Au Gabon, pour les femmes, la loi progresse, les phallocrates restent
Dans les textes et dans la vie publique, les lignes bougent en faveur des droits des femmes. Mais, au quotidien, au travail comme en famille, nombre de Gabonaises continuent de subir des discriminations de genre, les diktats du patriarcat, voire la mysoginie.
Au cœur des préoccupations d’Ali Bongo Ondimba (ABO), l’égalité de genre est devenue l’un des fers de lance de la politique de l’exécutif depuis 2015, à travers le programme de la « Décennie de la femme ». L’engagement du chef de l’État s’est concrétisé dans un travail de protection des femmes et de leurs droits, de promotion de leur rôle et de leur représentativité au sein de la vie politique, économique et sociale du pays, et pour leur autonomisation.
Et, force est de constater que, depuis huit ans, la législation évolue : 2015, loi relative à la suppression des lois discriminatoires en matière de succession dans le code civil ; 2016, loi pour l’instauration de quotas d’accès des femmes et des jeunes aux élections et des femmes aux fonctions supérieures de l’État ; 2018, révision de la Constitution pour y consacrer le principe de parité ; 2019, loi relative à la modification du code pénal pour renforcer la pénalisation de la violence, y compris sexuelle, à l’égard des femmes…
Cette évolution de la législation en faveur des droits des femmes constitue un premier grand pas vers l’ »empowerment » des femmes au Gabon, qui disposent désormais de davantage de droits pour s’affranchir des diktats patriarcaux, particulièrement en ce qui concerne la gestion des revenus du foyer, l’autorité parentale et l’éducation des enfants, mais aussi pour leur emploi.
Des pratiques en décalage avec les réformes
ABO en fait d’ailleurs le point d’orgue de son bilan, lors de l’interview qu’il a accordée en mai à Jeune Afrique. Le président gabonais s’y félicite du « combat, mené aux côtés de [son] épouse Sylvia, pour l’égalité entre femmes et hommes et contre les violences liées au genre ». Au cours du deuxième septennat d’ABO, Sylvia Bongo Ondimba a en effet appuyé nombre de mesures liées aux droits des femmes.
Du côté de l’opposition, on pointe du doigt des pratiques en décalage avec les réformes adoptées. « Les lois doivent traduire la demande du peuple, confirme Paulette Missambo, candidate de l’opposition à l’élection présidentielle. Or, les concernées ne sont jamais vraiment associées aux décisions prises ces dernières années et, dans la réalité, elles ne sont pas acceptées. »
Certaines violences sont inscrites dans la tradition, à tel point que les victimes et les acteurs n’en ont souvent pas conscience
La présidente de l’Union nationale évoque le cas de la loi promulguée en 1963 pour interdire la dot, laquelle reste pourtant très ancrée dans la tradition et dans la pratique lors des mariages, en dépit des risques encourus – jusqu’à un an de prison et 360 000 F CFA (environ 550 euros) d’amende.
« Il faut désormais poursuivre la sensibilisation pour opérer un changement des mentalités, confirme Nicole Nguema Metogo, magistrate et présidente de l’association Agir pour le genre. Les violences ou inégalités sexistes sont inscrites dans la tradition, à tel point que les victimes et les acteurs de ces violences n’en ont souvent pas conscience. »
Une victime, souvent ; une cheffe, pas encore…
Pourtant, les actions de sensibilisation se multiplient – des affiches fleurissent un peu partout dans Libreville, des clips sont projetés sur écran géant, des posts sont sponsorisés sur les réseaux sociaux… – pour la plupart signées « Gabon égalité ». Depuis 2020, ce programme de lutte contre les discriminations et les violences conduit par le cabinet de la première dame met en particulier l’accent sur la reconnaissance et la prise en charge des violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales.
Chacune d’entre nous a vécu des discriminations dans le milieu professionnel
Là encore, les évolutions sont visibles : création de centres d’accueil, formation des agents à la prise en charge des victimes, numéro vert d’urgence pour les femmes victimes de violences (le 1404), et coproduction d’une série télévisée – « Le Chic, le choc, l’échec » – pour dénoncer les abus de pouvoir des hommes envers les femmes, le harcèlement sexuel, et sensibiliser le plus large public possible.
Mais, si le statut de femme victime est désormais reconnue, celui de la femme qui réussit sa carrière professionnelle et accède à des postes à responsabilité ne l’est pas encore dans un Gabon où briser le plafond de verre s’avère encore difficile.
« Je le vivrais comme une violence économique si ma femme gagnait plus que moi », s’agace le rédacteur en chef d’une chaîne privée gabonaise lors d’un débat télévisé sur le droit des femmes. Et cette idée, partagée par tous les hommes alors autour de la table, est également ancrée dans l’esprit des femmes qui, malgré un meilleur niveau scolaire au collège, poursuivent moins souvent qu’eux leurs études au lycée et dans l’enseignement supérieur.
