
Que l’Afrique soit fière de ceux qui réussissent : sur le modèle du passeport, la Côte d’Ivoire est une réussite. Cette spécificité a montré que les compétences ivoiriennes pouvaient porter certains projets de très haut niveau.
En quoi vos compétences et cette expérience d’homme d’affaires vous servent-elles dans l’exercice de la politique ?
En politique, je suis un homme du compromis. Mon élection à l’Assemblée nationale s’est faite sur cette base, et c’est pour cela que j’ai été élu à 98 %.
Je suis un homme de dialogue, je crois en l’écoute et sais que dans le monde du business, nous n’ouvrons pas tous les fronts à la fois. Autant en politique, nous devons défendre les intérêts d’une chapelle à laquelle nous appartenons ; autant dans le monde du business, nous faisons face à une obligation de résultat. Celle-ci vous pousse à composer avec tous ceux qui peuvent participer à l’atteinte de vos objectifs, qui apportent une valeur ajoutée à votre démarche.
À la différence du monde des affaires, où vous êtes le maître de votre jeu et où il vous revient de définir la démarche à suivre pour d’atteindre l’objectif, il existe en politique des lourdeurs et d’autres composantes qui parfois s’imposent à vous.
Nous sommes à Abidjan, pour l’édition 2023 de l’Africa CEO Forum, comment ressentez-vous l’évolution du secteur privé en Afrique ? Il y a déjà des champions, de grandes réussites, mais aussi beaucoup d’entreprises dans l’ombre, en mal de financement ou de compétences…
Je crois aux partenariats. Aucun pays ne peut se développer en se repliant sur lui-même, il est donc tout à fait normal que l’Afrique – un continent jeune du fait de l’avènement des indépendances – soit perçu comme un terrain d’opportunités pour l’Europe, pour l’Amérique.
Le renforcement des champions nationaux passe par l’insertion dans les concessions, le co-investissement et la cogestion
Mais il faut revisiter le code de l’investissement. Il faut qu’il y ait au niveau des concessions, des sous-concessions aux entreprises nationales pour que ces dernières puissent bénéficier d’expériences, de vrais contrats permettant aux banques de les accompagner et d’avoir un vrai partenariat au niveau de la cogestion et au niveau de la coconception des projets.
Le renforcement de la promotion des champions nationaux passe par l’insertion dans les concessions, par le système du co-investissement et par le système de la cogestion. Pas par la sous-traitance.
Même avec la situation actuelle, notamment l’instabilité macroéconomique qui pèse, selon les pays, sur le climat des affaires ?
Pas en Côte d’Ivoire ! Certains pays sont parfois traversés par des remises en cause institutionnelles. Et parce qu’effectivement, l’investissement a besoin d’un encadrement : cela passe par la sécurité juridique et la sécurité physique, mais aussi par le respect des engagements et la bonne santé financière.
Nous ne ferons pas de grands champions nationaux tant que nous ne permettrons pas à nos entreprises de participer aux projets stratégiques
Vous parliez de jeunesse, de code d’investissement… De quelles ressources dispose le tissu économique africain ?
L’Afrique dispose de ressources naturelles. Quand une structure vient pour produire de l’énergie en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Burkina Faso ou dans n’importe quel pays, dès lors que l’État met à disposition ces ressources naturelles d’un producteur, il est bon qu’une société nationale participe à l’exploitation pour pouvoir bénéficier du transfert de compétences au bout d’un certain nombre d’années.
Nous ne ferons pas de grands champions nationaux tant que nous ne permettrons pas à nos entreprises de participer aux projets structurants et stratégiques.
Aujourd’hui, beaucoup d’Africains travaillent dans le monde des services. Mais il ne s’agit pas d’un domaine où la pérennité est au rendez-vous sur des décennies. Il faut absolument que nos champions soient dans les projets stratégiques. Or, nous ne sommes qu’au stade des services, nous n’avons pas créé la recherche. Il n’y a par exemple pas assez de start-up dans le domaine de la recherche technologique, alors que l’avenir est à la digitalisation. Avec une population composée à 75 % de jeunes, nous n’avons pas d’autre choix que de renforcer l’économie numérique.
Dans un discours à la nation, Alassane Ouattara a brossé les traits d’un avenir économique prospère pour la Côte d’Ivoire et pointé le rôle du secteur privé…
La Côte d’Ivoire fait aujourd’hui face à un risque de surendettement modéré, avec un taux de d’endettement très en dessous de celui fixé par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui est de 70 % quand nous sommes à 56 %. Du point de vue macroéconomique, l’encadrement est donc bien fait.
Maintenant, il faut que le secteur privé intervienne plus pour investir et créer des emplois. Pour créer des emplois, il faut que près de 75 % des investissements viennent du privé.
Depuis 2012, le PIB ivoirien a augmenté de 7,4 % en moyenne, une croissance qui est exemplaire donc pour les pays de de la zone Uemoa. Et pourtant, votre pays a eu recours dernièrement à un prêt du Fonds monétaire international (FMI) de 3,5 milliards de dollars. Était-il impossible, selon vous, de faire autrement ?