Environ 50 % des filles âgées de 15 ans à 19 ans voient leur scolarité affectée par une grossesse précoce
« Jusqu’au BEPC les filles sont plus nombreuses que les garçons et obtiennent de meilleurs résultats, mais la tendance s’inverse dès le lycée », constate Nicole Nguema Metogo. En 2021, on comptait 22 715 filles inscrites au brevet d’études du premier cycle, contre 17 858 garçons. Par ailleurs, comme en rend compte Gabon égalité, selon une étude menée par la Fondation Sylvia Bongo Ondimba (FSBO) en 2020, environ 50 % des filles âgées de 15 ans à 19 ans voient leur scolarité affectée par une grossesse précoce.
Aggressions
Dans le monde du travail, les discriminations sont le quotidien des femmes qui désirent accéder à des postes de direction. « Les entreprises ont tendance à moins faire confiance aux femmes », explique Virginie Nkouele, porte-parole du Réseau des femmes actives du Gabon, créé en 2020, qui met en relation des entrepreneuses pour qu’elles partagent leurs compétences.
« Beaucoup sont mises dans des situations très inconfortables, qui les poussent à quitter l’entreprise pour laquelle elles travaillent afin de lancer leur propre société. Chacune d’entre nous [au sein du Réseau] a vécu des discriminations dans le milieu professionnel. De nombreuses femmes du réseau m’ont expliqué avoir été victimes de harcèlement sexuel ou moral lorsqu’elles refusaient les avances de leur supérieur hiérarchique », poursuit Virginie Nkouele. On est encore dans du harcèlement à tous les niveaux, qui a détruit psychologiquement de nombreux profils. »
Manageuse d’une marque de produits destinés au bien-être, la Gabonaise soutient les efforts menés par l’exécutif dans le cadre de la Décennie de la femme. « Même si le regard des hommes n’a pas changé, il y a une prise de conscience de la part des femmes, qui, sensibilisées à leurs droits, gagnent en confiance », explique-t-elle.
Vers plus de représentativité
Si elle progresse, la parité au sein des plus hautes fonction de l’État est encore loin d’être atteinte. Le Gabon, qui compte actuellement 14,7 % de femmes parmi ses députés et 40 % au sein du Sénat, n’émarge ainsi qu’au 143e rang sur 186 pays étudiés dans le classement « Femmes au Parlement 2023 » établi par l’ONU Femmes et l’Union interparlementaire (UIP) en janvier. Et malgré la présence de 12 femmes au sein du nouveau gouvernement, 34 autres de ses membres sont des hommes.
Néanmoins, la représentativité des femmes en politique et dans les institutions fait son chemin. Ainsi, avec la nomination de plusieurs d’entre elles à des portefeuilles régaliens ou stratégiques lors du remaniement ministériel de janvier dernier – Félicité Ongouori Ngoubili, à la Défense, Erlyne Antonella Ndembet Damas, à la Justice, Jeanine Lydie Roboty, à l’Économie, Édith Ekiri Mounombi, au Budget, ou encore Madeleine Berre, ex-patronne des patrons, au Travail et à l’Emploi –, le Gabon se targue d’aller vers plus de parité et d’être l’un des pionniers du continent en matière d’égalité hommes-femmes. Sans compter que sa vice-présidence est confiée à Rose Christiane Ossouka Raponda, qui fut ministre de la Défense, puis Première ministre, de juillet 2020 à janvier 2023.
Pour Virginie Nkouele, le fait d’avoir plus de femmes occupant des postes au gouvernement et dans les institutions est important pour donner de la visibilité aux Gabonaises. « Avant, sur des postes à responsabilité, on donnait la primauté à l’homme sur les mêmes compétences, explique l’entrepreneuse. Ces femmes ministres encouragent les initiatives qui vont vers plus d’égalité de genre. »
Selon un membre de l’opposition, le bilan reste toutefois contrasté : « Comme les autres ministres, les femmes au gouvernement n’ont en réalité pas beaucoup de pouvoir. Il en est de même pour la vice-présidente : dans un régime très présidentiel, le gouvernement n’est important qu’en façade. »
Autre aspect tourné vers l’indépendance de la femme : le Gabon est en passe d’assouplir sa loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le protocole de Maputo, que le pays a ratifié en 2005, dispose que chaque femme doit « avoir le droit à la santé et au contrôle de ses fonctions de reproduction ».
Afin de correspondre aux attentes de ce protocole de l’Union africaine, le gouvernement gabonais a fini par réformer sa législation, en 2019, en ouvrant un droit à l’interruption thérapeutique de grossesse (ITG). Celle-ci peut être réalisée lorsqu’un danger vital pour la mère ou le fœtus est dépisté, ou pour des motifs psychologiques, comme une grossesse résultant d’un viol ou si la patiente est une mineure et en état de détresse grave. Un projet de réforme, adopté par l’Assemblée nationale en mars 2021, pourrait par ailleurs élargir les conditions d’accès.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?