La banque ne prête qu’aux riches ! C’est la qualité de notre économie qui a fondé l’octroi de ce prêt.
Le FMI prête aussi à des pays qui ont moins bien réussi…
Il s’agit là de plans de sauvetage, qu’il faut donc dissocier. Nous sortons d’une situation inflationniste, des conséquences du Covid en 2020, 2021 et 2022. La Côte d’Ivoire n’a pas bénéficié de soutien en 2020, parce que le Fonds considérait notre croissance, qui était à l’époque pratiquement de 2 %.
Nous avons dû subventionner au niveau de l’énergie, accompagner certaines sociétés… Le prêt du FMI est historique, jamais un pays africain n’a bénéficié d’un tel montant. Et il est assorti de certaines conditions qui montrent la bonne santé financière de la Côte d’Ivoire.
Parmi les conditions du contrat avec le FMI, il y a la nécessité d’investir dans un certain nombre de domaines, notamment agricole avec le cacao. Comment développer ce secteur qui traverse une crise, en particulier vis-à-vis des multinationales étrangères ?
Je pense qu’il faut aller à la transformation. Le président de la République a fixé le cap, il faut que nous puissions atteindre 50 % de transformation de notre cacao. C’est aujourd’hui la seule solution pour améliorer le revenu des agriculteurs ainsi que la valeur ajoutée de notre cacao. Il faut également mettre en place une politique plus forte de reboisement pour contrer la déforestation.
Sur un autre sujet d’actualité, vous êtes candidat aux prochaines élections municipales à Yopougon, qui doivent se tenir le 2 septembre. Vous aurez en particulier comme adversaire Michel Gbagbo, qui a déclaré dernièrement qu’il fallait « complètement rebâtir la circonscription ». Partagez-vous son point de vue ?
Dès que j’ai été désigné en novembre [2022], j’ai tout de suite parcouru Yopougon. Mes différentes visites ont fini d’achever la vision que j’en avais. C’est une commune très communautariste, qui traduit l’expression plurielle de la Côte d’Ivoire.
Il faut que chaque Ivoirien puisse servir la Côte d’Ivoire où qu’il se trouve
Il y a effectivement de vrais problèmes là-bas : d’acheminement d’eau, de voirie, de couverture d’énergie, mais ce sont des problèmes qui sont survenus du fait d’un déficit de plan d’urbanisation.
Vous êtes député d’Agboville, une zone très éloignée d’Abidjan. Assumez-vous votre position de « parachuté » ?
Je me sens bien partout en Côte d’Ivoire. Justement, ma candidature à Yopougon obéit au principe de la citoyenneté. Il faut que chaque Ivoirien puisse servir la Côte d’Ivoire où qu’il se trouve.
J’aime mon pays, j’aime passionnément tous les Ivoiriens et Ivoiriennes, et partout où je pense que cette passion doit se traduire par la promotion de l’emploi des jeunes, l’autonomisation des femmes, la réduction de la pauvreté, la mise en œuvre des politiques de santé, d’assainissement, d’eau, je serai présent. Que vous me mettiez à Yopougon, Abobo, Koumassi, Korhogo, Bouaké, Man… Je serai présent, avec toujours le sentiment d’appartenance pour lequel je suis candidat.
Vous avez été choisi le 7 juin 2022 par le chef de l’État pour présider l’Assemblée nationale. Comment jugez-vous le travail parlementaire ?
Je suis reconnaissant au président Alassane Ouattara de m’avoir désigné, mais en même temps, je salue et remercie le président Henri Konan Bédié et le président Laurent Gbagbo, qui ont permis à leurs différents groupes parlementaires de voter pour moi, et ceci a été et historique.
Notre pays a besoin que nous puissions dépasser tous les événements que nous avons vécus
La politique de concertation et d’écoute que j’ai instaurée à l’Assemblée a permis d’arriver à ce que nous soyons à présent une famille parlementaire, au-delà des clivages présents à mon arrivée. Notre pays a besoin que nous puissions dépasser tous les événements que nous avons vécus, que les générations à venir puissent bénéficier de notre expérience mais surtout d’une stabilité plus forte.
Pensez-vous que cet « apaisement » pourra être conservé jusqu’à l’échéance de 2025 ?
Nous en sommes aux élections locales, qui interviennent à mi-mandat du président Ouattara. C’est la première fois depuis 20 ans que les trois plus grandes sensibilités politiques prendront part aux élections locales.
Pour l’heure, nous avons le RHDP, le PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire] et le PPA-CI [Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire] ou le PDCI-PPA-CI dans un moule, pour l’heure, nous n’en savons rien. En tout état de cause, à l’issue des résultats le 2 septembre, une nouvelle cartographie politique en Côte d’Ivoire aura été dessinée, et elle permettra de définir aussi bien les échéances immédiates que celles lointaines.
Au RHDP, nous avons très vite fait de désigner nos candidats et de mettre dans la balance ceux que nous pensons les meilleurs, parce que nous voulons gagner ces élections, et ce, partout. De telle sorte que notre victoire soit une approbation de la politique menée par le président Ouattara depuis 12 ans.
Pour préparer le terrain pour 2025, vous voulez dire ?
Le sujet n’est, chez nous, pas à l’ordre du jour. Notre parti est organisé et a un président, qui est aussi celui de la République. Le président de la République, que je connais depuis plus de trente ans, est ma boussole – il l’a toujours été – et le catalyseur de mes ambitions. Je suis constant dans cette vision.
À titre personnel, vous ne faîtes donc pas preuve d’ambition nationale dans l’immédiat ?
Je suis président à l’Assemblée nationale jusqu’à la fin du mandat du parti au pouvoir, j’ai donc encore 2 ans et demi pour terminer ma mission. Le président a considéré que j’étais la personne la mieux indiquée pour être candidat à Yopougon. Je gagnerai donc à Yopougon et je reviendrai prendre ma nouvelle feuille de route après les élections locales auprès du président du parti. Voilà comment cela fonctionne. Et voilà comment je fonctionne.
Au cœur de l’actualité internationale, et notamment régionale, on retrouve le Sénégal, qui vit une situation de troubles depuis la condamnation d’Ousmane Sonko. Que cela vous inspire-t-il en tant que grand voisin du pays de la Teranga ?
Tous les Ivoiriens, tous les Africains suivent en ce moment ce qu’il se passe au Sénégal. Je suis moi-même un peu attristé par ces quelques violences. Je veux croire à ce sens élevé de l’État, à la maturité politique des Sénégalais, pour arriver à une solution d’apaisement.
Il faut absolument que nous y arrivions, parce que le Sénégal, pendant des décennies, est apparu sur la scène internationale africaine comme le meilleur élève, avec la mise en œuvre de la démocratie. C’est important, pas juste pour la Côte d’Ivoire mais aussi pour la sous-région. La Côte d’Ivoire et le Sénégal représentent à eux seuls 60 % des flux financiers et de la masse monétaire. Si le Sénégal est touché par des troubles, la sous-région en souffrira naturellement.
D’autres troubles traversent la région comme la menace terroriste, à relier d’ailleurs aux questions d’économie et de pauvreté. Vous avez récemment rencontré votre homologue burkinabè, qui dit avoir de fortes attentes vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Comment votre pays peut-il aider son voisin ?
Il faut une collaboration franche entre nos états-majors de l’armée et entre les différents renseignements afin de maîtriser les mobilités et les migrations.
La situation au Burkina Faso est plus que préoccupante quand on sait combien de Burkinabè vivent en Côte d’Ivoire. Les relations historiques et culturelles qui lient les deux pays sont fortes et entremêlées. Yamoussoukro n’a pas le choix que d’accompagner Ouagadougou dans la recherche de solutions, mais pour cela il faut que nous soyons aidés aussi par les autorités burkinabè.
Pour lutter contre l’insécurité, le Burkina a besoin d’être accompagné par tous, mais dans le même temps, il faut qu’il y ait une visibilité dans l’action. Cette visibilité passe par la recherche de la normalité à venir. Nous faisons face à un régime d’exception, or un régime d’exception ne peut pas bénéficier de l’accompagnement international.
La secrétaire d’État française au Développement, Chrysoula Zacharopoulou, s’est rendue en Côte d’Ivoire au début de mai pour inaugurer une académie internationale de lutte contre le terrorisme. Paris a besoin de soutien en ce moment dans la sous-région, êtes-vous prêt à l’aider ?
Le partenariat que nous avec la France est un partenariat comme tous les partenariats. Il y a des moments où il faut le revisiter. Cela étant, pour nous, la France reste le premier partenaire. Je l’ai dit à mon homologue président de l’Assemblée du Burkina : vous pouvez réfléchir à revisiter vos conventions en relation avec la France, mais ne pensez pas que changer de partenaire règle forcément le problème.
Dans quelques mois, au début de 2024, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) fera son retour ici. La dernière fois, c’était en 1984 et le Cameroun avait gagné. La Côte d’Ivoire est-elle prête ? Et les stades ?
À Bouaké, la réception provisoire a été faite. La réception provisoire de San Pedro se fera le 15 juin. Au niveau des infrastructures, la Côte d’Ivoire proposera pour cette CAN des aménagements de très haut niveau. Et je n’ai pas d’inquiétude en ce qui concerne leur réception.
Quelles retombées économiques attendez-vous de la CAN ?
Avant la retombée économique, ce sont ces infrastructures qui resteront en Côte d’Ivoire. Le pays avait besoin de construire, mais aussi de reconstruire des infrastructures sportives. Ceci amènera beaucoup de jeunes à s’intéresser au sport. Sur le plan touristique, nos hôtels feront le plein et cela sera un moment de fête.
* L’Africa CEO Forum a été créé en 2012 par Jeune Afrique Media Group et est coorganisé avec l’IFC – groupe de la Banque mondiale.
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Africa CEO Forum 2023 : de 300 à 3 000, favoriser l’émergence des champions africains
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